La mort de Ken Russell le 27 novembre 2011 est passée presque inaperçue en France. Pas même une soirée en hommage au cinéaste anglais et uniquement quelques brefs articles un rien condescendants dans la presse. Car qui s'intéresse encore aujourd'hui à un réalisateur dont l'œuvre depuis ces 20 dernières années était devenue ultra-confidentielle, films faits à la maison tournés avec les proches et les moyens du bord ? Le dernier événement marquant de la vie de cet artiste excentrique pourrait bien être sa participation éclair à la première édition du Celebrity Big Brother en 2007. Qu'est-ce que le public français connait de Ken Russell aujourd'hui ? Éventuellement l'adaptation cinématographique de l'opéra rock Tommy des Who, programmé régulièrement sur Arte ou les chaines du câble : film totalement fou, ovni visuel dont le succès commercial a été assuré par son casting improbable de stars (Eric Clapton, Tina Turner, Elton John et ... Jack Nicholson) et la musique galvanisante de Pete Townshend. Film culte et hyperbolique, Tommy n'est que la partie émergée de l'iceberg, l'aboutissement d'une œuvre riche commencée à la fin des années 50 à la télévision qui a offert des moments de cinéma intenses et magnifiques, voire des chefs d'œuvre.
Le caractère unique et marginal de l'œuvre de Ken Russell peut être résumé par le statut dont il s'amusait de "Fellini anglais". Un titre de franc-tireur pour un artiste faisant ses débuts à l'époque du "Free cinema" qui prend pour héros des membres de la classe ouvrière dans des récits réalistes proches du quotidien (Samedi soir, dimanche matin de Karel Reisz, La solitude du coureur de fond de Tony Richardson, qui annoncent le cinéma de Ken Loach). Russell se fait connaitre en réalisant des documentaires pour la BBC, sur un sujet peu dans l'air artistique du temps puisqu'il brosse le portrait de compositeurs ou esthètes. La sophistication est déjà présente dans la forme ainsi que dans le recours à la fiction en introduisant des scènes muettes mais jouées par des acteurs, procédé inédit à l'époque et initié avec Elgar en 1962. L'impression de liberté dans le travelling qui suit la bicyclette solitaire dans la forêt, l'ombre d'Elgar face au soleil qui pointe à travers les nuages sombres sont autant d'images romantiques qui matérialisent le point de vue de l'artiste au travail lors de ses promenades et contemplations. Si le commentaire explicatif est encore là pour expliciter le processus créatif, il ne l'est plus pour longtemps.
Alors que les premiers documentaires de Russell s'inscrivaient dans la série "Monitor" supervisée par le rédacteur Huw Weldon, le passage à la série "Omnibus" permet à l'auteur d'expérimenter avec la forme de ses documentaires qui introduisent dès lors la fiction ou un imaginaire surréaliste. Avec The Debussy film, Russell fait prendre en charge les commentaires sur la vie du compositeur français par un réalisateur dans une mise en abyme où la vie sentimentale des acteurs interprétant les personnages réels devient le reflet du film documentaire de reconstitution dans lequel ils tournent. Le Prélude à l'après-midi d'un faune est alors illustré par un mini-récit clip projeté à l'équipe du film, retraçant un après-midi passé par Claude Debussy et sa maîtresse chez le photographe Pierre Louys. Russell amorce dans cette biographie post-moderne la recherche d'un style baroque qu'il poursuivra dans son œuvre ultérieure, allant jusqu'à l'auto-citation.
La dernière partie du film où Debussy s'identifie à Roderick Usher et reçoit la visite de sa maîtresse suicidée verse dans le gothique, veine que Russell poursuivra dans sa formidable biographie du poète et peintre anglais Dante Gabriel Rossetti, Dante's inferno, en 1967. La voix off du commentaire revient mais elle est devenue distante et ironise sur le destin des personnages ; elle partage l'espace sonore off avec les voix intérieures des personnages, qu'il s'agisse de Dante Gabriel, sa sœur ou du critique d'art John Ruskin. L'authenticité de ces textes, extraits d'œuvres littéraires dont les personnages sont les auteurs, est alors au service d'une narration qui tient plus de la fiction que du documentaire. D'une forme libre qui emprunte tour à tour au burlesque et au film d'épouvante, Dante's inferno est une vision iconoclaste de la vie de Rossetti et de sa relation avec sa muse plus qu'un compte-rendu factuel et historique, où le goût de Russell pour les excès se précise.
Les deux derniers films de la série "Omnibus" réalisés par Russell sont précurseurs du mélange de sophistication et d'outrance provocatrice retrouvés plus tard dans son cinéma. Song of summer de 1968 évoque le compositeur Frederic Delius à travers sa relation avec Eric Fernby, qui l'a assisté pour ses dernières œuvres après qu'il ait été paralysé et ait perdu la vue. N'ayant recours à l'éxubérance visuelle habituelle de son auteur que lors du périple de l'ascencion d'un mont norvégien pour aboutir à la dernière vision de Delius d'un coucher de soleil sublime, le film épuré montre bien la finesse et la sobriété dont Russell était capable. Le réalisme esthétique à l'oeuvre correspond idéalement au point de vue ordinaire de l'entourage d'un artiste qui subit ses excentricités et sautes d'humeur au quotidien. Film décrivant un processus long et difficile de création artistique, Song of summer est aussi une réflexion d'une grande justesse sur la mort et la postérité.
En 1970, Dance of the seven veils, évocation hallucinée de la vie de Richard Strauss annoncée comme "une bande dessinée en 7 épisodes sur la vie de Richard Strauss" constitue un retour tonitruant de l'artiste au centre du drame. L'interpète de Fernby dans le précedent film y campe un compositeur mégalomane et caricaturé devenu héros de ses oeuvres (surhomme nietzschéen, Don Juan, Don Quichotte), commentant avec un accent allemand improbable des tableaux où la violence et le sexe prédominent dans un déluge de mauvais goût. Les moments de bravoure y sont légion, allant du brillant (la charge héroïque des héros de Strauss armés d'instruments contre les critiques moqueurs) au douteux (une partie de campagne avec Hitler et Goebbels). L'œuvre hyperbolique de Russell se heurte alors pour la première fois à l'épuisement du spectateur sur la longueur, ainsi qu'à la censure demandée par les héritiers de Strauss.
En 1970, Dance of the seven veils, évocation hallucinée de la vie de Richard Strauss annoncée comme "une bande dessinée en 7 épisodes sur la vie de Richard Strauss" constitue un retour tonitruant de l'artiste au centre du drame. L'interpète de Fernby dans le précedent film y campe un compositeur mégalomane et caricaturé devenu héros de ses oeuvres (surhomme nietzschéen, Don Juan, Don Quichotte), commentant avec un accent allemand improbable des tableaux où la violence et le sexe prédominent dans un déluge de mauvais goût. Les moments de bravoure y sont légion, allant du brillant (la charge héroïque des héros de Strauss armés d'instruments contre les critiques moqueurs) au douteux (une partie de campagne avec Hitler et Goebbels). L'œuvre hyperbolique de Russell se heurte alors pour la première fois à l'épuisement du spectateur sur la longueur, ainsi qu'à la censure demandée par les héritiers de Strauss.
à suivre ...
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