Memories of murder : 5 / 5
The Chaser : 4,5 / 5
Le polar semble être un genre de prédilection dans le cinéma coréen, comme en témoigne les sorties cet été de J’ai rencontré le Diable et The Murderer. Il ne s’agit pas pour autant de films de genre inspirés du cinéma américain comme on peut en voir en France. Si J’ai Rencontré le Diable semble se limiter à l’exercice de style, il évoque moins les classiques américains que deux réussites du polar coréen, The Chaser et Memories of Murder. Ainsi la scène de meurtre puis de découpage de la fiancée du héros au début du film fait écho la violence de la scène du meurtre avorté au marteau de la prostituée recherchée par son proxénète dans The Chaser. Plus tard, lors de la découverte du corps de la jeune femme, un des hommes de la police trouve la tête du corps et la laisse tomber en trébuchant ; le détail réaliste dans l’ambiance de panique autour de la scène de crime n’est pas sans rappeler le désordre comique présent sur celles de Memories Of murder, où des policiers tombent en roulant dans une pente qui conduit au champ où se trouve le corps. A partir de ce double constat, on peut se demander quelles seraient les caractéristiques du cinéma policier coréen, ce en quoi il se distingue du genre américain.
Il y a dans les polars coréens une conscience de venir traiter ce genre cinématographique sur le tard, après un siècle de littérature et cinéma américains dont il reprend les codes en les exposant : dans Memories of murder, deux inspecteurs de la campagne observent leur collègue venu de Séoul, héros idéal du film, charismatique et la cigarette à la bouche en fidèle héritier des privés américains, et tandis que l’un des policiers exprime son agacement l’autre lui répond « Oui mais il est quand même cool ». De même la profusion de tueurs en série présente dans J’ai rencontré le Diable semble un miroir grossissant de la violence des polars, la poussant jusqu’à l’absurde : un taxi de nuit où s’engouffre le tueur poursuivi est nécessairement l’occasion d’une rencontre avec des tueurs amateurs. The Chaser joue quant à lui avec les codes classiques de l’intrigue du polar, déplaçant constamment les enjeux du suspense sans laisser de répit au spectateur ravi dont les attentes sont déjouées : dès le premier tiers du film, le tueur en série identifié passe aux aveux et se retrouve menotté au commissariat donc incapable d’agir. L’ingéniosité du film est alors de maintenir la tension autour de ses crimes malgré ce postulat inédit.
Les films de Na Hong-jin, Kim Ji-Woon et Bong Joon-Ho partent de la même intrigue de base, la poursuite d’un tueur en série, mais il est significatif que chacun d’eux refuse la simplicité de ce récit trop classique. Memories of murder nous décrit une enquête qui piétine et peine à trouver le coupable tandis que le fiancé en deuil de J’ai rencontré le Diable empêche son adversaire de nuire avant de le relâcher à chaque fois, dans un désir de vengeance prolongée. Ce refus d’une progression classique du récit est associé à des procédés de mise en abyme, éléments qui semblent court-circuiter la recherche de la vérité : on peut citer les aveux des suspects mis en scène par la police ou la reconstitution d’une scène de meurtre dans Memories of murder, les manipulations multiples du tueur de The Chaser qui s’amuse à mêler le vrai et le faux dans ses aveux ou le procédé d’oreillette et de micro par lequel le héros de J’ai rencontré le Diable garde la trace du tueur. Le polar coréen pourrait en résumé se définir comme un néo-polar qui met en échec les récits classiques de ces prédécesseurs. Comme s’il transcendait le genre auquel il appartient pour proposer une vision plus complexe, moins manichéenne des récits policiers.
L’impossibilité des récits linéaires dans le polar coréen, plus qu’une simple rupture esthétique, peut aussi venir de la confrontation du genre avec le monde réel : Memories of murder et The Chaser trouvent tous deux leur inspiration dans les crimes perpétrés par des tueurs en série ayant vraiment existé. En lien avec cette confrontation au réel, on peut constater que la violence telle qu’elle est présentée dans ces films est frappante dans ce qu’elle a de cru, dans l’absence d’esthétisme qui l’entoure (il y a bien une exception dans The Chaser, mais j’y reviendrai plus tard) : les affrontements au corps à corps entre le héros et le tueur dans The Chaser semblent un chaos non chorégraphié qui s’étire sur la longueur, de même que les scènes de bagarres générales incontrôlables de Memories of murder. Le statut de la violence dans le film de Bong Joon-Ho permet de mettre à jour une autre composante propre à ces deux films, leur ton qui oscille entre comique et tragique.
La violence à laquelle se livre les policiers entre eux ou envers les suspects dans Memories of murder revêt d’abord un caractère burlesque : un policier descend l’escalier qui mène à la salle d’interrogatoire puis sans crier gare donne un coup de pied au suspect qui tombe de sa chaise, un autre accueille son collègue de Séoul qu’il prend pour un agresseur d’un coup de pied sauté. Cette violence sans effusion de sang, qui relève de l’acrobatie, acquiert une dimension comique dans sa répétition systématique. Elle prend une dimension autrement plus tragique à la fin du film, dans ce qu’elle traduit de l’incapacité des forces de police à mener à bien leur enquête. Un changement de ton similaire s’opère dans The Chaser au fur et à mesure que le proxénète s’investit davantage dans la recherche de la prostituée séquestrée par le tueur : le tragique prend toute sa mesure esthétique dans une dilatation du temps, un ralenti dans une scène de meurtre face auquel tous les protagonistes montrés dans les plans de coupe sont impuissants. S’abattent alors les coups de marteau. C’est dans ce basculement du comique au tragique, dans la description fine de l’évolution des relations entre les inspecteurs de Memories of murder et l’évolution du protagoniste de The Chaser suite à sa rencontre avec la fille de la prostituée, que ces deux films transcendent le film de genre pour s’offrir comme miroirs de notre monde. La frontière entre fiction et réalité est d’ailleurs explicitement en jeu dans le plan final de Memories of murder : n’est-ce pas à nous spectateur qu'un inspecteur (interprété par l’extraordinaire Song Kang-Ho) s’adresse dans un regard caméra en gros plan ?
La violence à laquelle se livre les policiers entre eux ou envers les suspects dans Memories of murder revêt d’abord un caractère burlesque : un policier descend l’escalier qui mène à la salle d’interrogatoire puis sans crier gare donne un coup de pied au suspect qui tombe de sa chaise, un autre accueille son collègue de Séoul qu’il prend pour un agresseur d’un coup de pied sauté. Cette violence sans effusion de sang, qui relève de l’acrobatie, acquiert une dimension comique dans sa répétition systématique. Elle prend une dimension autrement plus tragique à la fin du film, dans ce qu’elle traduit de l’incapacité des forces de police à mener à bien leur enquête. Un changement de ton similaire s’opère dans The Chaser au fur et à mesure que le proxénète s’investit davantage dans la recherche de la prostituée séquestrée par le tueur : le tragique prend toute sa mesure esthétique dans une dilatation du temps, un ralenti dans une scène de meurtre face auquel tous les protagonistes montrés dans les plans de coupe sont impuissants. S’abattent alors les coups de marteau. C’est dans ce basculement du comique au tragique, dans la description fine de l’évolution des relations entre les inspecteurs de Memories of murder et l’évolution du protagoniste de The Chaser suite à sa rencontre avec la fille de la prostituée, que ces deux films transcendent le film de genre pour s’offrir comme miroirs de notre monde. La frontière entre fiction et réalité est d’ailleurs explicitement en jeu dans le plan final de Memories of murder : n’est-ce pas à nous spectateur qu'un inspecteur (interprété par l’extraordinaire Song Kang-Ho) s’adresse dans un regard caméra en gros plan ?
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