En ce début 2013
vient le temps du bilan de l’année 2012 et des Top 10 rituels. Si l’exercice a
toujours un côté cruel et induit au sacrifice de très bons films (mentions
honorables à Le Policier, De Rouille et d’os, Miss Bala, Moonrise Kingdom
et Looper) il permet de mettre en évidence la richesse et de la
diversité des films sortis cette année. Contrairement à l’année dernière mon
cœur ne s’est pas tourné vers Cannes dont les films récompensés ou sélectionnés
cette année ne sont pas présents ici (à l’exception notable du film de Benh
Zeitlin), mais il y avait largement de quoi se réjouir dans les salles
obscures.
10 / Le Hobbit : un voyage
inattendu
Malgré
une concurrence colossale (Avengers, The Dark Knight Rises) , le
film de Peter Jackson reste le blockbuster le plus réjouissant de l’année. Il
n’est certes pas aussi maîtrisé formellement que les autres prétendants au
titre, mais c’est avec un plaisir intact que l’on replonge dans l’univers
extraordinaire de richesse de J.R.R. Tolkien. D’une envergure moindre que Le
Seigneur des anneaux, Le Hobbit gagne en humanité en se recentrant
sur l’aventure intime d’un héros ordinaire, incarné par le formidable Martin
Freeman qui est assurément un des meilleurs choix de casting de l’année.
9/ Les adieux à la reine
Le
film de Benoît jacquot a beau appartenir au genre très codifié du film
historique en costumes, on est frappé par le refus d’académisme de sa mise en
scène. Entre la violence esthétique des zooms utilisés et l’utilisation de la
caméra portée, le réalisateur crée une atmosphère de tension constante qui
correspond à merveille à l’agitation et la panique qui a pu avoir lieu à
Versailles alors que la Révolution arrivait à ses portes. Loin de la
reconstitution figée, Les adieux à la reine choisit l’intime du récit
d’apprentissage d’une servante qui perd peu à peu ses illusions sur une royauté
adorée. Le tout est servi par une distribution sans faille avec au premier rang
un trio central d’actrices (Seydoux, Kruger, Ledoyen) sublimées par leur
metteur en scène.
8/ Take Shelter
Melancholia
avait subjugué l’année dernière avec une fin du monde magnifique à échelle
cosmique. Le métrage de Jeff Nichols nous en a offert cette année une
version plus ambiguë et réaliste avec un thriller psychologique d’une grande
tension habité par des visions apocalyptiques tourmentées. Mais plus que ces
hallucinations spectaculaires, le final cloîtré et étouffant du film continue
de hanter l’imaginaire un an après. Saluons l’interprétation nuancée du
troublant Michael Shannon, mais n’oublions pas pour autant la grâce angélique
de Jessica Chastain.
7/ The We and the I
Depuis
l’éblouissant Eternal Sunshine of a Spotless Mind Michel Gondry n’était
jamais parvenu à convaincre entièrement, que ces projets soient trop personnels
(La science des rêves), restent de l’ordre du concept (Soyez sympas
rembobinez) ou manquent d’originalité (The Green Hornet). Son retour
avec The We and the I constitue la plus belle résurrection artistique de
l’année. En se confrontant à un groupe de lycéens du Bronx, le réalisateur sort
de son cocon esthétique et livre un film dont l’énergie brute n’ a rien à
envier au Shadows de John Cassavetes. Portrait d’un groupe de la
génération Y accro aux réseaux sociaux et aux « smartphones », le
film dépasse ce simple état des lieux documentaire pour proposer une réflexion
très juste sur les rapports conflictuels entre identités individuelles et
société. La simplicité du dispositif de huis clos mis en place par Gondry
permet d’aboutir à une des expériences de spectateur les plus riches de
l’année : on trouve d’abord la bande d’adolescents insupportable avant de
se laisser gagner par leur fougue et d’être touchés au final par la mise à jour
de la détresse qui sous-tendait ce métrage bouillonnant.
6/ Kill List
Passé
un peu inaperçu cet été, le film de l’anglais Ben Wheatley est pourtant un des
objets cinématographiques les plus intenses et déroutants de l’année.
Traversant les genres, Kill list commence comme un drame social à la Ken
Loach avant de virer au polar d’abord tarantinesque puis d’une noirceur
terrifiante, et de finir dans l’horreur la plus totale. Descente aux enfers
progressive jusqu’aux sources du mal, le métrage de Ben Wheatley est une
expérience glaçante et éprouvante dont on ne ressort pas indemne, mais son ambition
et sa maîtrise formelle en font un moment incontournable de l’année.
5/ I wish- Nos vœux secrets
Un
peu ignoré, considéré par la majorité de la critique comme un film mineur
comparé à Nobody Knows et Still Walking, la dernière œuvre du
japonais Hirokazu Kore-eda est pourtant son film le plus beau et le plus
accessible. D’apparence modeste, le métrage au récit dilaté se contente de
suivre le quotidien d’un groupe d’enfants
confrontés à l’insuffisance de leurs parents. La grandeur cachée du film
tient au regard tendre et profondément humaniste que pose l’auteur sur le
monde ; cette générosité prend toute sa mesure dans une brève séquence
bouleversante qui exprime la beauté précieuse des petits détails de notre vie
de tous les jours. Subtil poème d’amour à la vie, I wish est le
« feel-good movie » de l’année.
4/ Bullhead
Comme
les grandes tragédies shakespeariennes,
le premier film du belge Michaël R. Roskam combine à merveille
trivial et sublime. Avec Kill List il témoigne que le genre du polar a encore
de beaux jours devant lui. Son scénario à tiroirs et sa mise en scène sont
d’une maîtrise incontestable mais c’est surtout le personnage de cinéma le plus
impressionnant de l’année qui a marqué les esprits. Avec le rôle de Jacky,
magnifique bête blessée, Matthias Schoenaerts a trouvé l’occasion de livrer une
performance physique époustouflante qui fait de lui l’acteur à suivre ;
Jacques Audiard ne s’y est pas trompé en le choisissant pour De rouille et
d’os.
3/ Into the Abyss
Le
documentaire atypique de Werner Herzog émeut dès sa première séquence où sans
qu’on s’y attende un intervenant s’effondre en faisant le récit d’une rencontre
avec un écureuil sur un terrain de golf. En s’intéressant à une sordide affaire
de triple homicide, le réalisateur allemand interroge avec une simplicité
confondante l’essence de l’humanité, la fragilité de la vie. Tirés de seulement
cinq heures de rushes, les magnifiques entretiens qui composent le métrage
dressent un portrait sans concession du Texas en même temps qu’ils esquissent
des personnages inoubliables aux histoires qui dépassent souvent la fiction.
Car un des mérites, et non des moindres, de ce film passionnant de bout en
bout est de rappeler que le réel est
une formidable source de récits.
2/ Les bêtes du Sud sauvage
Le
plaisir ressenti à la vision du premier film de l’américain Benh Zeitlin tient en grande partie à ce qu’il illustre
que cinéma indépendant et grandiose ne sont pas antinomiques. Cet hommage aux
habitants du Bayou est traversé par un souffle extraordinaire : un combat
quotidien pour la survie, perçu à travers les yeux de la fillette Hushpuppy qui
est le plus beau personnage féminin de 2012, devient une allégorie hyperbolique du domaine du conte de fées. En
parvenant à canaliser l’énergie folle et débordante au cœur de son grand récit,
Zeitlin fait preuve d’une maturité époustouflante qui en fait la révélation de
l’année. Généreux et renversant, Les bêtes du Sud sauvage emporte tout
sur son passage et laisse le cœur palpitant.
1/ Tabou
Il suffit de quelques notes d’un sublime morceau au piano composé par
Joanna Sà pour que l’envoûtement du métrage de Miguel Gomez commence. D’ailleurs, le film mériterait sa place dans
le classement ne serait-ce que par ce qu’il propose la meilleure bande originale
de l’année, entre l’immortel « Be my baby » des Ronettes de Phil
Spector (qui apparaît à l’occasion de deux scènes bouleversantes) et d’obscures
pépites pop 60’s du même acabit. Mais si ce chef d’œuvre instantané figure en
tête de liste, c’est qu’il invente le dispositif formel le plus stimulant de
l’année dans sa deuxième partie, la plus belle façon de représenter les
souvenirs qu’il m’ait jamais été donné de voir au cinéma. A la fois
expérimental et limpide, ludique, Tabou est le miracle cinématographique
de 2012, un sortilège artistique dont l’emprise dure bien après sa projection.