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Pour entamer un film s’appelant Youth, quoi de mieux qu’une chanson pop
entraînante jouée live ? Le visage d’une jeune chanteuse, juchée sur une
plateforme tournante avec l’arrière-plan qui défile derrière elle, résume
efficacement l’énergie, l’effervescence de la jeunesse. On se demande cependant
vite s’il n’y a pas une part d’ironie derrière le titre du dernier film de
Paolo Sorrentino : Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel), nos deux héros
octogénaires, n’en sont plus au printemps de leur vie. Ces deux artistes
envisagent cependant leur vieillesse différemment. Tandis que Mick, réalisateur
toujours en activité, travaille sur son film testament, Fred refuse de sortir
de sa retraite et de diriger comme chef d’orchestre une de ses compositions,
pas même pour la famille royale d’Angleterre.
Après la Rome qu’il avait sublimée dans La Grande Belleza, Sorrentino
plante cette fois-ci le décor international d’un hôtel de luxe des Alpes.
Autour des deux protagonistes centraux gravitent la fille de Fred (Rachel
Weisz), un acteur américain (Paul Dano), un alpiniste à la barbe foisonnante,
un moine tibétain, une Miss Univers ou encore un sosie de Maradona. Cette
communauté improbable aux accents surréalistes est à double tranchant. Fort de
cette galerie foisonnante, Youth
arrive à créer une ambiance singulière, entre comédie et drame, vulgaire et
sublime. Mais tous ces éléments produisent également un effet de trop plein, de
récit boursouflé.
Il faut aussi dire que la mise en
scène manque considérablement de légèreté. Les excès esthétiques de La Grande Belleza lors des fêtes
chaotiques auxquelles son héros prenait part étaient contrebalancés par
l’élégance de moments à la mélancolie poétique tels que la visite de palais
romains de nuit, à la lumière des bougies. Dans Youth l’esthétique est aussi poussée jusqu’à une laideur
insupportable lors de la parodie d’un clip de pop cauchemardesque ; mais en
contrepartie il y a peu de moments sublimes, les afféteries formelles jouant
contre les scènes. Ainsi, alors que Mick hallucine l’apparition dans un champ
du groupe d’héroïnes de sa filmographie, Sorrentino reprend dans une série de
plans qui les introduit les caractéristiques visuelles des films dont elles
sont issues, privilégiant l’artifice visuel à la simplicité de l’émotion.
C’est d’autant plus dommage que
lorsque Paolo Sorrentino fait confiance au pouvoir d’expression de ses acteurs,
on entrevoit la beauté émouvante qui aurait pu être celle de Youth. Michael Caine est d’une superbe
retenue, trop content d’occuper à nouveau le centre de la scène après avoir
joué les seconds rôles chez Christopher Nolan. Deux scènes parmi les plus
réussies de Youth sont d’une économie
de mise en scène exemplaire : le face à face d’anthologie entre Harvey Keitel
et Jane Fonda est pratiquement filmé en simple champ-contrechamp, et l’intense
monologue interprété par Rachel Weisz où se déverse tout le ressenti accumulé par
sa fille contre Fred est capté par un gros plan sur le visage de l’actrice.
Dans ces quelques moments, on peut rentrer dans un film qui peine à nous
toucher malgré ses thèmes universels liés au passage du temps.
On ne peut s’empêcher de rapprocher
la démarche artistique de Sorrentino de celle de Fellini. La Grande Belleza suivait les traces de La Dolce Vita, dans Youth
l’hôtel de luxe et le personnage de Mick évoquent immanquablement 8 ½. Sorrentino parvenait dans le
premier cas à retrouver la satire féroce et le désenchantement au cœur de la
Palme d’or de 1960. Ici, il manque le caractère semi-autobiographique, entre
souvenirs et rêves, qui faisait la sincérité et la force de 8 ½. Sorrentino clôt Youth sur un final
musical en grande pompe dans une salle de concert et nous exhorte à être émus à
l’instar de ses spectateurs. On ne ressent hélas rien face à cette musique
grandiloquente chantée par une star de l’opéra, là où un thème de Nino Rota sur
l’image d’un enfant jouant de la flûte seul sur une piste de cirque suffisait à nous bouleverser.