20/02/2014

RoboCop : reproduction mécanique ?

3 / 5

Hollywood aurait-il perdu la capacité d’imaginer des concepts originaux pour ses blockbusters?  Le cinéma américain grand public creuse en effet deux sillons de façon intensive : d’une part les adaptations multiples de toutes les franchises de « comics » imaginables (avec même des exemples « reboots » à dix ans d’intervalle, pour Spiderman, Superman ou Les 4 fantastiques à venir) ; d’autre part, les remakes des  films culte des années 80 (tous les films de John Carpenter vont y passer) ou la reprise de licences dormantes (Die Hard, Terminator, Alien). Film culte au potentiel super-héroïque, RoboCop allait fatalement avoir droit à ce traitement.


Sorti en 1987, RoboCop est le deuxième film du hollandais Paul Verhoeven aux Etats-Unis. L’auteur y trouvait la formule qu’il appliquerait à une série de films dans les années 90, parmi lesquels Total Recall, Basic instinct ou Starship Troopers : franc-tireur et iconoclaste, il s’y est livré à une satire mordante de la société américaine et de sa censure. Derrière l’image attrayante d’un policier robot conçu pour le public enfant et adolescent se cachait en fait un film à la violence traumatisante (l’exécution sadique du héros avant sa transformation), dénonçant l’indifférence de médias manipulateurs et l’immoralité de dirigeants capitalistes sans scrupules. La réussite du film tenait à l’équilibre entre ce contexte satirique et la quête d’humanité touchante de RoboCop / Alex Murphy, assisté d’une collègue policier.

Après le succès commercial considérable de RoboCop, deux suites furent produites, beaucoup moins satisfaisantes : RoboCop 2 ne gardait de son prédécesseur que la violence et le cynisme devenus systématiques et donc vidés de leur sens, tandis que le troisième opus orienté vers un public plus jeune était  un film d’action générique laborieux, qui tentait de renouer avec les enjeux d’humanité du premier épisode sans y parvenir. Le signe le plus évident de la rapide baisse qualitative de la franchise RoboCop (également déclinée en séries télévisées live ou animées peu mémorables) est le départ de son interprète principal dès le deuxième opus.


Après ces déboires artistiques successifs, était-il indispensable de faire un reboot de RoboCop ? Si le métrage de José Padilha ne permet pas vraiment de répondre par l’affirmative, il s’en sort avec les honneurs. Il n’est certes pas à la hauteur de la version de 1987 et ne bénéficie pas de son ton original, mais il a le mérite de développer de façon convaincante les concepts présents du film de Verhoeven, contrairement à ses suites directes. Cette exploration d’horizons nouveaux est permise par un statut différent de RoboCop / Alex Murphy : tandis que dans le film de Verhoeven  l’alter ego du protecteur de Detroit était déclaré mort, il conserve dans la version 2014 un statut officiel hybride  homme/machine. La relation de Murphy avec sa famille devient alors un ressort dramatique efficace, traité sans pathos exagéré, qui modifie assez les enjeux pour ne pas donner l’impression d’une reproduction sans âme du film original. De façon assez ingénieuse, RoboCop réussit une symbiose entre action et émotion en plaçant les deux composantes directement au cœur de son intrigue.


Autre changement majeur, le créateur de RoboCop (Gary Oldman), tout en restant ambivalent, est un personnage bien plus sympathique que le cadre aux dents longues original : ce choix permet de mettre au premier plan les questions éthiques qui étaient auparavant un peu en retrait. Ce traitement est certes plus attendu et beaucoup moins risqué que le ton choisi par Verhoeven, mais il est servi par des dialogues assez habilement écrits. Plus explicatif et ouvertement réflexif, RoboCop s’offre comme la relecture d’un film d’action des années 80  à la lumière des blockbusters super-héroïques à succès chapeautés par Christopher Nolan. Produit de son époque, le film de José Padilha ne laissera pas une marque indélébile mais constitue un complément intéressant au film de Verhoeven, et pour ceux qui ne l’ont pas vu, un divertissement tout à fait honorable.

12/02/2014

American Bluff : l'art du faux

4 / 5

On avait remarqué David O’Russell à la fin des années 90 avec les Rois du désert, qui contribuait à lancer définitivement la carrière de George Clooney au cinéma après quelques ratés. On l’avait ensuite un peu perdu de vue jusqu’à un retour au premier plan au début des années 2010 avec The Fighter, puis Happiness Therapy l’année dernière. Dans les deux cas, les Oscars et Golden Globes ont reconnu le talent de directeur d’acteurs de David O’Russell, en récompensant les seconds rôles du premier film et l’actrice principale du deuxième. Et le cinéaste porte manifestement un amour particulier à ses interprètes, ayant choisi de réunir en tête d’affiche d’ American Bluff deux des acteurs principaux de The Fighter et deux de Happiness Therapy. Le film de david O’Russell possède néanmoins un charme qui dépasse la simple juxtaposition des performances d’acteurs apparente.


Dès sa première scène, American Bluff expose deux de ses principaux atouts : le caractère haut en couleur de ses personnages et une reconstitution soignée des années 70. L’apparition de Christian Bale bouffi et à la chevelure éparse, ajustant un postiche grotesque, le décolleté plongeant  d’Amy Adams, les bouclettes de Bradley Cooper, sont autant de signes excessifs pointant vers un ton comique que le film va se plaire à explorer ; pour les années 70, un ralenti sur les personnages avançant au son de Steely Dan lors du générique suffit à nous plonger avec élégance dans l’époque. 

Si cette entrée en matière est réussie, elle n’en revêt pas moins un caractère un peu artificiel, qui s’avère assez vite problématique dans un premier temps. En effet, passée cette introduction in medias res, le film opère un retour en arrière par l’intermédiaire de la voix off du personnage principal incarné par Bale : le problème posé alors est celui de la reprise à l’identique d’une structure caractéristique aux films Martin Scorsese (initiée avec les Affranchis, reprise avec Casino et Le loup de Wall street). Le film de David O’Russell, malgré sa forme impeccable, ne pourrait éviter l’écueil de copie un peu artificielle s’il en restait au niveau de cette exposition un peu laborieuse.


American Bluff met donc une petite demi-heure à se mettre en place mais une fois lancé, il a le grand mérite de fonctionner crescendo, en redistribuant intelligemment à plusieurs reprise les rôles et enjeux d’une intrigue à base d’arnaques et de coups montés qui gagne en ampleur au fur et à mesure. Cette construction scénaristique habile  fonctionnerait cependant à vide si elle n’était pas portée par des protagonistes bien développés : le tour de force du métrage de David O’Russell est de nous faire éprouver de l’empathie pour des personnages qui nous apparaissaient d’abord comme des caricatures de comédie. Les protagonistes d’American Bluff ont tous une part insatisfaite, sont motivés par des rêves qui permettent au spectateur de s’identifier à tour de rôle à chacun d’entre eux. En cela, David O’ Russell se permet même peut-être de surpasser Scorsese, dont le dernier Le loup de Wall Street souffrait un peu d’être construit autour d’un antihéros certes haut en couleur mais pour lequel on avait du mal à éprouver la moindre compassion.

David O’Russell s’avère donc plus qu’un simple faussaire tentant de copier un maître incontesté du cinéma. Il se positionne d’avantage comme son héritier, par l’intermédiaire d’un caméo. Alors que Robert De Niro joue un chef mafieux, avec à la clef un un flash-back où l’acteur semble reprendre son rôle des Affranchis, la référence est trop évidente pour tromper les cinéphiles sur la marchandise, et la copie revendiquée devient alors hommage. La similitude entre la transformation physique  de Christian Bale pour American Bluff et celle de De Niro pour Raging Bull est du même ordre : en un échange de regards en gros plans, le témoin passe d’un acteur à l’autre. Certes la transition met un certain temps à s’opérer, mais elle aboutit à un métrage qui sait allier divertissement et qualité, porté par un scénario bien construit, une forme parfaite et une brochette d’acteurs au sommet.

04/02/2014

Minuscule - La vallée des fourmis perdues : une petite réussite pour spectateurs en herbe

3,5 / 5
Après avoir exploré le monde des jouets dans Toy Story, John Lasseter et son studio Pixar avaient fait le pari pour leur deuxième production de s’intéresser à un monde remportant  a priori bien moins les suffrages auprès du public (jeune ou adulte, d’ailleurs) : celui des insectes.  C’est le même défi que se sont lancés en 2006 Hélène Giraud et Thomas Zsabo avec la série télévisée Minuscule, avec la contrainte supplémentaire d’un refus d’anthropomorphisme qui se retrouve aussi bien dans le design des personnages que le refus de dialogues. Le succès de la série, vendue dans le monde entier, a logiquement conduit à son développement pour le cinéma, mais l’adaptation du concept en format long parvient-elle à convaincre ?


L’ouverture du film sur le décor grandiose d’une vallée donne le ton du film. Là où la série se confinait à l’espace d’une clairière, son format allongé élargit les horizons, passant pour l’occasion du 16/9 au Cinemascope. A décor plus large, récit également plus ample qui répond à l’appel de l’aventure d’une nature sauvage. En l’occurrence, il s’agit de l’épopée d’une coccinelle qui à peine sortie du cocon se retrouve séparée de ses parents : à partir de ce schéma classique, le métrage élabore une intrigue autour d’une boîte de sucre, dans laquelle se réfugie le protagoniste (il s’agit d’un mâle) et qui conduit à une rencontre avec un groupe de fourmis.

Disons-le de suite, le scénario ne brille pas par son originalité, encore moins par sa complexité : après tout, le film a vocation à s’adresser aux très jeunes (dès 3 ans). D’une part, l’absence d’anthropomorphisme voulue a pour conséquence un caractère un peu unidimensionnel des personnages. Mais aussi, à la différence des productions Pixar, on n’est pas ici face à un récit familier mais détourné que les enfants pourront apprécier au premier degré et les adultes en s’amusant du jeu avec des codes rebattus (cf leur dernier opus Monstres Academy, parodie de « college movie » qui se permet d’offrir dans son final un commentaire réjouissant sur les films d’horreur contemporains du type Paranormal Activity). Cependant, Minuscule - La vallée des fourmis perdues a quelques qualités de taille qui lui permettent de maintenir l’intérêt des plus grands (adolescents comme adultes).


Le premier attrait du film est sa technique d’incrustation d’éléments animés dans des décors réels ; le procédé  crée un effet d’immersion et donne la réelle sensation de voir le monde à travers les insectes, là où des décors en images de synthèse auraient créé une distance. Cette esthétique visuelle convaincante est alliée à la construction d’un univers sonore riche et imaginatif, qui joue des références à notre réalité quotidienne : un trafic d’insectes autour d’un pique-nique abandonné devient ainsi semblable à un embouteillage. D'autre part, Minuscule - La vallée... n’offre peut-être pas le recul propre aux productions Pixar, mais il n’en affiche pas moins de belles références : les courses entre mouches et coccinelles évoquent Le retour du Jedi, la rencontre avec un lézard fait écho à Jurassic Park… Ce jeu de références cinématographiques culmine dans un climax spectaculaire où le siège d’une fourmilière acquiert la dimension épique des batailles du Seigneur des anneaux. S’il cite plus qu’il détourne ses illustres influences, Minuscule - La vallée des fourmis perdues a finalement le mérite d’offrir aux jeunes spectateurs une introduction cinéphilique d’une grande élégance au 7ème art.

03/02/2014

12 Years a Slave : la liberté perdue

3 / 5

Après le saisissant Hunger, qui racontait la grève de la faim menée jusqu’à sa mort par le prisonnier irlandais Bobby Sands, et Shame et son portrait un peu vain d’un « sex addict », le britannique Steve McQueen choisit pour son troisième long métrage 12 Years a Slave un nouveau récit mettant le corps au premier plan. Cette fois-ci le corps au centre de l’intrigue est incarné par Chiwetel Ejiofor, dont l’interprétation exceptionnelle en fait un des favoris des Oscars, bien qu’ elle ne lui ait pas valu le Golden Globe.


Comparé aux autres films sur l’esclavage, l’originalité de ce récit adapté des mémoires de Solomon Northup est de traiter d’un phénomène peu connu de la première moitié du 19ème siècle aux Etats-Unis : l’enlèvement d’afro-américains libres, vendus ensuite dans des états esclavagistes. Steve McQueen pose la situation de Northup avec un brio remarquable, à l’aide de plans savamment choisis et pour la plupart sans dialogues : le statut d’intégration dont jouit le protagoniste est ainsi résumé par une séquence de bal qui découvre Northup dans un recadrage une fois la musique interrompue, le visage de l’artiste s’offrant alors aux applaudissements. 

De façon générale, Steve McQueen s’affirme durant la première heure comme un conteur efficace, ce que ne laissait qu’assez  peu entrevoir ses deux précédents longs métrages qui privilégiaient la forme au fond. Durant ce premier temps, 12 Years a Slave passionne par deux aspects : d’une part, le film informe sur les détails du système de l’esclavage, comme lors de la présentation des esclaves dénudés vendus aux riches propriétaires dans un salon ; d’autre part, il joue des ambiguïtés morales des personnages, qu’il s’agisse d’un propriétaire d’esclaves au discours bienveillant (Benedict Cumberbatch) ou de Solomon Northup lui-même, qui espère regagner son statut d’homme libre en collaborant avec son « maître » et considère assez peu le sort de ses compagnons de misère, faisant passer sa survie avant tout.


Le trajet de remontée vers le statut d’homme libre de Northup est hélas interrompu de façon brutale, et laisse place dans un deuxième temps à un lieu infernal où s’enlise 12 Years a Slave, celui de la plantation de coton d’Edwin Epps. Certes Michael Fassbender, révélé par Steve McQueen avant de devenir son acteur fétiche, ne démérite pas dans ce rôle de propriétaire brutal, mais le récit stagne, pour s’attarder sur les souffrances des esclaves que l’on ne connait que trop bien : viols, coups de fouets à répétition, le tout en temps réel, dans des plans séquences desquels il est impossible de s’échapper. Steve McQueen reprend alors sa casquette de formaliste, et le spectateur hésite entre malaise et ennui. La prise de conscience finale de Solomon Northup à la sortie de  cet enfer a beau être émouvante, elle ne parvient pas à faire oublier cette deuxième heure éprouvante et lassante.