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A la fin du précédent film d’Almodovar, Les étreintes brisées, mélodrame flamboyant aux accents autobiographiques sur un cinéaste et son égérie, on assistait émus à un remake de la scène d’ouverture de Femmes au bord de la crise de nerfs, un des premiers succès du cinéaste. Ce retour à ses débuts permettait de faire un bilan sur l’œuvre du cinéaste, de l’extravagance de ses premiers films à la maturité de ses grands drames maîtrisés (Parle avec elle, La mauvaise éducation, Volver ou Les étreintes brisées). La piel que habito, avec ses intrigues à tiroir, ses mystères et son personnage en costume de tigre semble quant à lui un retour à l’exubérance pour Pedro Almodovar.
Une femme est séquestrée par un docteur (Antonio Banderas) qui la garde sous surveillance avec l’assistance de sa gouvernante. Le savant se livre à des expériences dans le but de créer une peau synthétique plus résistante que l’épiderme humain. Il semble hanté par la mort de sa femme. A partir de cette situation de base, l’intrigue se complexifie au fur et à mesure que l’on apprend des informations sur les personnages, le tout s’opérant dans une situation de tension constante. La piel que habito peut donc en premier lieu se savourer comme un bon polar, habilement construit et brillamment mis en scène, à l’image de la bande son efficace de Alberto Iglesias.
Mais il y a plus, car Almodovar parvient dans le film à nous transmettre le plaisir de cinéphile qu’il a à nous conter un récit qui oscille entre différents cinémas de genre (polar, horreur, science-fiction). Almodovar s’est depuis ses débuts inscrit dans un héritage cinématographique, incorporant des extraits de films dans ses œuvres : Johnny Guitar dans Femmes au bord de la crise de nerf, Sonate d’automne dans Talons aiguilles ou Eve dans Tout sur ma mère. Dans ses derniers films, Almodovar ne recourrait plus à des extraits mais s’amusait à inclure dans ses œuvres de faux films réalisés par ses soins mais évoquant d’autres films, tel que la parodie de L’homme qui rétrécit dans Parle avec elle. La piel que habito semble un aboutissement dans la démarche de cinéphile d’ Almodovar par une incorporation des références dans le style du film même. La mise en scène précise des scènes de suspense évoque le grand maître Hitchcock, le masque de la femme cobaye Les yeux sans visage de Franju, une scène hypnotique de soirée mondaine qui se finit dans des jardins avec des couples de jeunes en plein coït au détour de chaque buisson n’est pas sans rappeler l’iconoclasme surréaliste de Bunuel. Le talent d’Almodovar est de s’approprier tous ces styles en les incorporant dans un film qui porte sa marque avant tout ; on y retrouve l’exploration des passions violentes caractéristiques de son œuvre. L’arrivée du frère du docteur à son domicile, aux frontières du kitsch avant de basculer dans l’horreur comique, mais aussi la scène du suicide de sa femme devant leur fille font partie des scènes hyperboliques et marquantes chères au réalisateur espagnol.
Cependant le plaisir de cinéma que procure La piel que habito est accentué encore par la façon dont le réalisateur joue avec ce que perçoit le spectateur. Comme le docteur qui observe la captive sur un écran de télévision géant et contemple son corps endormi avant de se rendre compte qu’elle s’est coupée les veines, Almodovar nous manipule, nous montre des scènes avant de bousculer nos certitudes. La relation entre le docteur et son cobaye, les hésitations du Pygmalion face à l’objet de son désir prennent ainsi un tout autre sens une fois leurs histoires contées. Et c’est bien un des mérites de l’art le plus accompli que de bouleverser nos certitudes et de développer notre intelligence de spectateur.
Pour ma part, il n'y a pas vraiment retour à l'exubérance dans ce film, le personnage en costume de tigre ne faisant que passer. Ce film fait, pour moi, partie des plus sobres d'Almodovar. Mais ça reste du Almodovar ! ^^
RépondreSupprimerJ'ai particulièrement apprécié la façon dont Almodovar nous "balade" dans ce film, comme il le fait d'une autre façon dans La Mauvaise Education. J'étais pris dans l'intrigue du début à la fin. Un vrai plaisir.
J'ai également apprécié l'hommage qu'il offre à Louise Bourgeois disparue en 2010, et dont je suis assez fan !
Même si le film est assez sobre dans la mise en scène et qu'il est à ranger du côté de ses dernières oeuvres plutôt que de ses premières très colorées, je trouve qu'avec les multiples rebondissements et les intrigues policières on est plus du coté des films de genre que du drame intimiste à la "Volver" ou "Etreintes Brisées" que personnellement je préfère. Pour l'hommage à Louise Bourgeois, je ne m'en souviens plus ou je n'y ai pas prêté attention. désolé...
RépondreSupprimerLouise Bourgeois est très présente dans le film : on peut voir Vera tapisser de tissus une tête façon Louise Bourgeois (dans ce style : http://www.recirca.com/reviews/louisebourgeois/Head.jpg).
RépondreSupprimerOn aperçoit même un bouquin consacré à l'artiste et des extraits vidéo de ses oeuvres (on y voit notamment cette oeuvre : http://www.numartis.fr/wp-content/uploads/2008/03/bourgeois-louise.1.jpg).
Aussi, je soupçonne les dessins executés sur les murs de la cellule de Vera d'être inspirés par cette artiste mais je n'y mettrai pas ma main à couper !
Vincente qui travaille à la boutique confectionne quant à lui des mannequins un peu glauques rappelant également Louise Bourgeois.
Je connais peu Louise Bourgeois donc bien vu pour les références et merci pour l'élargissement culturel.
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