3,5 / 5
Dans la note d'intention des Chants de Mandrin, son réalisateur Rabah Ameur-Zaimeche se revendique d'un esprit libre, "en bordure du champ politique", salué par le prix Jean Vigo reçu par le film l'année dernière. L'auteur ambitieux se présente à la recherche d' "un espace séparé, une utopie poétique où l'art déploie sa pleine puissance de figuration et de pensée". Le résultat de cette démarche est un film curieux, inégal, mais qui livre certains moments assez fascinants pour que l'entreprise soit considérée comme finalement réussie.
Production indépendante, Les chants de Mandrin est un film d'époque qui refuse l'attrait romanesque propre au genre. D'abord, son récit à la narration lâche présente peu d'enjeu dramatique mais s'avère plutôt une chronique quotidienne de la vie errante des compagnons de feu Mandrin, contrebandier précurseur des révolutionnaires dans la France du milieu du 18ème siècle. Ensuite, le film refuse l'ampleur spectaculaire, puisque même les quelques échanges de coup de feu avec les militaires sont filmés en plans serrés, dans un découpage minimaliste. Face à cette promesse de divertissement historique frustrée, on peut comprendre les réactions outrées de certains spectateurs. D'autant plus que le réalisme du film semble souvent rentrer en conflit avec le langage daté de l'époque et un jeu d'acteur parfois discutable (Ameur-Zaimeche qui incarne un des premiers rôles en tête). Il est d'ailleurs significatif que le film soit le plus convaincant dans des scènes non dialoguées, des moments de pause où il parvient à atteindre une étrange beauté : ainsi la visite de l'imprimerie est l'occasion d'une séquence où les personnages se détachant dans l'obscurité sont comme hors du temps, où se concrétise l'espace poétique recherché par Ameur-Zaimeche. Cette poésie peut aussi provenir de présences singulières, telles celle d'un géant ou d'une femme silencieuse parmi les contrebandiers.
Mais avant tout, Les chants de Mandrin prend sa valeur esthétique et son sens dans ses scènes musicales : un morceau de flûte joué par un des contrebandiers alors que des soins sont donnés à un déserteur mourant sublime ainsi l'action du chef apprenti médecin et instaure en même temps un espace intime, en marge de la société, où se trouve le groupe rebelle. Plus tard, sur les accords d'un instrument d'époque, la grandeur du groupe se dévoile : le mystère qui plane autour de cette communauté dont on n'apprendra en définitive pas grand chose, c'est celui des légendes, silhouettes noires désincarnées et intemporelles défilant sur un ciel bleu se faisant la voix d'un peuple révolté soumis à une autorité arbitraire. Enfin, lors d'un final sublime et envoûtant où un chant funèbre en hommage à Mandrin se transforme en danse endiablée, Rameur-Zaimeche parvient à transmettre la belle idée d'un art à la fois noble et populaire. Ces scènes procurent un enthousiasme qui prévaut aisément sur les quelques réserves que peut susciter ce cinéma libre et indépendant.
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