27/06/2014

Under the Skin : plongée dans l'inconnu

4,5 / 5

Depuis sa présentation à différents festivals et ses sorties aux Etats-Unis et au Royaume Uni, Under the Skin du britannique Jonathan Glazer se traîne une réputation de film atypique qui divise : il a été aussi bien accueilli par les applaudissements que par les huées au festival de Venise l’année dernière. Les images aperçues laissaient bel et bien espérer un film culte mai aussi craindre le film d’art prétentieux, à l’instar d’un Holy Motors inégal, finalement assez vain et nombriliste. L’attente raisonnée donc passée, Under the Skin se révèle à la hauteur de ses promesses, et constitue sans mal le choc esthétique de la première moitié de cette année.


Dans un gouffre d’obscurité, une lumière grossit, jusqu’à iradier l’écran ; un disque noir vient vite obscurcir, telle une éclipse, la souce de lumière. Un œil rouge électronique au centre d’une blancheur immaculée se transforme bientôt en une pupille au centre de son œil. Avec cette ouverture formelle psychédélique, Under the Skin s’inscrit dans la lignée du 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick et de son trip final. Le vide blanc dans lequel on découvre la protagoniste du métrage de Glazer n’est d’ailleurs pas sans évoquer la chambre blanche dans laquelle se retrouvait finalement David Bowman au terme de son voyage. A cette différence près que la protagoniste est incarnée par l’actrice la plus glamour du cinéma mondial et qu’elle est nue, et qu’ici l’horizon n’est pas temps le devenir cosmique que la plongée vers une âme de l’humanité. Non pas le « beyond » (au-delà) destination de l’odyssée, mais le « under » (en-dessous).

Revenons un temps sur la carrière de Scarlett Johansson : après avoir été remarquée dans quelques films (L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, The Barber), le monde est tombé sous le charme de l’actrice avec La jeune fille à la perle  et surtout Lost in Translation de Sofia Coppola. Scarlett Johansson, en plus de correspondre à merveille à la figure de la jeune fille rêveuse et mélancolique chère à l’auteure, possédait également une sensualité indéniable qui n’a pas échappé à Woody Allen. En incarnant l’objet du désir dans Match Point et Vicky Christina Barcelona ou le double féminin et l’assistante de Woody dans Scoop, la star est entrée définitivement dans l’âge adulte et a acquis son statut de sex symbol. Seulement à mesure qu’elle multipliait les rôles dans les films américains indépendants ou blockbusters (les films Marvel) la star a perdu un peu de sa fraîcheur d’origine en même temps que les limites de son registre se faisaient sentir.


Alors que la carrière de Scarlett Johansson semblait avoir atteint une limite (ce qu’est venu souligné ironiquement un César d’honneur bien trop précoce), ses derniers rôles disent sa volonté de casser son image : loin d’être mise en valeur dans Don Jon, elle y incarnait une bimbo égocentrique, calculatrice et antipathique, tandis que Her opérait l’effacement de son corps (mais restait tout de même la trace de sa sensualité dans sa voix cassée). Under the Skin est l’aboutissement de cette phase de déconstruction de l’icône glamour. Disons qu’il est à Scarlett Johansson ce que Les désaxés est à Marilyn Monroe, un retour dans le monde ordinaire d’une star à l’aura extraordinaire.

Si le film raconte la rencontre d’une étrangère avec l’humanité, il plonge aussi Scarlett Johansson en territoire iconnu, celui des quartiers populaires et des campagnes d’Ecosse. La singularité d’Under the Skin tient à la façon dont le film alterne entre les images et les décors étranges, monde où la protagoniste principale attire les humains, et un versant réaliste, proche du documentaire et du cinéma vérité. Jonathan Glazer, fort de son expérience de réalisateurs de clips, impressionne formellement dans la partie surnaturelle de son récit qui saisit par son graphisme épuré et son imaginaire morbide ;  la musique lancinante de Mica Levi, pareille à du Bernard Herrmann sous acide, accompagne ces images dans une symbiose anxiogène. Le simple spectacle de ces séquences hallucinatoires justifierait à lui seul d’aller voir le film, mais ses séquences réalistes permettent à Under the Skin de dépasser le simple statut d’expérience esthétique.


A travers le regard de l’étrangère, Jonathan Glazer livre un tableau frappant de l’humanité, d’un incident terrifiant se déroulant sur une plage à la rencontre troublante de la protagoniste avec un individu vivant en marge de la société. Par un décallage de point de vue, le réalisateur nous fait redécouvrir le monde avec un regard neuf, sans jamais tomber dans la facilité. Ainsi la dernière partie du film, qui met en scène une tentation d’aller rejoindre l’humanité au-delà de l’altérité, se refuse à résoudre cette différence dans une universalité conventionnelle. Under the Skin parvient à conserver sa beauté et son mystère jusqu’à la fin, à surprendre continuellement le spectacteur, tout en suivant le cheminement logique de son récit allégorique.


Et Scarlett Johannson dans tout ça ?  D’abord prédatrice, elle se laisse émouvoir et se retrouve bientôt perdue dans le brouillard écossais, à la recherche une nouvelle identité. Elle doit dès lors tout faire pour la première fois, hésitante et apeurée, contemple son corps nu comme s’il lui était étranger, à découvrir. Elle vient de renaître et faire peau neuve, prête à s’élever à nouveau vers les hautes sphères, à se réinventer dans une blancheur vierge. Tout est à nouveau possible.

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