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Vers le milieu des Bêtes du Sud sauvage, un
père fait à sa fille le récit de la confrontation de sa mère absente avec un
alligator. L’ambiance aux frontières du conte fantastique n’est pas sans
rappeler l’ouverture de Tabou où un explorateur allait à la rencontre
d’un crocodile. La comparaison n’est pas innocente : au cœur des films de
Miguel Gomes et Benh Zeitlin, au-delà de leur différence esthétique, on trouve
le même appel stimulant à l’aventure pour revitaliser un cinéma indépendant
trop souvent monotone. Dans les deux cas le résultat est un cinéma miraculeux,
à la fois libre et ambitieux.
Tabou et Les bêtes du Sud sauvage trouvent
la source de leur énergie dans des espaces géographiques peu exploités par le
cinéma d’auteur : l’Afrique coloniale pour le premier, la Louisiane pour
le second. Mais tandis que Gomes évoquait un temps d’innocence révolue qui
hantait le Portugal contemporain, Zeitlin s’intéresse au combat quotidien mené
par les habitants du Bayou confrontés sans cesse aux tempêtes et inondations.
Tout en gardant l’esprit d’un cinéma américain indépendant dédié aux marginaux,
le réalisateur trouve un terrain nouveau en décrivant une réalité absente des
grands écrans jusque-là. Et c’est à une véritable immersion dans une communauté
louisianaise que Zeitlin, habitant de la Nouvelle Orléans, nous convie.
Mais plus loin qu’une simple description réaliste,
le réalisateur propose un récit transcendant. Les bêtes du Sud sauvage,
dans la droite lignée esthétique du fabuleux court-métrage Glory at sea
qui l’a précédé (à voir d’urgence sur le site http://www.court13.com)
est un hymne poignant à l’esprit combatif d’un groupe de laissés-pour-compte.
Pour retranscrire au mieux l’aventure d’une communauté qui doit faire face à un
cataclisme, l’excellente idée du film est de choisir le point de vue d’une
fillette de 6 ans. A travers sa voix off, Hushpuppy (Quvenzhané Wallis, tout
simplement époustouflante) guide le spectateur à travers un monde tour à tour
merveilleux et terrifiant. L’intensité du film a quelque chose du vécu de
l’enfance, qui nous emporte dès un pré-générique à couper le souffle : à
partir d’un réveil paisible et solitaire au milieu des animaux, le point de vue
s’élargit à une communauté dont l’énergie explose dans le feu d’artifice visuel
et sonore d’une fête nocturne. Le tout est accompagné d’une musique euphorique
et grandiose composée par Dan Romer et le réalisateur.
Œuvre lyrique et foisonnante, Les bêtes du Sud
sauvage a une dimension épique. Le métrage décrit ainsi le périple biblique
d’un groupe de survivants au déluge à la recherche d’un foyer ; il offre
des visions fantastiques de terribles animaux préhistoriques ou de paysages
déserts jonchés de cadavres ; un bar à filles y évoque un îlot peuplé de
sirènes protectrices. Mais c’est finalement dans ses personnages d’exilés que
se situe la force incontestable du film de Zeitlin : même esquissés,
réduits à quelques gestes, les membres de la communauté du Bayou sont criants
de vérité, irradient d’une humanité qui nous donnerait envie de plus en savoir
sur eux. Et le métrage est surtout le magnifique récit initiatique vécu et
raconté par Hushpuppy, qui aboutit à un final bouleversant de beauté, émouvant
jusqu’aux larmes. Malgré le jeune âge de Benh Zeitlin (à peine 30 ans), ne
nous y trompons pas : Les bêtes du Sud sauvage est un coup de
maître.
En bref : un grand film à ne pas manquer
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