15/09/2011

Habemus papam : du grand cinéma italien, tout simplement

4,5 / 5
 

Pour le spectateur comme moi qui ne connaît de Nanni Moretti que son Journal intime, film où il mettait en scène son quotidien et ses errances à scooter dans Rome, ou La chambre du fils, drame intimiste qui avait reçu la palme d’or à Cannes en 2001, l’ouverture de Habemus papam surprend. On est en effet loin de cet intimisme avec les plans de la foule réunie place saint Pierre dans l’attente de l’annonce du nouveau pape. La lente et solennelle procession des cardinaux tout de rouge vêtus dans des cadres esthétisants sur une musique somptueuse évoquent le faste viscontien davantage que le réalisme auquel Moretti nous avait habitués. La mise en scène donne alors à voir les rituels codés propres à l’élection d’un nouveau pape. Cependant quelques décalages égratignent déjà le sérieux du spectacle ; un journaliste commente la scène puis essaie d’interviewer les membres de la procession à plusieurs reprises en vain tout en expliquant la raison de ses échecs, la procession s’arrête brusquement suite à un « attendez » lancé du haut d’un escalier. Le mouvement des cardinaux, malgré sa rigueur religieuse, est aussi une mise en scène théâtrale, et le film prend alors une dimension fellinienne, baroque et comique. Car la solennité silencieuse de l’élection du pape, une fois les votants confrontés à la difficulté de la tâche, explose en un concert de bruits secs de stylos frappés sur les tables puis en un brouhaha de voix off, suppliques des membres de l’église de ne pas être élus pape. Dans cette absurde communion le film de Moretti trouve son ton, celui d’une comédie tragique qui place des hommes ordinaires dans une situation exceptionnelle qui les dépasse et les effraie.


Le principal ressort comique d’ Habemus papam est le décalage, que ce dernier trouve sa source dans la présence incongrue d’un psychanalyste parmi les cardinaux ou dans le comportement enfantin des cardinaux dont l’âge et l’accoutrement symboliseraient plutôt la sagesse et la rigueur. L’activité à laquelle se livre finalement les hommes d’église dans l’attente du discours du pape constitue le summum de ce pan du film. En parallèle, le film présente les enjeux tragiques du conflit entre la grandeur qui entoure la mission religieuse et le statut d’hommes simples des cardinaux à travers le récit de la crise existentielle que traverse Melville, le pape élu. Incapable d’assumer la tâche qui lui incombe, ce dernier pousse un cri et court tel un enfant apeuré dans les décors somptueux  du palais du Vatican. Anonyme de retour dans le monde du quotidien extérieur au microcosme auto-suffisant du Vatican, le pape répétant à voix haute son discours aux croyants dans un bus est pareil à un vieil homme sénile aux yeux des passagers. En choisissant de faire de ses cardinaux des hommes humbles et fragiles, Moretti trouve un humanisme touchant qui rappelle Rossellini : on pense aux Onze Fioretti de François d’Assise  ou aux récits simples qui composent Païsa, notamment celui où des aumôniers américains sont accueillis dans un monastère. Ni pamphlet anticlérical ni film prosélyte, Habemus papam est une fable sur la difficulté d’assumer un pouvoir nécessaire, racontée simplement et avec une justesse de tous les instants.


D’où provient cette justesse ?  D’abord du naturel confondant des acteurs qui incarnent les cardinaux, Michel Piccoli en tête, mis en valeur par le contraste avec le verbiage sophistiqué du psychanalyste incarné par Moretti ; mais aussi de l’irruption surprenante du réel au milieu de la fable. Ainsi le docteur joué par le metteur en scène se retrouve à diriger le groupe des ecclésiastiques dans leurs loisirs et Melville s’invente-t-il une identité d’acteur. Quand il prend un plaisir à réciter une pièce de Tchekhov, Melville s’efface pour laisser place à Piccoli l’acteur. Interrogé sur la méthode de l’ "Actor’s Studio", le cinéaste Moretti a évoqué son désir de voir les acteurs mettre beaucoup d’eux-mêmes dans leurs rôles plutôt qu’inventer leurs personnages de toutes pièces [1]. La scène d’Habemus papam où Melville/ Picolli invente/confie ses doutes d’acteur ne se souvenant plus de ses répliques illustre cette belle idée. Le film, en plus de son écriture et sa mise en scène admirable qui évoquent les grandes heures du cinéma italien, est aussi un film personnel sur la dépression, confie le cinéaste [1]. Aux antipodes du drame mélancolique de Lars Von Trier, autre grand cinéaste dépressif, la beauté d’ Habemus papam est d’être malgré la gravité de son thème une comédie généreuse, une ode à la vie.


[1] Dans une interview accordée à Allociné pour Habemus papam

2 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec cette critique, il y a beaucoup d'humain dans ce film et c'est ce qui en fait son charme indéniable. c'est de plus un film avec beaucoup d'humour. Allez-y !

    Anne

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  2. Ce film m'a choquée parce qu'il touche à ce qui m'est essentiel. La fin m'a particulièrement sonnée, étant donné mon rapport à la foi et au sens que je donne à la mission qui dépasse l'entendement humain. C'est drôle que tu fasses le parallèle avec Melancholia, puisque j'en suis ressortie avec le même état psychologique. Et puis un film avec des longueurs de réalisation et où tout se bouscule à la fin...
    J'attendais un film iconoclaste et à la fois bénéfique pour l'image de l'Eglise, car en montrant l'humanité du microcosme vatican, Nanni Moretti prouve encore une fois les inepties de la hiérarchisation du sacré par rapport aux attentes du monde contemporain. Quant à Michel Piccoli, il parle très peu, mais Nanni Moretti a su capter un regard tellement vivant que les mots pouvaient être tus. Je voudrais enfin féliciter Nanni Moretti pour sa direction d'acteurs, notamment pour filmer les scènes de désarroi. C'est un sentiment qui, dans beaucoup de films, paraît fallacieux ou surjoué. Là, les acteurs étaient justes, et c'est ce qui m'a le plus touché.

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