3,5 / 5
Jaume Balaguero est le co-réalisateur de [Rec] et [Rec 2], films d'horreur qui s'inscrivaient dans la lignée esthétique du Projet Blair Witch, à savoir prise de vue réaliste de la caméra à l'épaule tremblante qui devrait rendre l'horreur à l'écran plus palpable donc plus effrayante. Le ridicule Paranormal Activity où le spectateur se retrouvait obligé de guetter la moindre activité pendant de longs, très longs plans fixes, jusqu'à un effet "Bouh" final totalement raté, a sonné le glas de cette forme effet de mode, et on ne peut que soupirer à l'idée du [Rec] Apocalypse en préparation pour le réalisateur. Surtout que son dernier film Malveillance prouve son talent une fois débarrassé de cette esthétique éculée.
Malveillance s'ouvre sur des appels passés par des dépressifs à une émission de radio, sur le fond noir où se déroule le générique. Le mal-être vécu par les auditeurs est partagé par César, sa voix intérieure off se mêlant aux témoignages alors qu'on le découvre sur le toit d'un immeuble, prêt à sauter dans le vide. Le dénouement de la scène dramatique attendra, le film revenant en arrière pour faire le récit de la semaine qui a mené le personnage au suicide, comme semble l'indiquer l'intertitre "lundi". A la sonnerie d'un réveil, César se lève et s'éclipse discrètement pour ne pas réveiller la femme encore endormie à ses côtés : si le récit démarre sur cette normalité du quotidien, il la déconstruit par petites touches dans les minutes qui suivent. La mise en scène dévoile d'abord la photographie de la jeune femme en couple avec un autre ; puis on apprend que César est le gardien de l'immeuble ; il donne de l'argent à une adolescente qui habite dans l'immeuble avant que cette dernière ne crache sur son comptoir pour le provoquer. Le réveil de la jeune femme, Clara, suivie dans une séquence voyeuriste alors qu'elle se prépare pour la journée, achève de créer un malaise. Alors qu'elle croise César dans le hall d'entrée, les soupçons du spectateur sont confirmées : elle ignorait tout de la présence nocturne du concierge dans son appartement. Si cet effet de fausses pistes est gâché comme souvent par une bande-annonce qui dévoile trop, il convient de souligner le brio avec lequel le scénario et la mise en scène distillent les informations pour manipuler le spectateur.
Pour autant, Malveillance réserve d'autres surprises, et la relation de César avec Clara sort avec bonheur des sentiers battus, hors du schéma du psychopathe obsédé par une victime jeune et désirable. Certes , le charme solaire de Marta Etura est indéniable et Luis Tosar a ce côté faussement aimable et effacé caractéristique des tueurs en série depuis le Norman Bates de Psychose. Mais le film ne tombe dans la facilité du grand-guignol que tardivement et crée plus subtilement une tension à partir d'éléments réalistes et du point de vue prédominant de César. Placé aux côtés de ce personnage ambigu dont le sadisme est motivé par la souffrance, le spectateur tremble pour lui autant qu'il le fait pour la pauvre Clara. L'intérêt et l'originalité du film résident alors dans la fascination et le dégoût qu'inspirent son personnage principal, abject mais tellement proche de nos sentiments les plus noirs qu'on se prend à vouloir le voir arriver à ses fins. De facture hitchcockienne, Malveillance est un thriller malin et efficace, qui prouve que le classicisme utilisé à bon escient vaut mieux que les dispositifs faussement innovants. Espérons que Balaguero s'en souviendra à l'heure de [Rec] Apocalypse.
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