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Melancholia, de manière assez surprenante pour Lars Von Trier qui a accumulé les œuvres provocatrices (Breaking the Waves, Dancer in the Dark, Antichrist), ne fait l’objet d’aucune polémique. Evoquant le caractère « terne » de son film, l’auteur danois s’est engagé à retracer pour son prochain film la vie sexuelle d’une femme de sa naissance jusqu’à ses 50 ans qu’il décrit déjà comme son « film le plus bordélique »[1]. La rupture dans son œuvre amenée par un propos assagi semble s’accompagner d’une rupture esthétique, le baroque des images d’ouverture de Melancholia s’opposant au « dogme » de cinéma vérité défendu par Von Trier dans les années 90 ou à la simplicité du dispositif de Dogville où les acteurs évoluaient dans des décors peints au sol à la craie. Ce statut de film à part dans l’œuvre du cinéaste posé, qu’en est il de sa qualité ?
Le prologue de Melancholia, dans une série de plans fixes semblables à des tableaux animés, évoque les peintres romantiques (la descente de la mariée le long d’un fleuve telle Ophélie), 2OO1 l’odyssée de l’espace ou les cadres géométriques de L’année dernière à Marienbad (les plans sur des jardins et un château), le tout sur la musique dramatique de Tristan et Iseult de Wagner : ce festival baroque est une évocation onirique de la fin du monde, une planète rentrant en collision avec la terre. En contraste, la première partie du film intitulée « Justine », dans un style naturaliste proche du documentaire, décrit sur le mode de la satire le banquet de mariage de la jeune femme. La deuxième partie du film, « Claire », oppose à la profusion des invités de la fête un groupe ramassé de personnages, afin de mieux sonder leurs réactions face à l’arrivée d’une planète qui pourrait signifier la fin du monde.
L’ampleur du récit de Lars Von Trier trouve son parallèle dans les différences de style et de point de vue : de la satire de groupe au drame intimiste, de la beauté travaillée des plans d’ouverture dans un opéra d’images orchestré à la manière de Visconti aux dernières minutes du film qui évoquent la sobriété de Tarkovski. L’hétérogénéité de la matière filmique n’empêche cependant pas le film d’être d’une grande cohérence, du fait d’une construction de scénario qui fonctionne en opposition symétrique, la première partie se retrouvant le miroir inversé de la deuxième et réciproquement. Une scène à cheval dans la première partie trouve une variation dans la deuxième partie : Justine constate la disparition de l’étoile d’Antarès, puis le rapprochement de la planète Mélancholia. La première partie, dans des tons chauds, est placé sous le signe de l’étoile rouge pour décrire le crépuscule des rituels sociaux, leur dysfonctionnement et leur ridicule. Le beau-frère de la mariée met ainsi la mère de cette dernière à la porte en jetant ses affaires à la porte avant que le majordome ramasse les affaires machinalement pour les remettre à l’intérieur. La deuxième partie, baignée par la lumière crue et froide de Melancholia, nous conte l’après de cette disparition, les derniers instants d’êtres hantés par une mort imminente, mis à nu tels Justine qui s’allonge sur un rocher pour s’offrir à la lumière mortifère de la planète.
Au-delà de la structure du scénario, c’est l’interprétation exemplaire des comédiens qui confère à Melancholia sa cohérence. Il convient alors de saluer évidemment la prestation de Kirsten Dunst : si Virgin Suicides ou Marie-Antoinette la présentaient comme un choix idéal pour incarner la mélancolie de Justine, son jeu contrasté dans la deuxième partie du film justifie aussi le prix d’interprétation reçu à Cannes. Face à sa force toute d’apaisement destructeur, Charlotte Gainsbourg et Kiefer Sutherland sont admirables, la première dans l’incarnation des angoisses d’une organisatrice de mariage puis d’une mère de famille, et le deuxième dans celle de la rationalité opposée aux émotions incontrôlables de sa belle-sœur.
De son ouverture belle et froide à son final bouleversant, Melancholia est une œuvre ambitieuse et complexe dont la sérénité, loin d’être le signe d’un conformisme comme le suggère son auteur, amène une profondeur émotionnelle nouvelle à son cinéma. Il est permis de considérer d’ores et déjà ce film comme son chef d’œuvre.
Heureusement que tu as le recul et la culture nécessaire pour en parler, parce que je ne suis personnellement pas en mesure encore d'en parler. Comme d'habitude, tu offres un regard ajusté sur les volontés du film.
RépondreSupprimerPour moi, Melancholia fait partie de ces films qui vous trottent dans la tête plusieurs jours voire plusieurs semaines après les avoir vus.
RépondreSupprimerSur le moment, je suis sorti du film "malade". La façon de filmer (jeux de flous et de nets, succession des plans, gros plans, caméra portée à la main etc.) m'a rendu malade pendant les 2/3 restants du film.
Cela m'a un peu gâché le plaisir, je l'avoue...
Une spectatrice qui se sentait mal est d'ailleurs sortie de la salle après 20min de film sans compter les autres qui devaient trouver le temps long.
Pour ma part, j'ai apprécié les longueurs du film. Les scènes de mariage sont riches, parfois comiques (je pense à la scène du bouquet ou aux délicieuses répliques de Charlotte Rampling).
La deuxième partie est plus prenante encore. Ce qui m'a marqué ici c'est davantage le phénomène de rapprochement de la planète Melancholia que le jeu des protagonistes (le personnage de Justine qui se traîne déprimée dans une grande maison tout autant déprimante finit par lasser).
Ce film pose la question de la fragilité et de l'impuissance de l'être humain dans l'univers. Alors, à la fin de la séance, on ne peut s'empêcher de se demander si un astre tel que Melancholia pourrait réellement s'écraser sur la Terre. Le film est certes plus riche que cela mais la question se pose ! ;)