01/10/2012

Vous n'avez encore rien vu : une expérience artistique enthousiasmante pour initiés.

Vous n'avez encore rien vu : 3,5 / 5


On a beaucoup parlé à la sortie des Herbes Folles, le précédent film d'Alain Resnais, de la jeunesse artistique du réalisateur malgré son grand âge. J'avais pour ma part trouvé le film ennuyeux et finalement assez vieillot, s'essoufflant à courir après un surréalisme dépassé. Autant dire que je n'attendais rien de Vous n'avez encore rien vu. A l'arrivée, ce dernier métrage me réconcilie pourtant avec le cinéma de Resnais.


L'annonce du titre peut paraître un peu présomptueuse de la part d'un auteur qui officie depuis plus d'un demi-siècle. Que reste-t-il à Resnais à explorer et à nous montrer après une carrière aussi riche et diversifiée ? C'est tout à l'honneur du nonagénaire d'utiliser un dispositif auquel il n'avait jamais eu recours jusque-là, en faisant jouer à un groupe d'acteurs (habitués de son cinéma pour beaucoup) leur propre rôle. Sabine Azéma, Pierre Arditi, Lambert Wilson, Anne Consigny et compagnie sont donc invités à une réception organisée par un auteur dramatique récemment décédé (Denis Podalydès, seul avec son serviteur à ne pas jouer son propre rôle). Les comédiens assistent alors à la captation d'une représentation de sa pièce « Eurydice » : d'abord passifs, ils se mettent peu à peu à rejouer en « playback » les rôles de la pièce qu'ils ont un jour tenus.

Fort de ce dispositif complexe, Vous n'avez encore rien vu se déroule dans un espace trouble, entre fiction et réel, entre rêve et réalité. Malgré la place centrale de Eurydice de Jean Anouilh, associer le film de Resnais à du théâtre filmé serait bien trop simpliste. Difficile de rentrer cet objet filmique d'une grande liberté dans une catégorie fixe, ce qui ne manquera pas de dérouter le spectateur non averti. Les moins réceptifs aux expérimentations de Resnais se consoleront avec la distribution impressionnante du film qui constitue une source de plaisir considérable, d'autant que tous donnent le sentiment de s'en donner à cœur joie. Un des principes ludiques du film réside dans la comparaison entre les différentes interprétations de Eurydice, avec les deux couples Lambert Wilson / Anne Consigny et Pierre Arditi / Sabine Azéma dans les rôles d'Orphée et Eurydice.



Inventif et imprévisible, Vous n'avez encore rien vu jongle avec bonheur entre ses différents niveaux de mise en abyme, avec une mise en scène bicéphale (Bruno Podalydès s'étant chargé de la représentation dont les invités prestigieux sont spectateurs). Mais c'est aussi une réflexion sur les liens profonds entre l'art et la mort. Le choix d'Eurydice d' Annouilh se justifie alors, tant Resnais illustre au fond l'idée évoquée dans la pièce que l'emprunte des amants d'un jour reste toujours en nous, appliquée au théâtre. Si les comédiens se mettent finalement à rejouer la pièce comme malgré eux, c'est qu'ils sont possédés par les rôles qu'ils ont interprété dans leur passé. L'utilisation des décors numériques par Resnais dans lesquels les personnages semblent flotter, choquante au premier abord par son manque de réalisme, confère aux acteurs un caractère spectral qui correspond finalement parfaitement au propos de Resnais.

La mort est donc une invitée centrale de Vous n'avez encore rien vu, mais il est remarquable que le film n'en revêt pas un aspect morbide pour autant. Bien que le réalisateur de 90 ans pose la question de ce qu'il reste une fois la fin venue (celle de la vie comme d'une représentation de théâtre), sa réponse tient plus de la résurrection que de l'éloge funèbre. Cette résurrection prend la forme d'une relecture globale par Resnais de son œuvre passée, qu'il fait revivre sous de nouvelles formes. Ainsi les plans sur les spectateurs / acteurs immobiles évoquent les personnages figés de L'année dernière à Marienbad ; l'atmosphère du château où sont réunis les invités n'est pas sans évoquer La vie est un roman et les décors numériques changeants rappellent la géographie variable de ceux de Providence ; les scènes et répliques jouées plusieurs fois renvoient au jeu de répétitions et variations au cœur de Smoking / No smoking etc... Le repérage des auto-citations innombrables constitue alors un jeu de piste passionnant pour les connaisseurs de l'œuvre du cinéaste.


Atypique et finalement très personnel, Vous n'avez encore rien vu a peu de chances de faire gagner à Alain Resnais de nouveaux adeptes et épuisera la patience de beaucoup. Malgré cette réserve, la façon dont le réalisateur explore son passé artistique tout en proposant de nouvelles voies esthétiques force l'admiration et aboutit à mes yeux à son film le plus réjouissant depuis On connaît la chanson.

En résumé : à voir à condition de bien connaître le cinéma d'Alain Resnais.

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