The Deep Blue Sea : 3,5 / 5
Les
premières minutes de The Deep Blue Sea constituent assurément
une des plus belles ouvertures qu'il a été donné de voir cette
année au cinéma. Sur un concerto poignant de Samuel Barber, le
film nous plonge dans les pensées d'une femme en train de se
suicider à travers ses souvenirs. On assiste alors à un équivalent
convaincant de la technique littéraire du “flux de conscience”,
à l'union fascinante de Virginia Woolf et Luchino Visconti . Alors
que la caméra virevolte autour d'un couple entrelacé après l'amour
dans le passé pour revenir au corps allongé de la femme désespérée
au présent, le film atteint une intensité émotionnelle et formelle
qui témoignent de la compréhension profonde du langage
cinématographique et de ses possibilités chez Terence Davies,
cinéaste britannique rare et peu connu.
Tiré d’une pièce de
Terence Rattigan des années 50, The Deep Blue Sea parvient à
s’en détacher efficacement pour devenir un objet purement
cinématographique. Le film évite ainsi l’écueil de « théâtre
filmé », piège dans lequel tombait dernièrement Le Prénom
en tentant d’injecter du cinéma de manière trop voyante par une
voix off et des vignettes à la Amélie Poulain dans un
prologue finalement inutile. L’exercice de l’adaptation du
théâtre au cinéma est périlleux, même un grand réalisateur
comme Roman Polanski avait pu y échouer pour le peu convaincant et
plat Carnages ; la réussite de Davies dans ce domaine n’en
est que plus frappante. En jouant avec la temporalité de son récit,
le réalisateur-scénariste trouve la forme idéale pour faire
ressentir le désespoir et l’indécision de Hester (Rachel Weisz),
la suicidaire découverte au début du film.
Hélas, malgré sa
beauté esthétique, le film produit à la longue un sentiment
d’ennui poli. Car le drame auquel les personnages sont confrontés
a beaucoup vieilli : Hester, mariée à un aristocrate, le
quitte pour Freddie (Tom Hiddleston), un ancien pilote de la Royal
Air Force dont elle est passionnément amoureuse, avant de déchanter.
Si un portrait de la société anglaise de l’après-guerre se
dessine en creux de l’intrigue, le rôle que ce cadre joue dans le
destin des personnages (notamment l’écart culturel et social entre
Hester et Freddie) n’est jamais réellement traité et les
protagonistes sont alors réduits à véhiculer des clichés sur
l’éternel conflit entre raison et passion. Les acteurs, malgré
toute leur bonne volonté (Hiddleston en tête, qui trouve enfin un
rôle de premier plan après ses apparitions dans Cheval de guerre
et les super-héroïques Thor et Avengers) peinent à
insuffler de la vie et de l’émotion dans un mélodrame répétitif
sans surprises.
Si l’intrigue de la
pièce de Rattigan présente peu d’intérêt, elle est surtout
l’occasion pour Davies d’évoquer l’Angleterre des années 50
qui l’a vu grandir. C’est alors dans des détails annexes à
l’intrigue que se situera l’émotion qui fait défaut, notamment
lors d’une scène bouleversante de chant populaire repris en chœur
dans une station où les londoniens se réfugient durant les
bombardements allemands. Entre la lumière chatoyante aux halos dorés
du jour et les ombres de la nuit, Davies évoque admirablement un
Londres onirique hanté par le fantôme de la seconde guerre mondiale
mais qui s'efforce de continuer à vivre. Il est dommage que ce cadre
magnifique se heurte en fin de compte à un drame étriqué, car il
aurait pu produire un grand film.
En bref : un film à voir
malgré ses longueurs, ne serait-ce que pour sa sublime introduction.