26/05/2012

De rouille et d'os : le style Audiard



De rouille et d'os : 4 / 5 

Un des favoris du festival de Cannes, De Rouille et d'os rencontre également un succès public et se place à la tête du box-office pour sa semaine de sortie. Cet accueil doublement favorable est mérité pour un film qui confirme le talent de Jacques Audiard. Durant les années 2000, le fils du plus célèbre dialoguiste du cinéma français s'est fait un prénom en s'imposant comme l'auteur à suivre, raflant les Césars du meilleur scénario pour Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté et Un prophète, et les Césars du meilleur réalisateur et du meilleur film pour les deux derniers films. D'où vient l'enthousiasme généralisé que suscite chaque métrage d'Audiard, sans équivalent dans le paysage cinématographique français ?


 

Il y a dans le cinéma d'Audiard une réelle tension, portée par une mise en scène dynamique. Cet aspect tendu est lié à une référence explicite aux codes du film noir : cette influence aboutit à des éclats de violence dont la sauvagerie est symbolisée par des effusions de sang qui laissent des traces. Dans Sur mes lèvres, Clara (Emmanuelle Devos) aide Paul (Vincent Cassel) à camoufler une intimidation musclée qui le laisse avec un nez cassé d'où le sang s'écoule à profusion ; suite au corps-à-corps inattendu et brutal qui clôt De battre mon cœur s'est arrêté, Tom (Romain Duris) se rend à un concert avec un costume aux tâches de sang mal dissimulées ; au pinacle de la violence on trouve la scène où Malik (Tahar Rahim) assassine un détenu dans Un prophète, filmée en continu dans un esthétique gore, l'hémoglobine jaillissant en jets ou se répandant en mare. Cette dernière scène, traumatisante pour le spectateur, l'est tout autant pour le jeune héros hanté au sens littéral par le fantôme de sa victime tout au long du film. 

 

De rouille et d'os renouvelle avec intelligence cette violence qui sert de fil rouge à l'œuvre d'Audiard. Si les combats de rue auxquels participe Ali (Matthias Schoenarts) sont riches en effusions de sang (crachats ou dent arrachée), la rencontre la plus brutale est celle entre Stéphanie (Marion Cotillard) et un orque : le film en porte la trace indélébile et visible à travers les trucages (très réussis) qui transforment les jambes de l'actrice en deux moignons. Plus que l'accident en lui-même, dont la violence est atténuée par une prise de vue sous-marine qui confère un caractère presque paisible à l'image du corps mutilé, ce qui intéresse le réalisateur est son après, la renaissance de Stéphanie. 

 

Parmi les scènes les plus belles et les plus émouvantes de De rouille et d'os, il y a un magnifique retour à la vie de Stéphanie opéré en deux temps : la jeune femme reproduit d'abord la chorégraphie du spectacle durant lequel elle a perdu les deux jambes dans une séquence au découpage dynamique sur Firework de Katy Perry ; puis la musique s'arrête pour laisser place au silence lorsque l'héroïne retourne sur son ancien lieu de travail et dirige un orque (son agresseur ?) dans un ballet lent et majestueux. L'enchaînement des deux séquences illustre le talent de formaliste protéiforme de Jacques Audiard, capable de passer d'un rythme soutenu à un instant de calme de manière imperceptible, en suivant simplement ses personnages. La confrontation silencieuse entre la dresseuse et l'animal témoigne quant à elle d'une autre force de son cinéma, la façon dont il fait parler les corps plutôt que d'avoir recours aux mots.

Alors qu'une grande partie du cinéma français est trop bavard, privilégiant des dialogues explicatifs et inutiles, la finesse d'Audiard est de construire des relations par-delà le langage : cela faisait toute la beauté du rapport entre Tom et sa professeure de piano dans De battre mon cœur s'est arrêté, que l'on retrouve dans les non-dits entre Ali et Stéphanie dont les échanges verbaux vont à l'essentiel. On pourrait résumer l'esthétique de l'auteur ainsi : placer les gestes avant les mots, les sensations avant les sentiments. 

 
Car son cinéma est sensoriel par dessus tout. C'était évident dans Sur mes lèvres qui donnait à voir le monde à travers son héroïne malentendante, par un traitement contrasté du son mais aussi des fermetures à l'iris pour signifier toute l'importance que prenait la vue pour elle. Le metteur en scène faisait appel au même effet visuel dans Un prophète, pour renforcer l'impression d'enfermement physique ou psychologique. Cet accent mis sur les sens et la perception glisse depuis Un prophète vers un onirisme présent dès l'ouverture abstraite de De rouille et d'os qui fait se suivre une série d'images mystérieuses et un corps endormi.
La mise en avant des subjectivités au sein du cinéma d'Audiard implique l'établissement d'un rapport intime entre la mise en scène et les acteurs, toujours dirigés admirablement par le réalisateur. Jouant de l'image de « mauvais garçon » de Vincent Cassel, il lui avait offert le rôle d'un ex-taulard bourru qui contrastait à merveille avec la fragilité du personnage de Carla. Dans De battre mon cœur s'est arrêté, il avait utilisé au mieux le caractère nerveux du jeu de Romain Duris pour les face-à-faces tendus entre Tom et son piano. Pour De rouille et d'os, tandis que Matthias Schoenarts confirme les espoirs portés sur lui depuis Bullhead, on a rarement vu Marion Cotillard aussi naturelle et convaincante, débarrassée de tout glamour ou maquillage encombrants.


 Un point négatif cependant : malgré le talent des comédiens et le brio de la mise en scène, on ne peut s'empêcher de voir mise à jour dans le dernier opus d'Audiard la limite de son système. Désireux de maintenir l'attention du spectateur et de jouer sur différents tableaux, le réalisateur multiplie souvent les récits, quitte à offrir des pistes narratives peu convaincantes (la relation entre Tom et la femme de son collègue dans De battre..., par exemple). Avec Un prophète et sa micro-société prison, l'auteur avait trouvé un cadre idéal pour assouvir sa soif de contenu dramatique. De rouille et d'os s'avère par contraste bancal, ne faisant vivre que ses deux personnages centraux magnifiques tandis que ceux qui les entourent sont désincarnés, jouant des rôles purement fonctionnels dans l'intrigue. Le fait est d'autant plus remarquable et regrettable qu'Audiard a choisi pour les interpréter des acteurs qui ont eu l'occasion de briller ailleurs. Le spectateur frustré verra très peu Corinne Masiero (la découverte de Louise Wimmer) et encore moins les non moins talentueux Bouli Lanners et Céline Sallette (merveilleuse dans L'Appolonide). 

 
De rouille et d'os est donc un bon film, toujours passionnant formellement, mais n'est malheureusement pas aussi abouti que les œuvres les plus réussies de son auteur (De battre..., Un prophète). Mais la magnifique douceur dans laquelle baigne le film par instants (notamment lors des scènes à la plage) est un élément assez neuf et intéressant dans le cinéma d'Audiard pour nous convaincre que le réalisateur, loin de tourner en rond, a encore beaucoup à nous montrer.

En bref : pas une Palme d'or, mais un prix du réalisateur et des prix d'interprétation possibles et bien mérités ; un film à ne pas manquer

23/05/2012

The Day He Arrives : ennui poseur au pays du matin calme


 The Day He Arrives : 2,5 / 5

Depuis l'émergence du cinéma sud-coréen à la fin des années 90, on a pu en dégager deux tendances : d'un côté, des films au budget conséquent et à la mise en scène brillante dont trois auteurs emblématiques (Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Kim Jee-woon) sont en train de réaliser leurs premiers projets américains ; de l'autre, un courant intimiste dont Hong Sang-soo est un des représentants les plus prolifiques. Tant et si bien qu'il est devenu un habitué du festival de Cannes : si In Another Country est cette année en compétition officielle, Hahaha avait remporté le prix « Un Certain Regard » il y a deux ans tandis que The Day He Arrives, présenté l'année dernière dans la même catégorie, vient de sortir sur nos écrans. Et, au vu de cet avant-dernier opus, on est en droit se demander si le cinéaste n'aurait pas intérêt à ralentir sa cadence de production.




Yoo, cinéaste exilé à la campagne et qui ne tourne plus de films, revient pour quelques jours à Séoul où il a passé sa jeunesse. Entre ses retrouvailles avec une « ex » ou un ami et des rencontres de hasard, le film suit l'errance de son personnage principal dans la capitale coréenne, ponctuée de scènes de repas ou de beuveries. Les dialogues y sont sous l'influence d'Éric Rohmer, associant échanges intellectuels sur la vie et confessions intimes à des jeux de séduction.

Si The Day He Arrives parvient à renouer ponctuellement avec la légèreté charmante de l'auteur des Contes moraux, un sentiment d'ennui s'installe et fait paraître sa courte durée (1h20) bien longue. Face au manque d'enjeu dramatique qui se fait vite sentir et à l'aspect répétitif du film (décors récurrents, banalités échangées lors des rencontres de hasard), même s'ils sont tous deux intentionnels et rendent compte du désœuvrement des personnages, le spectateur perd patience.
D'autant plus que le film souffre d'une mise en scène plate, parfois proche de l'amateurisme avec ses zooms aléatoires. Le noir et blanc sert alors de remède esthétisant un peu facile, qui relève autant de la pose artistique que l'utilisation de la voix off de Yoo, inutilement explicative et peu convaincante. Hong Sang-soo se positionne en observateur distant des rapports humains, comme Rohmer, mais est loin d'avoir la verve de son prédécesseur, se contentant d'une trouvaille amusante sur le moyen imparable de faire la description juste d'un caractère.



Tourné en sept jours avec un scénario écrit au fur et à mesure, The Day He Arrives manque donc de rigueur formelle et scénaristique. C'est dommage car Hong Sang-soo s'avère un très bon directeur d'acteurs (tous convaincants) et sait créer des ruptures de ton et des décalages intéressants. Il en va ainsi de la scène où Yoo boit avec des étudiants en cinéma et se montre complice avant de les laisser en plan de façon burlesque; d'un plan lors de sa visite à un amour abandonné où les acteurs passent de la distance polie à un épanchement soudain et comique; de la façon maladroite dont un homme dévoile son amour pour sa meilleure amie en dressant ses qualités sur un ton colérique. Ces moments sont malheureusement trop épars pour faire de Hong Sang-soo le meilleur prétendant au titre d'héritier d'Éric Rohmer. On lui préférera dans cette catégorie Guillaume Brac et son formidable Un monde sans femmes.

En bref  : dispensable


15/05/2012

Dark Shadows : l'ombre de Burton


Dark shadows : 2,5 / 5

Entre la reprise de l'exposition du Musée d'art moderne de New York à la Cinémathèque Française, la sortie de Dark Shadows la semaine dernière et celle de Frankenweenie en fin d'année, 2012 est l'année Tim Burton. L'auteur y est-il pour autant à son apogée ? Hélas, pas vraiment, Dark Shadows confirmant des signes d'épuisement, perceptibles dans son cinéma depuis quelques années.


Jusqu'à la fin des années 90, la carrière de Burton montrait une belle cohérence, avec deux périodes bien distinctes. Cet artiste à l'imagination très noire avait quitté les studios Disney pour signer une série de films, à l'univers gothique et pervers, qui mettaient à mal l'Amérique bien-pensante : le point culminant de cette première période était le sombre L'étrange Noël de Monsieur Jack produit par Disney, Burton tenant alors sa revanche sur ceux qui l'avaient fait dessiner des personnages adorables jusqu'à l'écœurement. Ayant finalement imposé son univers personnel, le cinéaste avait signé ce qui peut être perçu rétrospectivement comme une trilogie, visuellement éclectique, en hommage aux films qui avaient nourri son imagination (Ed Wood, Mars Attacks !, Sleepy Hollow). Le premier faux pas, avec le très conventionnel La Planète des Singes, en 2001, signait la fin de cette période dorée.

Pourquoi les films de Burton des années 2000 ne sont-ils jamais parvenus à retrouver totalement la magie de ses premières œuvres ? Sans pour autant être mauvais (à l'exception peut-être d'Alice au Pays des Merveilles, d'un ennui mortel), chaque film déçoit un peu car le cinéaste ne parvient plus à surprendre. Si l'on considère Sweeney Todd, son film le plus surprenant et convaincant ces dernières années, le mérite en revient au décalage macabre de la comédie musicale dont est tiré le métrage, plus qu'au réalisateur.


Dark Shadows laisse pourtant l'illusion d'un possible renouvellement. Après un prologue au romantisme noir, attendu chez Burton (un homme, Barnabas Collins, se jette d'une falaise pour rejoindre dans la mort sa fiancée tombée sous l'emprise d'une sorcière, avant d'être changé en vampire par cette dernière), le passage aux années 70 et à Nights in White Satin qui accompagne le trajet d'une jeune gouvernante, mystérieuse mais ordinaire, semble ouvrir sur un possible territoire inexploré pour l'auteur. Le premier quart d'heure ne fait que peu appel au fantastique, mais pose une atmosphère étrange, à partir des excentricités de la famille Collins chez qui l'héroïne est engagée. Hélas, une fois Barnabas revenu parmi les siens, le récit oublie bien vite tous les personnages au profit d'un Johnny Depp producteur omniprésent, et le film se transforme en comédie fantastique ronronnante jusqu'à son final bâclé.

Voir Johnny Depp cabotiner à outrance dans un rôle aussi caricatural et figé que celui de Jack Sparrow (amusant dans le premier Pirates des caraïbes avant de devenir insupportable par la suite) fait de la peine quand on se souvient de ses premières collaborations extraordinaires avec Burton. La présence d'Alice Cooper, qui incarne son propre rôle 40 ans plus tôt, devient curieusement la métaphore du statut du réalisateur et de son acteur fétiche : les deux artistes réutilisent les trucs qui ont fait leur succès mais le tout ressemble à un numéro d'auto imitation. En lien avec ce manque d'investissement réel, le film fait se suivre les scènes plus ou moins réussies, sans jamais acquérir de profondeur, et laisse l'impression d'un « patchwork » un peu incohérent.


Mais la dimension la plus inquiétante pour l'avenir de Burton est la façon dont il fait, mine de rien, le récit d'une victoire de l'ordre établi. Barnabas issu d'une famille bourgeoise a été changé en vampire par une servante qu'il a séduite puis rejetée (la sulfureuse Eva Green). La vengeance de cette dernière peut alors être perçue comme une revanche sociale légitime contre le symbole d'une classe dominante et méprisante. Mais ce que le film nous raconte, c'est plutôt la renaissance des Collins, sans jamais mettre vraiment en question la légitimité de Barnabas. Alors que la sorcière vaincue pleure des larmes qui se perdent dans les fissures d'un visage craquelé (belle image qui montre bien ce dont Burton est encore capable par intermittence), on ne retrouve pas la compassion tragique qui avait fait l'émotion de la mort du monstrueux Pingouin dans Batman Returns. Et Burton d'achever son film par un « happy end » et un plan final digne des films d'horreur les plus standards, qui laissent au spectateur un arrière-goût très amer.

En bref : dispensable





09/05/2012

Barbara : entre désir de liberté et élans du cœur



Barbara  : 3,5 / 5

Barbara de Christian Petzold, Ours d'argent de la mise en scène au dernier festival de Berlin, n'est pas sans évoquer La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmack : les deux films se déroulent dans la RDA des années 80 et proposent à partir de ce contexte des drames psychologiques tendus. Mais les destins individuels décrits par les deux films tracent des trajectoires opposées. En effet, alors que l'agent de la Stasi de La vie des autres voyait vaciller sa foi dans le système totalitaire qu'il servait, l'héroïne éponyme du film de Petzold, résolue à fuir l' Allemagne de l'Est, se retrouve confrontée à un dilemme.


Suite à une demande de sortie de RDA, Barbara (Nina Hoss), chirurgien pédiatre, est mutée de Berlin pour un hôpital de province. Dès son arrivée à son nouveau lieu de travail, elle est placée sous surveillance : écrasée dans un plan en forte plongée, elle est observée par le médecin-chef André (Ronald Zehrfeld) découvert en contrechamp en compagnie d'un officier de la Stasi qui dresse son portrait. Centré sur le personnage de Barbara, le film plonge dès lors le spectateur dans une atmosphère hitchcockienne et paranoïaque, où les moindres faits quotidiens trahissent l'anormalité ; ainsi la sollicitude dont fait preuve André à l'égard de sa collègue en la reconduisant chez elle, est immédiatement suspecte étant donné qu'il ne lui demande même pas où elle habite. Si Barbara reste dans une distance méfiante, ce n'est qu'une réponse aux violations quotidiennes de son intimité : sa logeuse autoritaire lui ordonne de l'accompagner pour lui montrer la cave sans même lui laisser le temps de s'habiller. La Stasi peut débarquer sans crier gare et se livrer à une fouille méticuleuse. Pour reprendre les propos que tient l'héroïne à son amant venu de l'Ouest qui se propose de la rejoindre, « il n'y a pas de vie possible ici ».



Le suspens pourrait donc se résumer dans un premier temps à savoir si Barbara parviendra à s'échapper et retrouver un ailleurs synonyme de liberté. Mais l'originalité et l'intelligence du film de Petzold est de bouleverser cette situation  de départ de manière progressive. Barbara trouve d'abord sa place à l'Est en offrant sa compassion chaleureuse à une jeune patiente martyrisée par les autorités : elle résiste ainsi à un régime autoritaire et insensible en adoptant une attitude humaniste. Cependant son hésitation à partir ne tarde pas à prendre une dimension plus intime, à travers sa relation sentimentale avec André au cœur du film. Barbara se montre alors passionnant et d'une grande finesse en restant toujours ambigu sur les motivations de son personnage masculin qui garde comme l'héroïne sa part de mystère : Barbara et le spectateur peuvent-ils accorder leur confiance à André ? Le contexte politique de l'intrigue permet à Petzold d'illustrer au mieux la confrontation à l'autre, la part d'inconnu propre à la construction d'un couple. Nina Hoss et Ronald Zehrfeld sont tous deux extraordinaires dans un jeu nuancé et retenu, au service de la tension palpable de scènes où les mots sont suspects et la vérité perce dans les silences, les gestes et les regards.


L'hésitation de Barbara est incarnée par la représentation ambivalente de la RDA où elle évolue.  Petzold a voulu en donner l'image d'une « île socialiste au milieu d'un monde capitaliste » (il s'en explique dans un entretien accordé au magazine Positif) : si elle devient alors équivalente à une prison pour Barbara, l'aspect insulaire passe aussi par la description d'un cadre naturel et sauvage qui entoure la société rigide. Avec sa plage désolée où la mer s'agite, son bois où peuvent se rencontrer les amants en secret et sa croix isolée au pied de laquelle l'héroïne cache des Deutsche Mark d'Allemagne de l'Ouest, son décor confère à  Barbara un charme romantique indéniable et persistant. 

En bref : à voir 


03/05/2012

Miss Bala : un film choc sur une nation prise au piège


Miss Bala
:
4 / 5


Depuis 2006, le conflit qui oppose le gouvernement mexicain au cartel de la drogue a fait plus de 35 000 morts. Ne serait-ce que parce qu'il rend compte de cette réalité, en traitant de manière frontale la criminalité et la corruption qui règnent au Mexique, Miss Bala est un film important. En prise directe avec le réel, le métrage de Gerardo Naranjo trouve son origine dans un fait divers, que le réalisateur transforme en thriller haletant, en adoptant le point de vue d'une victime instrumentalisée par les narcotrafiquants. 


Laura (Stephanie Sigman) est une belle jeune femme qui compte bien s'échapper de l'environnement pauvre de Baja en participant à un concours de beauté : pleine d'espoir, elle offre un visage souriant à la caméra, qu'on pourrait placer parmi des photographies de stars qui tapissent les murs de sa chambre. Elle s'amuse avec son amie à passer devant une file de candidates au concours qui partagent le même rêve glamour. Cependant cette chimère est bien vite rattrapée par la réalité sordide d'une boîte de nuit, où une danse lascive avec des policiers peut servir de ticket d'entrée à la compétition des « miss ». En un plan, le film bascule : le reflet flou de Laura dans le miroir des toilettes où elle s'est réfugiée dit bien la distance qui s'établit déjà entre elle et un rêve sali ; son amie accepte de quitter la boîte et Laura, rassurée, peut se recoiffer dignement ; mais alors qu'elle se retrouve seule un homme armé fait irruption (Noe Hernandez) et la menace alors qu'elle s'est recroquevillée, apeurée et soumise ; s'ensuit un règlement de comptes qui est pour l'héroïne le commencement d'un long cauchemar éveillé.


Si la brillance formelle de Miss Bala, avec ses mouvements de caméra chorégraphiés avec précision, peut évoquer certains plans du cinéma de De Palma, l'usage qu'en fait Naranjo est à mille lieues du formalisme jubilatoire au cœur de Blow out ou Snake eyes. En utilisant la durée des plans, le réalisateur mexicain cherche, quant à lui, à inscrire son intrigue dans des environnements décrits avec précision : le choix s'avère payant, conférant un aspect documentaire au film (absence de coupes donc impression de réel) en même temps qu'il contribue à installer une tension constante. 

Prise dans les rouages du trafic de drogue, Laura ne peut s'échapper et attend avec anxiété les rebondissements tragiques d'un destin qu'elle ne contrôle plus. Entre une interpellation musclée par un policier, l'irruption du cartel de la drogue chez elle ou une fusillade qui éclate sans prévenir, l'héroïne subit sans jamais pouvoir se défendre. La mise en scène de la confrontation musclée entre les forces de l'ordre et les trafiquants illustre bien l'esthétique choisie par Naranjo : le spectateur reste avec Laura dans la voiture, avant que le plan suivant ne s'attarde sur des corps blessés ou abattus qui s'écroulent, plutôt que de proposer un face à face spectaculaire et hollywoodien. Au spectacle pyrotechnique, le réalisateur préfère la confrontation psychologique entre la jeune femme et son tortionnaire, le chef des trafiquants (Noe Hernandez, d'un calme inquiétant) : la façon dont ce dernier prend peu à peu le contrôle du corps de sa victime est un des éléments les plus glaçants du film.


En plaçant le spectateur du côté d'une héroïne ordinaire et pleine de vie, vidée peu à peu de toute son énergie et de sa volonté (interprétée avec courage par une Stephanie Sigman dont même la terreur initiale s'efface pour laisser place à une résignation apathique), Gerardo Naranjo montre la situation du Mexique dans ce qu'elle a de plus révoltant, d'inhumain. Film fort et engagé, Miss Bala permet aussi de découvrir un metteur en scène talentueux dont on attend avec enthousiasme le premier projet hollywoodien The Mountain Between us auquel le nom de Michael Fassbender est attaché. On lui souhaite une carrière internationale égale à celle de ses brillants compatriotes Guillermo Del Toro (Hellboy, Le labyrinthe de Pan), Alfonso Cuaron (Les fils de l'homme) et Alejandro Gonzalez Inarritu (Babel, Biutiful).

En bref : à ne pas manquer