Pour son premier long métrage Donoma, Djinn Carrénard est passé par un mode de création atypique, où indépendance rime avec omniprésence : le réalisateur-scénariste y occupe également le poste de chef opérateur, preneur de son et monteur, et trouve encore la place pour faire l’acteur. Et il ne s’agit que de la production et de la post-production du film, Carrénard ayant assuré ensuite sa promotion via facebook, un site internet, les « flash mobs » ou la distribution de « flyers », et accompagnant actuellement son film en tournée dans toute la France à bord d’un bus. Le budget emblématique et modique de Donoma de 150 euros, pour l’achat d’un costume qui n’a pas été utilisé dans le film selon son réalisateur, trouve sa contrepartie dans l’investissement personnel intense lié à ce système D. La présence de Donoma sur les grands écrans, même le si nombre de copies est réduit (deux salles le passent sur Paris), constitue déjà en soi la réussite du projet de Carrénard de s’imposer dans le paysage cinématographique français sans passer par les circuits traditionnels. Pour autant, le film laisse-t-il comme le suggère Abdellatif Kechiche (L’esquive, La graine et le mulet) « présager une nouvelle ère pour le cinéma français »[1] ?
L’enthousiasme de Kechiche pour Donoma est prévisible dans ce que le film suit en grande partie la voie d’un cinéma social et actuel qu’il avait inaugurée avec L’esquive. On y retrouve le même langage contemporain où se mêlent français et « verlan », la même énergie stimulante dans la tchatche produite par des dialogues largement improvisés. Sauf que là où L’esquive s’inscrivait explicitement dans le marivaudage, la description des rapports amoureux faite par Carrénard est plus brutale, axée sur la domination plus que sur le partage, reflet du désœuvrement d’une société individualiste. Par sa matière filmique, son esthétique de coupes brutales, ses mouvements de caméra inopinés et ses mises au point du flou au net en direct, Donova évoque plutôt le magma cinématographique caractéristique du père du cinéma indépendant américain, John Cassavetes. C’est dans la violence de cette forme esthétique instable que les rapports conflictuels de désir entre un élève et son enseignante trouvent leur pleine mesure, le réalisme cru de l’issue de leur confrontation inaugurale neutralisant toute possibilité d’élévation romantique. Comme le cinéma de Cassavetes, le film joue sur les ruptures de ton à l’intérieur des scènes et l’imprévu : la scène où une jeune femme entraîne son amant dans une danse frénétique avant de le jeter à la porte de chez elle évoque les moments d’ébriété de Faces ou les sautes d’humeur de l’héroïne d’ Une femme sous influence. Dans cette fougue incandescente des conflits captés sur le vif, Donova se montre efficace.
Il l’est beaucoup moins lorsqu’il essaie de prendre de la hauteur formellement, ou d’atteindre un lyrisme : l’intrigue mise en abyme d’une photographe amateur qui décide de vivre une histoire d’amour mutique avec le premier venu devient vite une pose artistique irritante, tandis que la rencontre finale entre une athée et un skinhead repenti dans une église fantasmée frise la caricature. On lui préférera d’autres moments à la mise en scène plus simple et directe, tels que l’échange philosophique informel qu’a la même athée avec un de ses amis chrétiens, en réclamant son droit à l’athéisme comme une conviction anti-religieuse aussi puissante que la foi.
Film en marge, Donoma donne à voir sans fard le hors-champ habituel du cinéma politiquement correct : les problèmes de logement, la maladie sans pathos, le désarroi adolescent … Malgré les quelques réserves que l’on peut émettre devant ce premier film excessif (par sa durée et son ambition), Djin Carrénard est un jeune réalisateur (30 ans, le même âge que Cassavetes à la sortie de son premier film Shadows) d’un enthousiasme et d’une énergie communicatifs. On lui souhaite de transformer son essai et de garder sa personnalité tout en s’intégrant dans le circuit traditionnel pour son prochain film dont la production est déjà lancée. Rappelons que Cassavetes avait répondu aux sirènes d’Hollywood après Shadows, pour déchanter ensuite après deux échecs commerciaux et revenir avec réussite et de façon définitive à un mode de production indépendant à partir de Faces. La nouvelle ère qu’ouvre Donova est peut-être celle d’un choix similaire devenu possible en France entre deux modes de production. Gageons que cette nouvelle donne ouvrira la voie à d'autres créateurs de talents.
[1] Dans le dossier de presse du film édité par l’Acid (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion)
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