04/11/2012

Quelques raisons pour (re)voir 'Les enfants du paradis'


Les enfants du paradis :  5 / 5

Difficile de ne pas entendre parler des Enfants du paradis pour les cinéphiles en ce début d’automne. Entre sa « remasterisation » pour sa sortie Blu-Ray, sa reprise sur grand écran, l’exposition qui lui est consacrée à la cinémathèque française et sa diffusion sur Arte cette semaine, le film de Marcel Carné  est au cœur de l’actualité cinématographique. Le moment est donc venu de revenir sur cette œuvre en répondant à cette question : pourquoi toute personne s’intéressant un tant soit peu au cinéma et à son histoire se doit de l’avoir vu ?




Premier film français sorti à la Libération le 15 mars 1945, Les Enfants du paradis est monumental par sa durée (3 heures découpées en deux époques) et les moyens mis en œuvre pour sa fabrication : le boulevard du Temple des alentours de 1830 a ainsi été reconstitué dans des studios à Nice avec pas moins de 2000 figurants. D’abord pensé comme un représentant de la vitalité du cinéma français durant son tournage pendant l’Occupation début 1943, le métrage est aussi une réponse à Autant en emporte le vent sorti en 1939. Au produit colossal de Hollywood qui connaît un succès retentissant, l’œuvre de Marcel Carné est la représentante prestigieuse d’un cinéma de « qualité française », ancré dans la culture nationale. 

Film d’époque, Les Enfants du paradis plonge le spectateur dans le Paris de la première moitié du 19ème siècle et choisit pour protagonistes trois figures marquantes de la période : le mime Baptiste Debureau, le comédien Frédérick Lemaître et le poète et criminel Pierre François Lacenaire. L’intrigue réunit ces personnages réels pour les faire graviter autour d’une femme de fiction objet de tous les désirs, Garance. Plus qu’une reconstitution fidèle de faits divers qui ont pu défrayé la chronique de l’époque (les procès de Debureau et Lacenaire qui devaient faire l’objet d’une troisième époque seront finalement mis de côté), Jacques Prévert propose à partir de ce canevas une réflexion riche sur l’amour et l’art.


Il y a un aspect spectaculaire indéniable dans les décors du film et ses mouvements de caméra sophistiqués, et on prend plaisir à suivre une multitude de récits qui évoque l’aspect feuilletonesque des œuvres littéraires de l’époque (Les mystères de Paris d’Eugène Sue ou « La comédie humaine » de Balzac). Mais Les enfants du paradis ne joue pas sur une rencontre de l’intrigue avec l’ Histoire telle qu’elle peut se produire dans Autant en emporte le vent, et les pistes romanesques aboutissent rarement à des scènes de grand spectacle classiques : lorsqu’un duel ou un assassinat a lieu, il est coupé par une ellipse ou se déroule hors champ. L’essence du scénario de Prévert se trouve plutôt dans l’étude intimiste de personnages et de leurs passions qui aboutit à un romantisme envoûtant, proche du rêve. Mais encore davantage l’intérêt réside dans des dialogues où Prévert multiplie les aphorismes, déployant un langage poétique d’une beauté rarement égalée au cinéma. 

Les dialogues exceptionnels écrits par Prévert demandaient des acteurs à la hauteur du texte. Les interprètes des Enfants du paradis sont excellents à l’unisson. En Lemaître cabot et grandiose, Pierre Brasseur fait des merveilles dans le registre comique ; Marcel Herrand fascine quant à lui en Lacenaire tout en douceur menaçante ; Arletty donne la pleine mesure de son talent et de son charme naturel dans le rôle de Garance, admirable de légèreté dans la première partie avant de devenir une ombre mélancolique dans la seconde. 


Et puis il y a Jean-Louis Barrault, dont la performance dans le rôle du mime Debureau est prodigieuse. C’est lui qui a été l’origine du projet du film, désirant incarner celui qui avait fait sensation en reprenant le personnage de Pierrot au théâtre. Dans les reconstitutions des pantomimes de Debureau, Les enfants du paradis touche au sublime, combinant la précision des gestes et expressions de Barrault et la musique pathétique composée par Joseph Kosma. Rien que pour ces scènes et son final époustouflant de réalisme où les personnages sont pris dans le chaos d’un carnaval, le film de Marcel Carné mérite sa place au panthéon du 7ème art. Exemple d’un cinéma à la fois populaire et ambitieux artistiquement, Les enfants du paradis est un film d’artisans, de poètes et de rêveurs ; un chef d’œuvre immortel.

En bref : incontournable

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