27/10/2011

Americano : le cinéma en héritage

   3,5 / 5
        

Comme Un heureux événement, Americano s’ouvre sur des bruits de coït. Mais si dans le film de Rémi Bezançon la jouissance de l’acte sexuel conduisait à l’enfantement, Mathieu Demy opte pour une scène baignée d’une lumière froide, le personnage qu’il incarne se retirant malgré les demandes de sa compagne. La réticence de Martin à faire un enfant, on le découvre bientôt, est liée à des histoires de famille laissées en suspens. Le casting même évoque un passé du cinéma sous lequel le film est placé, représenté par Jean-Pierre Mocky et Géraldine Chaplin. Le choix de Chiara Mastroianni, fille de deux stars internationales, pour incarner sa compagne n’est pas innocent pour le réalisateur qui porte le double héritage de Jacques Demy et Agnès Varda. L’intrigue qui amène Martin à devoir faire le deuil d’une mère qu’il découvre de manière posthume reflète le projet du réalisateur de s’établir comme un auteur après avoir fait ses preuves en tant qu’acteur.


Comment gérer un passé familial envahissant ? Le postulat de départ de l’intrigue semble apporter une réponse simple en rendant littéral le projet psychanalytique de « tuer la mère ». Sauf que Martin se rend vite compte qu’on ne peut pas se débarrasser du passé en jetant les objets liés au souvenir. Mathieu Demy assume le passé artistique qu’il porte dans son état civil, symbolisé par les extraits du Documenteur d’Agnès Varda. Car le passage de Mathieu qu’il incarne est celui-là même que sa mère lui avait fait jouer dans un film qui, par le biais de la fiction, témoignait de sa vie à deux avec Mathieu suite au départ de Jacques Demy. La matière du film de Varda, source dans laquelle Martin puise ses souvenirs épars, est le point de départ d’Americano qui fonctionne par échos une fois que le personnage est revenu sur les lieux de son enfance. L’arrivée à l’appartement de la défunte filmé d’une voiture se fait dans un cadrage identique à celui choisi par Varda pour filmer le retour de Martin et de sa mère à leur domicile 30 ans plus tôt. Mêmes lieux, mêmes personnages : dans une belle scène où se mêlent fiction et documentaire, Martin retrouve l’écrivain qui était leur voisin, mais c’est aussi Mathieu qui retrouve l’acteur. 

Mais le film prend réellement son essor une fois Martin parti à la recherche d’une enfant présente sur une photographie, une mystérieuse Lola : le passé de la mère de fiction semble conduire au père et au personnage célèbre de son film éponyme. Cependant, cette nouvelle filiation s’avère vite être une fausse piste, qui amène à un Tijuana ressemblant peu au Nantes de Jacques Demy. Cet ailleurs est là où Americano trouve son identité, en même temps que la boîte de strip-tease à laquelle il emprunte son titre.


Entre le réalisme documentaire d’Agnès Varda et la poésie féerique de Jacques Demy, Mathieu Demy trouve un souffle narratif  dans un décor double, la misère réaliste de Tijuana et de ses prostituées et enfants errants s’opposant à l’espace de la boîte, celui du théâtre et des lumières artificielles. La première apparition de Lola, sa danse captée par une caméra qui lui tourne autour, établit la beauté de l’ange déchu incarné par une Salma Hayek aussi crédible en idéal de star cristallisant les désirs masculins qu’en mexicaine résignée dont les rêves d’ Amérique ont été brisés. Ce beau personnage de cinéma est le moteur d’un film au ton original qui se positionne alors comme une fable réaliste et cauchemardesque dans laquelle Martin se retrouve piégé. Drame intimiste français puis film d’aventures au Mexique, Americano reste cohérent dans son récit grâce à un Mathieu Demy convaincant en antihéros perdu face à une mère et un monde étrangers. 

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