05/01/2013

2012 en 10 films


En ce début 2013 vient le temps du bilan de l’année 2012 et des Top 10 rituels. Si l’exercice a toujours un côté cruel et induit au sacrifice de très bons films (mentions honorables à Le Policier, De Rouille et d’os, Miss Bala, Moonrise Kingdom et Looper) il permet de mettre en évidence la richesse et de la diversité des films sortis cette année. Contrairement à l’année dernière mon cœur ne s’est pas tourné vers Cannes dont les films récompensés ou sélectionnés cette année ne sont pas présents ici (à l’exception notable du film de Benh Zeitlin), mais il y avait largement de quoi se réjouir dans les salles obscures.



10 / Le Hobbit : un voyage inattendu


 
Malgré une concurrence colossale (Avengers, The Dark Knight Rises) , le film de Peter Jackson reste le blockbuster le plus réjouissant de l’année. Il n’est certes pas aussi maîtrisé formellement que les autres prétendants au titre, mais c’est avec un plaisir intact que l’on replonge dans l’univers extraordinaire de richesse de J.R.R. Tolkien. D’une envergure moindre que Le Seigneur des anneaux, Le Hobbit gagne en humanité en se recentrant sur l’aventure intime d’un héros ordinaire, incarné par le formidable Martin Freeman qui est assurément un des meilleurs choix de casting de l’année.



9/ Les adieux à la reine





Le film de Benoît jacquot a beau appartenir au genre très codifié du film historique en costumes, on est frappé par le refus d’académisme de sa mise en scène. Entre la violence esthétique des zooms utilisés et l’utilisation de la caméra portée, le réalisateur crée une atmosphère de tension constante qui correspond à merveille à l’agitation et la panique qui a pu avoir lieu à Versailles alors que la Révolution arrivait à ses portes. Loin de la reconstitution figée, Les adieux à la reine choisit l’intime du récit d’apprentissage d’une servante qui perd peu à peu ses illusions sur une royauté adorée. Le tout est servi par une distribution sans faille avec au premier rang un trio central d’actrices (Seydoux, Kruger, Ledoyen) sublimées par leur metteur en scène.



8/ Take Shelter




Melancholia avait subjugué l’année dernière avec une fin du monde magnifique à échelle cosmique. Le métrage de Jeff Nichols nous en a offert cette année une version plus ambiguë et réaliste avec un thriller psychologique d’une grande tension habité par des visions apocalyptiques tourmentées. Mais plus que ces hallucinations spectaculaires, le final cloîtré et étouffant du film continue de hanter l’imaginaire un an après. Saluons l’interprétation nuancée du troublant Michael Shannon, mais n’oublions pas pour autant la grâce angélique de Jessica Chastain.



7/ The We and the I




Depuis l’éblouissant Eternal Sunshine of a Spotless Mind Michel Gondry n’était jamais parvenu à convaincre entièrement, que ces projets soient trop personnels (La science des rêves), restent de l’ordre du concept (Soyez sympas rembobinez) ou manquent d’originalité (The Green Hornet). Son retour avec The We and the I constitue la plus belle résurrection artistique de l’année. En se confrontant à un groupe de lycéens du Bronx, le réalisateur sort de son cocon esthétique et livre un film dont l’énergie brute n’ a rien à envier au Shadows de John Cassavetes. Portrait d’un groupe de la génération Y accro aux réseaux sociaux et aux « smartphones », le film dépasse ce simple état des lieux documentaire pour proposer une réflexion très juste sur les rapports conflictuels entre identités individuelles et société. La simplicité du dispositif de huis clos mis en place par Gondry permet d’aboutir à une des expériences de spectateur les plus riches de l’année : on trouve d’abord la bande d’adolescents insupportable avant de se laisser gagner par leur fougue et d’être touchés au final par la mise à jour de la détresse qui sous-tendait ce métrage bouillonnant.



6/ Kill List




Passé un peu inaperçu cet été, le film de l’anglais Ben Wheatley est pourtant un des objets cinématographiques les plus intenses et déroutants de l’année. Traversant les genres, Kill list commence comme un drame social à la Ken Loach avant de virer au polar d’abord tarantinesque puis d’une noirceur terrifiante, et de finir dans l’horreur la plus totale. Descente aux enfers progressive jusqu’aux sources du mal, le métrage de Ben Wheatley est une expérience glaçante et éprouvante dont on ne ressort pas indemne, mais son ambition et sa maîtrise formelle en font un moment incontournable de l’année.



5/ I wish- Nos vœux secrets




Un peu ignoré, considéré par la majorité de la critique comme un film mineur comparé à Nobody Knows et Still Walking, la dernière œuvre du japonais Hirokazu Kore-eda est pourtant son film le plus beau et le plus accessible. D’apparence modeste, le métrage au récit dilaté se contente de suivre le quotidien d’un groupe d’enfants  confrontés à l’insuffisance de leurs parents. La grandeur cachée du film tient au regard tendre et profondément humaniste que pose l’auteur sur le monde ; cette générosité prend toute sa mesure dans une brève séquence bouleversante qui exprime la beauté précieuse des petits détails de notre vie de tous les jours. Subtil poème d’amour à la vie, I wish est le « feel-good movie » de l’année.



4/ Bullhead




Comme les grandes tragédies shakespeariennes,  le premier film du belge Michaël R. Roskam combine à merveille trivial et sublime. Avec Kill List il témoigne que le genre du polar a encore de beaux jours devant lui. Son scénario à tiroirs et sa mise en scène sont d’une maîtrise incontestable mais c’est surtout le personnage de cinéma le plus impressionnant de l’année qui a marqué les esprits. Avec le rôle de Jacky, magnifique bête blessée, Matthias Schoenaerts a trouvé l’occasion de livrer une performance physique époustouflante qui fait de lui l’acteur à suivre ; Jacques Audiard ne s’y est pas trompé en le choisissant pour De rouille et d’os.



3/  Into the Abyss




Le documentaire atypique de Werner Herzog émeut dès sa première séquence où sans qu’on s’y attende un intervenant s’effondre en faisant le récit d’une rencontre avec un écureuil sur un terrain de golf. En s’intéressant à une sordide affaire de triple homicide, le réalisateur allemand interroge avec une simplicité confondante l’essence de l’humanité, la fragilité de la vie. Tirés de seulement cinq heures de rushes, les magnifiques entretiens qui composent le métrage dressent un portrait sans concession du Texas en même temps qu’ils esquissent des personnages inoubliables aux histoires qui dépassent souvent la fiction. Car un des mérites, et non des moindres, de ce film passionnant de bout en bout  est de rappeler que le réel est une formidable source de récits.



2/ Les bêtes du Sud sauvage




Le plaisir ressenti à la vision du premier film de l’américain Benh Zeitlin  tient en grande partie à ce qu’il illustre que cinéma indépendant et grandiose ne sont pas antinomiques. Cet hommage aux habitants du Bayou est traversé par un souffle extraordinaire : un combat quotidien pour la survie, perçu à travers les yeux de la fillette Hushpuppy qui est le plus beau personnage féminin de 2012, devient  une allégorie hyperbolique du domaine du conte de fées. En parvenant à canaliser l’énergie folle et débordante au cœur de son grand récit, Zeitlin fait preuve d’une maturité époustouflante qui en fait la révélation de l’année. Généreux et renversant, Les bêtes du Sud sauvage emporte tout sur son passage et laisse le cœur palpitant.



1/ Tabou



Il suffit de quelques notes d’un sublime morceau au piano composé par Joanna Sà pour que l’envoûtement du métrage de Miguel Gomez commence.  D’ailleurs, le film mériterait sa place dans le classement ne serait-ce que par ce qu’il propose la meilleure bande originale de l’année, entre l’immortel « Be my baby » des Ronettes de Phil Spector (qui apparaît à l’occasion de deux scènes bouleversantes) et d’obscures pépites pop 60’s du même acabit. Mais si ce chef d’œuvre instantané figure en tête de liste, c’est qu’il invente le dispositif formel le plus stimulant de l’année dans sa deuxième partie, la plus belle façon de représenter les souvenirs qu’il m’ait jamais été donné de voir au cinéma. A la fois expérimental et limpide, ludique, Tabou est le miracle cinématographique de 2012, un sortilège artistique dont l’emprise dure bien après sa projection.