3,5 / 5
Grâce à Amour,
Michael Haneke a remporté une deuxième Palme d'or au dernier festival
de Cannes, 3 ans seulement après sa première pour Le
Ruban blanc. Ces deux
récompenses à Cannes semblent relever d'un état de grâce
festivalier pour le cinéaste qui n'est pas sans précédent, puisque
Francis Ford Coppolla dans les années 70 et Bille August ans les
années 80 et 90 avaient eux aussi été deux fois palmés à
quelques années d'écart. Dans le cas de Haneke, cette double
reconnaissance peut être justifiée par les choix esthétiques et
narratifs bien différents du Ruban blanc et
d'Amour :
sophistication du noir et blanc et chronique d'époque pour le
premier, sobriété et huis clos intimiste pour le second.
Le
principe d'enfermement progressif à l'œuvre tout au long d' Amour
est annoncé dès son plan séquence introductif : des policiers
défoncent la porte d'entrée d'un appartement et après avoir
pénétré dans une salle scellée découvrent le cadavre d'une femme
alitée (Emmanuelle Riva). Le plan suivant nous ramène en arrière
alors que la femme, accompagnée de son mari (Jean-Louis Trintignant)
attend le début d'un concert. Perdu dans une foule filmée en plan
d'ensemble, le couple d'octogénaires ne nous est pas immédiatement
présenté dans son intimité, mais l'îlot qu'ils forment à deux
est le prélude à leur détachement du monde alentours. Une fois de
retour dans leur appartement, Anne et Georges ne le quitteront plus :
le lendemain matin, Anne a soudainement une absence et après un
séjour à l'hôpital fait promettre à son mari de ne plus la
laisser partir. Le décor foyer du couple prend bientôt des allures
de chambre funéraire dans une série de plans de nuit où ne restent
que le vide et le silence.
La lente trajectoire
vers la mort décrite par Amour
demandait de trouver le ton juste. Fidèle à l'esthétique qui
caractérise l'ensemble de son œuvre (de Funny Games
à La pianiste et
Caché), Haneke refuse
la facilité du pathos mélodramatique et opte pour une mise en scène
distanciée et minimaliste : ce choix, d'abord idéal, s'avère au
final malheureusement à double tranchant.
La
description du quotidien d'un couple vieillissant bousculé par la
maladie est exemplaire de délicatesse dans la première heure du
film. La double présence physique de Trintignant et Riva suffit à
elle seule à créer l'émotion. Les gestes qu'ont les deux acteurs
l'un envers l'autre disent une tendresse et une douceur touchantes,
notamment lors de de deux scènes où Georges soulève le corps
d'Anne paralysée : leurs deux corps enlacés semblent alors pris
dans une danse lente qui dit de la plus belle façon l'amour entre
eux. Le récit par Georges d'un enterrement ou le parcours d'un album
de photos par Anne touchent de la même façon, par la retenue
poignante avec laquelle elles préparent l'arrivée d'une mort
inéluctable.
Mais
alors que le personnage d'Emmanuelle Riva devient de plus en plus
diminué, jusqu'à ne plus pouvoir s'exprimer que par des cris de
douleur, le spectateur enfermé dans l'appartement est obligé de
partager le calvaire interminable vécu par le couple. Haneke a
certes le courage de traiter sans détour de la douleur qui peut
précéder la mort et du supplice de voir souffrir l'être aimé.
Mais le spectacle de ces moments difficiles qui confinent parfois à
la cruauté (comme une gifle donnée par désespoir) devient pénible
pour le spectateur, d'autant plus que la mise en scène austère du
réalisateur n'offre aucune échappatoire. Certes Amour
offre toujours son lot de scènes réussies, au premier rang
desquelles la scène de la mort d'Anne qui passe admirablement de
l'apaisement à la violence. Mais le métrage peine à retrouver dans
ce deuxième temps l'émotion qui faisait le prix de ses débuts.
Amour
est donc un film fort mais laisse une impression mitigée, la mise en
scène distanciée de Haneke posant finalement problème. Le métrage
n'est pas non plus exempt de longueurs : l'irruption d'une scène de
rêve n'est pas vraiment convaincante, les multiples visites
d'Isabelle Huppert au bord de la caricature sont un peu redondantes.
Restent les prestations extraordinaires de Trintignant et Riva qui à
eux seuls méritent le déplacement ; Moretti a vu juste en leur
demandant de monter sur scène avec Haneke pour leur remettre la
palme d'or.
En bref : à voir absolument pour son couple d'acteurs, mais un film éprouvant.
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