28/12/2011

A dangerous method : découvrir le sens caché

 4,5 / 5
  
Les aficionados du cinéma de Cronenberg semblent déroutés par A dangerous method : où se trouve donc la patte brûlante du réalisateur canadien, sa fascination pour l'organique et l'étrange, dans ce drame d'époque aux atours académiques ? Le virage esthétique de A history of violence et Les promesses de l'ombre, films épurés où les éclats de violence demeuraient ponctuels, est confirmé dans cette évocation sobre des débuts de Carl Jung, ses relations avec son mentor Sigmund Freud et sa patiente puis collègue Sabina Spielrein. David Cronenberg se serait-il assagi avec l'âge ? Probablement, mais cela n'enlève rien à l'originalité d'un des films les plus beaux de 2011.


Tout d'abord faire de A dangerous method une œuvre impersonnelle revient à ignorer les ponts multiples avec le cinéma passé de Cronenberg : lors des crises d'hystérie de Spielrein, les décrochements de mâchoire déforment le visage lisse de Keira Knightley en font un avatar réaliste des monstres chers au cinéaste (La mouche, Le festin nu, Faux semblants); son goût pour le masochisme n'est pas sans évoquer le sexe violent de Crash ; les visions de Jung extralucide en font un héritier (ou précurseur) de Johnny Smith (Dead Zone). Au-delà de ces allusions visuelles et thématiques, le réalisateur parvient à introduire l'étrangeté par le biais de la mise en scène. Lors de la séance  de galvanométrie à laquelle Jung soumet sa femme, le découpage en gros plans sur les éléments individuels de la machine créent une aura mystérieuse autour d'un processus scientifique dont le fonctionnement n'est jamais explicité. Plus tard, un ensemble de cobayes écoute la musique de Wagner et leurs réactions sont méticuleusement étudiées par Spielrein. Que constate la psychiatre chez la femme vers laquelle la caméra se dirige ? Le spectateur n'en saura jamais rien. Que lui reste-t-il alors ? Des plans sur des visages à explorer et déchiffrer, pour percer le sens caché, ce qui est réellement en jeu, la relation entre les personnages au centre du drame. Parsemés dans le film, des cadrages singuliers montrent un personnage parlant avec un autre qui l'observe, l'écoute à l'arrière-plan ou de dos au bord du cadre. Ce que ce partage du cadre installe, c'est l'intimité du rapport de psychanalyse.



L'écueil dans lequel tomberait A dangerous method selon certains est celui du bavardage. S'il est vrai que les dialogues y occupent une place prépondérante par rapport à l'action, c'est que le film traite d'une science qui fait passer la guérison par la parole (le titre de la pièce de Christopher Hampton dont est adaptée le film est The talking cure). Les dialogues y ont toujours lieu entre deux personnages, dans un monde clos et privé qui exclut l'entourage : ainsi lors du premier déjeuner entre Freud et Jung la famille de Freud silencieuse n'est découverte que dans un contrechamp comique alors que Jung discute librement de la sexualité qui  sert de fondement à la psychanalyse ; plus tard, leur affrontement verbal final se déroule dans une salle qui se vide peu à peu des collègues qui étaient attablés avec eux. La forme la plus intime du dialogue, celle de la lettre adressée, est alors le moteur récurent de l'intrigue. Dans ces échanges riches et interminables (la première discussion entre Jung et Freud a duré pas moins de treize heures), c'est au spectateur de dénicher les sens multiples, tout comme c'est son rôle de combler les nombreuses ellipses d'une narration qui s'étale sur une dizaine d'années. C'est à lui de déduire le sens d'un recadrage sur la main de Jung alors que sa maîtresse s'agenouille pour le supplier de ne pas mettre fin à leur relation. A ce travail d'investigation exigeant mais passionnant s'ajoute le récit émouvant et tragique de la relation entre Jung et Spielrein, servie par les ré-orchestrations sublimes de Wagner par Howard Shore et un Michael Fassbender encore une fois irréprochable. 


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