13/02/2012

Detachment : peut mieux faire

1,5 / 5

On n'avait plus eu de nouvelles de Tony Kaye depuis son premier et très réussi film American history X en 1998, qui avait révélé Edward Norton jusqu'alors cantonné à des seconds rôles. Les déboires vécus par le réalisateur auquel on avait imposé un montage peuvent expliquer son absence de plus de dix ans des grands écrans, et comme pour saluer ce retour longtemps attendu le festival de Deauville a doublement récompensé Detachment qui a reçu le Prix de la Critique Internationale et celui de la Révélation Cartier. La bande-annonce du film laissait entrevoir un film réaliste sur le désarroi des enseignants aux États-Unis, un Entre les murs outre-Atlantique avec un rôle enfin à la hauteur du formidable et trop rare Adrien Brody. La copie de Kaye ramassée, on hésite malheureusement entre "médiocre" et "insuffisant".


Afin de planter le décor, le film s'ouvre sur une série de témoignages sur l'école : au fur et à mesure, on comprend que les intervenants sont des enseignants qui décrivent le trajet qui les a amené à leur métier. Ces récits, gros plans sur des visages esthétisés par le noir et blanc, alternent avec la mise en place d'une intrigue de fiction où nous est présenté Henry Barthes, qui a lui aussi droit à des monologues en gros plan où il exprime son désarroi existentiel. Dès les premières minutes, on ressent la difficulté que Kaye a à organiser ces différentes matières pour produire un quelconque sens. S'il cherche à produire un effet de réel par ces confessions intimes, ce dernier est neutralisé par une esthétique fatigante qui parasite sans cesse les scènes, tels que ces zooms et mises au points incessantes lors de l'échange entre le proviseur du lycée où va travailler Barthes et son supérieur. L'immersion dans le monde de l'enseignement d' Entre les murs était rendue possible au contraire par une esthétique quasi-documentaire, invisible.


Tony Kaye a beau affirmé que Detachment n'est pas un film sur l'enseignement et a une portée plus large, la distance imposée par sa mise en scène omniprésente ne nous permet jamais d'être en empathie avec les personnages du film. Le réalisateur survole une intrigue qui aligne par ailleurs les clichés les plus désarmants : une adolescente un peu enrobée et artiste photographe aux tendances gothiques se fait ainsi réprimander par un père incompréhensif hors-champ, Barthes recueille une adolescente qui se prostitue et un professeur en difficulté rentre chez lui sans que sa famille daigne lui adresser la parole. Inutile de préciser que ce film se prend par ailleurs très au sérieux et que seul un personnage de professeur désabusé apporte à peine une pointe d'humour dans ce désespoir de tous les instants.


Plus que de l'indifférence, Detachment produit un sentiment de gâchis perpétuel. Malgré une brochette d'acteurs d'habitude excellents, tels que Marcia Gay Harden (vue chez Eastwood) et James Caan, le peu d'espace qui leur est réservé et leurs rôles caricaturaux ne leur permettent pas de briller. Même Adrien Brody semble dépourvu de la finesse et l'intensité qui l'habitait dans Le pianiste. La scènes finale, où Barthes lit un extrait de La chute de la maison Usher sur les images d'un lycée désert fantasmagorique, aux couloirs jonchés de copies pareilles à des feuilles mortes, porte quant à elle une puissance visuelle assez remarquable pour ne pas laisser penser que Kaye est capable de nous offrir mieux que ce film brouillon.

3 commentaires:

  1. Detachment, c'est tout à fait le titre d'un article peu documenté ou le beau parleur critique, détaché d'une réalité réelle se permet, à l'abri de la réalité de laisser parler son sens critiquable de l'observation.
    Mais c'est tout à fait normal, dans notre beau pays des libertés et droits de l'homme sans cesse ramenés comme des raisons d'être heureux de notre sort, le système éducatif a construit loin des yeux et du cœur, à en lire de pareils propos, des centres de reformation des exclus de l'éducation nationale. Sur nombre d'articles peu documentés j'ai pu lire ce genre de propos et de visions qui se veulent intellectuels et philosophiques et qui ne servent qu'à contenir une réalité qui fait peur. Les centres psychiatriques pour adolescents sont pleins, oui, dans notre beau pays, je travaille dans un itep, un centre thérapeutique pour des adolescents aux troubles du comportement. Ce sont ceux que vous croisez dans la rue, ceux que vous ne voyez pas et pourtant, nos centres aussi sont pleins à craquer. L'action du début de film pointée du doigt si souvent comme une situation cinématographique grossière, est notre quotidien. C'est la violence systématique que nous vivons, derrière votre désinformation rassurante et nous aussi nous finissons détachés après plusieurs années et nous ramenons forcément ces implications dans nos familles le soir. Je suis terriblement blessé de lire des critiques aussi stériles qu'inintelligentes et je propose à Mov Florid de venir passer une semaine en tant que spectateur de l'impossible réalité décriée ici.
    C'est au delà du honteux, des suicides, nous en avons vécu comme des scènes régulières de parents qui abandonnent leurs responsabilités à des éducateurs surchargés de la misère de chaque dossier posé devant eux à chaque rentrée. Des enfants abandonnés par un système corrompu ou le tout commercial génère des situations alarmantes que vous finirez par voir tôt ou tard car nous ne sommes plus suffisant à contenir cette détresse sociale et cette déstructuration familiale.
    Un grand zéro pointé à cette critique qui ne vaut que l'image qu'elle transporte, une immense incapacité à chercher une once de vérité dans la réalité. Ce n'est pas du mépris de ma part, mais une grande peine de voir quelqu'un témoigner autant d'arrogance qu'un manque de savoir, et de savoir être!
    Christophe

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  3. Navré que je n'ai pas su rendre justice à 'Detachment' et il est vrai que j'y suis peut-être allé un eu fort en parlant de situations "clichés". Au travers d'une expérience d'enseignant d'anglais pendant deux ans, j'ai pu rencontré des parents démissionnaires et me confronter à l'incapacité de l'éducation sociale d'intégrer certains laissés pour compte dans son système (que j'ai pu rencontré dans les classes que j'avais en charge).
    Cependant, le film de Tony Kaye ne traite pas il me semble ce thème comme il le devrait, la faute à un traitement esthétique à mon sens brouillon et à des personnages pas assez travaillés.
    Merci en tout cas de votre témoignage.

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