29/02/2012

Les Adieux à la reine : au service de sa majesté déchue

Les Adieux à la reine : 4 / 5

Marie-Antoinette d'Autriche a toujours davantage nourri l'imagination populaire que Louis XVI, et a fait l'objet de nombreuses biographies littéraires comme cinématographiques. Peut-être parce qu'elle a symbolisé encore plus que son mari une royauté auto-satisfaite en décalage, vivant dans un luxe décomplexé et provoquant : pas étonnant que la sagesse populaire l'ait alors abusivement associé à la formule "Qu'ils mangent de la brioche !". Dans sa dernière incarnation cinématographique, Sofia Coppola en avait fait un de ces personnages emblématiques de son œuvre, une beauté solitaire et mélancolique : Marie-Antoinette brossait le portrait tragique d' une jeune femme dépassée par ses responsabilités. Le projet de la réalisatrice était de dépoussiérer le drame historique et de rendre ce personnage historique plus proche du spectateur compatissant par une mise en scène résolument moderne qui avait recours à une bande-son New Wave. Le passionnant Les Adieux à la reine, nouveau film de Benoit Jacquot adapté d'un roman de Chantal Thomas couronné du prix Femina 2002, choisit une approche tout aussi moderne mais radicalement différente pour évoquer l' "Autrichienne".




Les Adieux à la reine nous donne à voir Versailles au lendemain de la prise de la Bastille à travers les yeux de la lectrice de la reine. Benoit Jacquot change le personnage
quinquagénaire dans le roman, pour lui faire prendre les traits de Léa Seydoux, héritière de ses jeunes héroïnes incarnées par son actrice fétiche Isild Le Besco, ou plus tôt dans sa carrière par Judith Godrèche (La désenchantée) et Virginie Ledoyen  (La fille seule). Ce choix est dicté par le récit d'apprentissage d'une servante qui idolâtre la reine et est donc prête à tout pour la servir, dans un "état d'aveuglement et de lucidité entamée qui correspond à son âge" [1]. Profitant de ce beau rôle, la jeune Léa Seydoux fait preuve d'une présence et d'une énergie plus que convaincantes, qui débordent le cadre de la sage reconstitution costumée. Loin d'un cinéma historique figé, le film est à l'image d'une Marie-Antoinette brûlant d'une passion interdite, incarnée par une Diane Kruger que l'on a rarement vue aussi bonne. L'égoïsme de la reine, présenté dans toute sa cruauté, offre un contrechamp réjouissant à l'éloge naïf de fille riche qu'était Marie-Antoinette.


Loin de la langueur triste du film de Coppola, Les Adieux à la reine est une véritable plongée dans la crise vécue par Versailles, la peur panique devant la révolution qui gronde hors de ses murs, rendue par une mise en scène dynamique : mais là où d'autres auraient fait le choix attendu d'une caméra portée et chaotique, Benoit Jacquot chorégraphie magnifiquement son film, à l'image d'une marche dans un couloir de nuit interrompue régulièrement par une série de visages de nobles inquiets, effrayés par un tumulte social qui les condamne. L'impression d’immédiateté et d'instabilité tient dans des zooms récurrents, qui refusent l'installation d'un cadre esthétisant sûr. Le film bouillonne, faisant aussi sentir les corps sous les costumes dans un récit où les désirs sont primordiaux, de la première scène où Sidonie gratte les piqures de moustiques qui la démangent et chute dans la boue à la contemplation du corps nu de la favorite de la reine. Le souffle qui traverse ce film historique n'est pas sans rappeler le formidable L'Appolonide : souvenirs de la maison close, le hasard de la présence de Noémie Lvosky et Xavier Beauvois au casting ne faisant que renforcer ce lien. Réjouissons-nous donc que Benoit Jacquot comme Bertrand Bonnello puissent illustrer par leurs deux films la vitalité d'un cinéma d'époque dans les mains de cinéastes estampillés "auteurs".

[1] Propos tenus par Benoit Jacquot dans un entretien accordé à Positif et publié dans le numéro de mars de la revue.

24/02/2012

Something for the weekend : Ghost rider - L'esprit de vengeance, Chronicle

Ghost rider - L'esprit de vengeance : 3 / 5
Chronicle : 4 / 5

2012 sera une année cinématographique faste pour le genre super-héroïque. The Avengers de Joss Whedon attendu depuis la sortie d' Iron Man il y a quatre ans ouvrira les festivités en avril, et l'été verra vraisemblablement s'affronter le "reboot" de Spiderman par Marc Webb et le final qui s'annonce grandiose du Batman de Christopher Nolan The dark knight rises, tous deux prévus en juillet. Pour mieux supporter l'attente fébrile (pour certains dont je fais partie) de ces "blockbusters" événements, deux films dont les protagonistes sont dotés de pouvoirs surnaturels sont actuellement à l'affiche . Mais si Ghost Rider : l'esprit de vengeance reprend une franchise Marvel Comics et met en scène une figure ambivalente mais héroïque, Chronicle est nettement moins en adéquation avec les codes du récit super-héroïque.


Ghost rider de Mark Steven Johnson est souvent cité dans le lot des pires adaptations Marvel Comics au cinéma, avec le Daredevil du même réalisateur. Sans faire passer le film pour une réussite qu'il n'est pas, il comportait cependant quelques éléments intéressants : la présence de Peter Fonda, motocycliste mythique de Easy rider, en diable, faisait sourire, le toujours très bon Sam Elliott en cowboy prédécesseur de Nicolas Cage et un peu d'humour apportaient une touche série B bienvenue. Mais malgré ces bonnes intentions, le film s'avérait trop mou passée une introduction prometteuse. Afin de faire table rase de ce passé peu convaincant, Ghost rider : l'esprit de vengeance sort sous la bannière Marvel Knights, sous laquelle Marvel Comics avait relancé à la fin des années 90 des héros ou des séries peu populaires avec succès. 


Le film de Mark Nevledine et Brian Taylor repart sur une base simple mais efficace, celle du film de poursuite : notre héros, toujours incarné par l'inénarrable Nicolas Cage, doit protéger une femme et son fils qui sont recherchés par un groupe de mafieux à la solde d'un mystérieux commanditaire qui ne le restera pas longtemps. Dès une première séquence de course-poursuite débridée, l'objectif du film semble de palier au manque d'action du précédent opus, ce qu'il fait très bien. Il y a dans ce Ghost rider un côté "over the top" et cinéma bis assumé qui fait son charme : Nicolas Cage surjoue comme d'habitude mais y prend un plaisir communicatif, notamment lors d'une séquence où il essaie de contrôler son avatar démoniaque, son visage se déformant alors comme dans un cartoon. A côté de ces incursions dans le comique, la dimension à la fois terrifiante et mythique du héros démon est beaucoup plus convaincante que dans la version de Johnson, surtout lors de sa première apparition filmée comme une scène de film d'horreur.  Ce film à excès ne tient peut-être pas complètement la route, mais les exubérances de sa mise en scène le rendent attachant. Et le choix de l'Europe de l'Est comme décor crée un certain dépaysement par rapport au cadre américain habituel des films de superhéros. Divertissement décomplexé, Ghost rider : l'esprit de vengeance n'a pas l'ambition d'un Dark Knight mais est loin d'être un film idiot.


La bande-annonce de Chronicle fait craindre un énième "found footage", ces films aux allures de documentaire où les personnages passent leur temps à filmer tout ce qui leur arrive. Ajoutons à cela la relative jeunesse du réalisateur et du scénariste du film (27 et 26 ans), et on redoute le film "hype" dans l'air du temps. Au final le film est une très agréable surprise qui utilise pour une fois de manière convaincante et variée son procédé de faux documentaire. Mis en scène avec précision, le film suit l'évolution de son personnage central, Andrew, à travers son rapport avec la caméra. Adolescent persécuté et mal dans sa peau, sa position de caméraman traduit dans un premier temps une impossibilité à agir sur le monde qui l'entoure dont il a choisi de faire la chronique; jusqu'à ce qu'il se retrouve doté de pouvoirs surnaturels ainsi que deux camarades, et qu'il puisse se mettre en scène comme acteur en contrôlant la caméra à distance. Il devient alors chroniqueur esthète de sa propre histoire devenue hors du commun, filmant comme un cercle soudé le groupe qu'il forme avec ses deux compagnons dans un plan en plongée ou mettant en scène les préparatifs de sa sortie en costume avec masque sur les accords glorieux de "Ziggy Stardust" de David Bowie. La force de la scène est alors de construire une image héroïque pour justifier des actes qui ont peu à voir avec les exploits de Spiderman. En introduisant les pouvoirs surnaturels dans la réalité cruelle du monde adolescent, Chronicle fait au contraire le choix d'une noirceur audacieuse dans sa deuxième partie qui aboutit à un final évoquant Akira. Peu importe que le procédé de "found footage" trouve sa limite et soit comme laissé de côté lors de ce climax spectaculaire, on prend un énorme plaisir devant ce film qui va au bout de sa logique implacable, sans concessions.


22/02/2012

La dame de fer : de l'art de brasser du vide inoffensif

La dame de fer :  1 / 5

Margaret Thatcher est assurément un des personnages politiques les plus marquants du siècle dernier : première femme à être arrivée au pouvoir en Europe, sa longévité à la tête du gouvernement britannique (11 ans) reste à ce jour inégalée. C'est dire si un film sur cette figure historique controversée, appliquant avec brio un néolibéralisme qui a redressé l'économie britannique mais aussi ennemi juré d'une majorité de la classe ouvrière dont elle a affaibli durablement les syndicats, présentait un intérêt certain. Certes, le choix de placer Phillyda Lloyd (Mamma Mia!) aux manettes du projet était pour le moins curieux, mais la présence de Meryl Streep dans le rôle titre promettait une performance d’anthologie. 

 
Autant le dire tout de suite, le résultat est un ratage complet. Pourtant La dame de fer a de nombreux points communs avec J.Edgar, défendu sur ce blog : le commentaire comparatif des deux films permettra de mettre mieux en avant les défauts du film de Lloyd. Les deux œuvres offrent un point de vue narratif similaire, celui d'un personnage autrefois puissant affaibli par la vieillesse, qu'il soit aux portes de la mort (J.Edgar) ou en perte de contact avec le réel (La dame de fer). La prédilection accordée à cet espace privé où ces figures publiques du pouvoir sont montrées dans leur humanité fragile est le point de départ de portraits intimes. Avec en commun des deux "biopics" la description d' individus qui privilégient le travail à la cellule familiale : ainsi la demande en mariage maladroite de Hoover à Helen Gandy aboutit à l'embauche plus naturelle de la jeune femme comme secrétaire, et Dennis Thatcher fait sa demande au quartier général de campagne de sa fiancée après sa première défaite électorale, comme un tremplin pour sa carrière politique. Peu de place laissée aux sentiments dans la vie de ces deux personnages définis avant tout par leur vie publique et politique. Alors lorsque ces derniers refont surface, c'est naturellement dans les excès, comme la présence du fantôme du compagnon qui hante la Thatcher vieillissante ou le travestissement de Hoover en la mère qui l'a défini.


            
Cependant là où le film d'Eastwood trouvait dans l'homosexualité refoulée de Hoover l'origine de sa paranoïa et de son obsession du contrôle, les sphères publiques et intimes de la vie de Thatcher ne résonnent jamais entre elles. Tout au plus a-t-on droit à une brève dispute où Dennis reproche à sa femme sa soif de pouvoir. Il y aurait donc un problème de cohérence dans le film de Loyd, qui nous raconte dans un film le quotidien d'une Margaret Thatcher vieillissante et fait dans l'autre le récit de son ascension politique et de sa chute. Enfin, c'est beaucoup dire, car le film survole hélas le contexte de l'Angleterre des années 70 et 80, présent à l'arrière-plan mais jamais explicité. C'est que le film de Lloyd se veut apolitique, décrivant le parcours de la femme Thatcher plus que celui du leader libéral ; le problème étant que Thatcher est définie par son œuvre politique et qu'il reste alors très peu de matière au film. J.Edgar racontait avec détail la recherche des kidnappeurs du fils de Charles Lindbergh, quête héroïque et médiatisée logiquement mise en avant par le patron du FBI dans ses mémoires ; La dame de fer ne s'attarde finalement que sur la guerre des Malouines, décrite de manière mécanique sans enjeu dramatique. 


C'est que là où Eastwood est un metteur en scène classique mais brillant, Lloyd use d'effets inutiles voire ridicules (les ralentis hideux qui suivent les attentats de l'IRA, le départ final de Dennis) au lieu de laisser la place aux acteurs. Meryl Streep et Jim Broadbent, acteurs chéris à juste titre, ont très peu d'espace où s'installer dans ce film sans rythme, où leurs personnages sont réduits à des surfaces vides et caricaturales : la performance de Streep est alors réduite à une numéro d'imitatrice un peu vain. Le film se voulait apolitique, il est au final sans saveur et sans intérêt, faute de véritables point de vue et enjeux.


18/02/2012

Something for the weekend : Dos au mur, La taupe, Cinq pièces faciles

Dos au mur : 2 / 5
La taupe : 4 / 5
Cinq pièces faciles  : 5 / 5


Dos au mur fait partie de ce genre de films qu'on regarde le samedi soir la tête vide, dont la présence au cinéma plutôt qu'à la télévision n'est vraiment justifiée que par un casting semi-luxueux (ici Sam Worthington est en tête d'affiche avec Ed Harris en antagoniste). Sans être honteux, ce film souffre de quelques ratés : en premier lieu le couple formé par le frère du héros et sa compagne, dont les accrochages supposément comiques tombent complètement à plat. Le film du danois Asger Leth ronronne avec des rebondissements attendus et des comédiens qui assurent le minimum syndical faute d'avoir des rôles réellement intéressants à servir ou le talent nécessaire : Genesis Rodriguez, dont les formes généreuses sont mises en avant avec une grande finesse, est d'évidence une Megan Fox en devenir. Une fois identifié comme série B sans ambition, Dos au mur n'est cependant pas déplaisant somme toute et présente même une pointe d'intérêt dans sa présentation du travail quotidien des négociateurs de la police et son arrière-plan d'une Amérique en pleine crise économique, même s'il s'avère un brin caricatural et simpliste sur ce dernier plan.




Autre cinéaste d'origine nordique aux manettes d'une production anglophone, le suédois Tomas Alfredson propose avec La taupe un cinéma aux antipodes de la simplicité de Dos au mur. L'adaptation du roman éponyme de John le Carré plonge le spectateur dans le monde confus de l'espionnage au temps de la Guerre Froide, quitte à le laisser un peu perdu dans un premier temps face à cet univers codé où manipulations, trahisons et agents doubles sont monnaie courante. Cependant, grâce à une mise en scène qui rend à merveille une atmosphère paranoïaque et une incarnation épatante des personnages par la crème de la crème des acteurs britanniques (Gary Oldman, Colin Firth, John Hurt, Mark Strong ...), le film parvient à dépasser ces premiers méandres tortueux pour devenir passionnant, une fois les pièces de l'intrigue mises en place. Si la qualité du film tient en grande partie du matériau dont il est tiré, Alfredson a le mérite de donner une forme purement cinématographique à un récit qui fait le meilleur usage de structures en flashbacks et de montages parallèles, et de surprendre en créant une réelle émotion dans un final brillantissime.


Enfin, pour ceux qui souhaiteraient découvrir les débuts de Jack Nicholson, Cinq pièces faciles vient de ressortir. Il s'agit surtout d'une œuvre fondatrice du cinéma américain des années 70, où le retour désenchanté à la réalité après le rêve des années 60 se perçoit dans l'errance personnelle et sentimentale d'un antihéros désœuvré. Tour à tour intense et d'une grande sensibilité, le film de Bob Rafelson est à l'image de son protagoniste dont les espoirs, les rêves brisés et les doutes sont le reflet de la frustration et des désillusions sociales plus que jamais d'actualité. 
 

16/02/2012

Le marin masqué / Un monde sans femmes : vacances et amours brèves

Le marin masqué : 3,5 / 5
Un monde sans femmes : 4 / 5

Y a-t-il une place dans les cinémas pour les courts ou moyens métrages? La sortie simultanée du Marin masqué (38 minutes) et d' Un monde sans femmes (qui fait un peu moins d'1 heure) mercredi dernier, bien que sur un nombre de copies restreintes, répond par l'affirmative de belle manière. Les films de Sophie Letourneur et Guillaume Brac retrouvent en effet avec bonheur l'esprit et la fraîcheur naturaliste du cinéma d' Eric Rohmer et Jacques Rozier, l'euphorie et la nostalgie des marivaudages de vacances.



Dans Le marin masqué, un couple de filles, Laetitia et Sophie, partent pour le week-end à Quimper : la belle complicité qui les unit, leur franc-parler nous les rendent immédiatement attachantes comme pouvaient l'être les trois amies de Du côté d'Orouët de Rozier. Le rapport intime construit avec le spectateur tient aussi à la forme singulière du film, Laetitia et Sophie semblant commenter en off un film de vacances tourné en noir et blanc super-8, qu'elles post-synchronisent simultanément avec plus ou moins d'exactitude. Jouant de ce double décalage temporel et formel et de dialogues d'un naturel confondant comme ressorts comiques, le film navigue aussi vers une mélancolie émouvante, celle des amours de jeunesse qui font se demander "Et si ?". On pourra reprocher au dispositif esthétique de s'essouffler un peu à la longue et à la narration de s'enliser par moments dans l'ennui de ses deux héroïnes désœuvrées, mais rien que pour une magnifique balade finale en voilier Le marin masqué est hautement recommandable.


Un monde sans femmes, premier film de Guillaume Brac, est quant à lui un coup de maître dans le registre de la comédie douce amère chère à Eric Rohmer, sur la beauté et la cruauté des jeux de l'amour . Il est précédé d'un court-métrage Le naufragé introduisant le personnage principal de Sylvain, trentenaire célibataire faute de trouver une compagne dans la ville du Nord vieillissante où il habite : dégarni aux cheveux longs, un peu enrobé, le metteur en scène  de théâtre Vincent Macaigne incarne cet antihéros fragile, dont la maladresse burlesque nous le rend d'emblée sympathique. Alors qu'il se retrouve à louer un appartement à deux parisiennes séduisantes, on pense au Bernard Menez dépassé confronté aux trois filles dans Du côté d'Orouët. Construit autour de ce très beau personnage de cinéma atypique, le film alterne brillamment moments de pure comédie et scènes touchantes où pointe le désarroi d'un groupe de protagonistes en mal d'amour. La mise en scène précise de Brac et des dialogues savoureux servis par des acteurs inconnus mais tous excellents produisent un enthousiasme rare. On ne quitte qu'à regret ce monde sans femmes, modèle de légèreté et de délicatesse.

13/02/2012

Detachment : peut mieux faire

1,5 / 5

On n'avait plus eu de nouvelles de Tony Kaye depuis son premier et très réussi film American history X en 1998, qui avait révélé Edward Norton jusqu'alors cantonné à des seconds rôles. Les déboires vécus par le réalisateur auquel on avait imposé un montage peuvent expliquer son absence de plus de dix ans des grands écrans, et comme pour saluer ce retour longtemps attendu le festival de Deauville a doublement récompensé Detachment qui a reçu le Prix de la Critique Internationale et celui de la Révélation Cartier. La bande-annonce du film laissait entrevoir un film réaliste sur le désarroi des enseignants aux États-Unis, un Entre les murs outre-Atlantique avec un rôle enfin à la hauteur du formidable et trop rare Adrien Brody. La copie de Kaye ramassée, on hésite malheureusement entre "médiocre" et "insuffisant".


Afin de planter le décor, le film s'ouvre sur une série de témoignages sur l'école : au fur et à mesure, on comprend que les intervenants sont des enseignants qui décrivent le trajet qui les a amené à leur métier. Ces récits, gros plans sur des visages esthétisés par le noir et blanc, alternent avec la mise en place d'une intrigue de fiction où nous est présenté Henry Barthes, qui a lui aussi droit à des monologues en gros plan où il exprime son désarroi existentiel. Dès les premières minutes, on ressent la difficulté que Kaye a à organiser ces différentes matières pour produire un quelconque sens. S'il cherche à produire un effet de réel par ces confessions intimes, ce dernier est neutralisé par une esthétique fatigante qui parasite sans cesse les scènes, tels que ces zooms et mises au points incessantes lors de l'échange entre le proviseur du lycée où va travailler Barthes et son supérieur. L'immersion dans le monde de l'enseignement d' Entre les murs était rendue possible au contraire par une esthétique quasi-documentaire, invisible.


Tony Kaye a beau affirmé que Detachment n'est pas un film sur l'enseignement et a une portée plus large, la distance imposée par sa mise en scène omniprésente ne nous permet jamais d'être en empathie avec les personnages du film. Le réalisateur survole une intrigue qui aligne par ailleurs les clichés les plus désarmants : une adolescente un peu enrobée et artiste photographe aux tendances gothiques se fait ainsi réprimander par un père incompréhensif hors-champ, Barthes recueille une adolescente qui se prostitue et un professeur en difficulté rentre chez lui sans que sa famille daigne lui adresser la parole. Inutile de préciser que ce film se prend par ailleurs très au sérieux et que seul un personnage de professeur désabusé apporte à peine une pointe d'humour dans ce désespoir de tous les instants.


Plus que de l'indifférence, Detachment produit un sentiment de gâchis perpétuel. Malgré une brochette d'acteurs d'habitude excellents, tels que Marcia Gay Harden (vue chez Eastwood) et James Caan, le peu d'espace qui leur est réservé et leurs rôles caricaturaux ne leur permettent pas de briller. Même Adrien Brody semble dépourvu de la finesse et l'intensité qui l'habitait dans Le pianiste. La scènes finale, où Barthes lit un extrait de La chute de la maison Usher sur les images d'un lycée désert fantasmagorique, aux couloirs jonchés de copies pareilles à des feuilles mortes, porte quant à elle une puissance visuelle assez remarquable pour ne pas laisser penser que Kaye est capable de nous offrir mieux que ce film brouillon.

03/02/2012

Something for the weekend : Hanezu, l'esprit des montagnes / Sur la planche

Hanezu, l'esprit des montagnes : 2,5 / 5
Sur la planche : 4 / 5

Si le public fait déjà un triomphe en salles à La vérité si je mens 3 ! qui a réalisé un très bon démarrage avec 400 000 entrées, je vais quant à moi vous parler de deux films sortis cette semaine et dont la sortie est beaucoup plus confidentielle. Soit Hanezu, l'esprit des montagnes de la japonaise Naomi Kawase et Sur la planche de la marocaine Leïla Kilani, deux propositions de cinéma originales et radicales. Les deux cinéastes ont en commun une expérience dans le documentaire . Cependant alors que la place de Kawase dans le cinéma de fiction a été confortée par les honneurs reçus à Cannes (caméra d'or en 1997 pour son premier film Suzaku, puis grand prix du jury en 2007 pour La  forêt de Mogari) il s'agit pour Kilani de son premier long métrage de fiction présenté cette année au même festival. Mais entre le film de la cinéaste de fiction expérimentée et celui de la nouvelle venue, le plus convaincant n'est pas celui que l'on croirait.



Hanezu, l'esprit des montagnes suit l'histoire d'une femme dans une campagne japonaise qui trompe l'ennui de sa vie de couple tranquille avec un amant sculpteur et passionné. Une histoire d'adultère banal en somme, auquel vient s'ajouter la complication d'une grossesse.  Mais les conflits occasionnés par ce bouleversement ne sont pas ce qui intéresse vraiment Kawase, mais plutôt ce en quoi la situation vécue par ses personnages renvoie à un passé historique voire ancestral qui influe sur le présent. Nimbé de mystère, à l'écoute d'une nature habitée par les dieux et les esprits, Hanezu, l'esprit des montagnes offre quelques moments d'une beauté cinématographique incontestable : des corps nus filmés dans une caverne sombre où l'on entend résonner leur souffle devenu surnaturel, le surgissement de fantômes de soldats japonais côtoyant les vivants en plein jour. L'exploration de Kawase du passé du Japon, à partir des ruines déterrées de son ancienne capitale, est un projet passionnant. Malheureusement, si Kawase a un don indéniable pour l'esthétique et la création d'ambiances intrigantes, le film pâtit d'un manque de dramaturgie ou d'un discours plus abouti. Tel quel, Hanezu, l'esprit des montagnes est un film sensoriel qui tourne un peu à vide jusqu'à la répétition lassante d'images peu à peu privées de leur puissance singulière.


Loin du lyrisme fantastique de Hanezu, Sur la planche est une plongée dans la réalité des classes ouvrières de Tanger, mis en scène dans un naturalisme tendu qui évoque le style des frères Dardenne. Avec la voix off de son héroïne arrêtée par la police dès la première minute et une narration qui décrit alors les semaines qui ont conduit à cette chute, Leïla Kilani donne aussi à son film une forme de polar qui le rapproche du cinéma de Jacques Audiard. Babia, jeune femme travaillant dans une usine de crevettes le jour , dont l'odeur lui colle à la peau, s'échappe de son quotidien sordide et dégradant la nuit en délestant avec une amie des hommes qu'elle séduit : pour ces excursions, elle s'invente ouvrière dans le textile, travailleuse dans la zone franche d'exportation à laquelle elle n'a pas accès. Soufia Issami l'incarne avec une énergie bouillonnante, à l'image du flot saccadé de mots qui semble se déverser d'elle tel un trop plein .Interprété par des actrices non professionnelles dont on a l'impression qu'elles jouent leurs propres rôles, Sur la planche est parcouru d'une urgence, une immédiateté brute dans lequel le spectateur est pris avec les personnages. Fenêtre sur un monde peu connu proche du documentaire, l'œuvre de Kilani trouve aussi un souffle romanesque dans sa description d'un groupe de jeunes femmes, ombres nocturnes  qui s'imaginent un temps que le monde leur appartient. Trouvant un équilibre juste entre réalisme et imaginaire, Sur la planche est un beau film essentiel avec un véritable enjeu, qualité qui manque à Hanezu, l'esprit des montagnes.