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Après une incursion dans le "biopic" avec Harvey Milk, encensée par la majorité des critiques mais à mon sens un peu académique dans la forme, Gus Van Sant revient avec Restless à son sujet de prédilection, la jeunesse américaine. Quoique voir dans le couple du film les représentants d’une réalité socioculturelle comme l’étaient les protagonistes de Will Hunting, Elephant ou Paranoid Park paraît d’emblée erroné : Enoch et Annabelle, ne seraient-ce que par leurs prénoms, semblent venir d’une autre époque. Le lien des deux personnages à la mort les place en marge du monde qui les entoure : mise à distance voulue par Enoch fasciné par la mort et ses formes, imposée à Annabelle à laquelle on a diagnostiqué un cancer incurable. Fantômes d’une autre époque, le jeune homme est vêtu d’un costume victorien avec montre à gousset et la jeune femme porte un chapeau melon ou un manteau tout droit sortie des années 60. Avec ses deux protagonistes marginaux, se détachant gracieusement du monde contemporain, Restless lorgne dangereusement du côté du cinéma poseur, écueil que Van Sant n’a pas toujours évité (son remake plan par plan de Psycho).
Sauf que les afféteries esthétiques et la mise en scène d’une beauté froide de Van Sant sont ici au service d’un scénario touchant sur la difficulté d’être parmi les vivants, de survivre aux défunts : la séquence où Enoch fait mine de présenter Annabelle à ses parents devant leur tombe est certes un jeu de séduction, une manière détournée pour le jeune homme de proposer un rendez-vous à la jeune femme, mais le dialogue fantasmé avec les parents est aussi une façon de nier leur mort inacceptable. Les jeux de rôle auxquels se livrent les amoureux, déguisés en personnages tout droit sortis de chez Scott Fitzgerald pour une balade à bicyclette ou s’imaginant dans une forêt de conte de fées, sont des écrans fantaisistes qui masquent désespérément la réalité qui va les rattraper, la mort inéluctable d’Annabelle. Les élans de vie du film sont à plusieurs reprises ponctués par l’irruption de sa négation : le fantasme du couple sur le banquet de confiseries au service funèbre de la jeune femme se conclut par l’impossibilité du bonheur d’y être présents tous les deux ou une allusion malheureuse à Hiroshima lorsque le couple dialogue avec un fantôme de kamikaze met fin de façon abrupte à une scène légère de séduction. Se manifestant par des spasmes violents, la mort peut faire irruption dans une scène intime de confidences entre sœurs.
Face à cette violence pour les vivants, Restless oppose une douceur, celle du deuil résigné mais salutaire. Que ce soit par le personnage émouvant de Hiroshi qui tient compagnie à Enoch dans son isolement d’orphelin, ou par la vitalité de Annabelle (magnifique Mia Wasikowska), son choix d’afficher un sourire imperturbable malgré sa maladie, le film distille une image apaisée de la mort. Restless, malgré son apparente simplicité, a la grandeur artistique des œuvres qui nous aident à mieux accepter notre condition d’êtres mortels. Ce film ressemble aux chansons qui l’ouvrent et le ferment : il est d’une gaieté triste car éphémère comme Two of us des Beatles (chanson composée alors que le groupe avait déjà implosé), d’une grâce émouvante comme The Fairest of the Seasons entonné par Nico. Il ne fait peut-être pas partie du cinéma le plus engagé artistiquement de Van Sant (Gerry ou Elephant) , mais c’est assurément un de ses films les plus beaux.