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Il y
a une catégorie de cinéastes qui signent chacune de leurs œuvres de leur patte
baroque reconnaissable entre toutes. Citons entre autres Federico Fellini, Tim
Burton ou David Lynch. Wes Anderson fait partie de cette illustre lignée, et
qu’on l’aime ou non force est de constater qu’il possède un style qui
n’appartient qu’à lui. Pour moi, cette identité esthétique que l’on retrouve
d’œuvre en œuvre a été la force du cinéma de Wes Anderson (par son
originalité) avant d’en devenir la
faiblesse : après mon coup de cœur initial pour La famille Tenenbaum, le charme s’évanouissait avec chaque film
suivant du réalisateur-scénariste. Il y a deux ans Moonrise Kingdom avait mis fin à ce désamour progressif, en
revitalisant le style immuable d’Anderson par la fraicheur de l’histoire
d’amour entre ses deux jeunes héros. The
Grand Budapest Hotel, couronné de l’Ours d’argent au festival de Berlin,
confirme cette vigueur retrouvée.
Comme
La famille Tenenbaum, The Grand Budapest Hotel commence par
l’ouverture d’un livre, œuvre originale dont nous allons supposément voir
l’adaptation, en réalité purs artifices puisque les deux récits ont été conçus
de toutes pièces par Wes Anderson. Mais là où La famille Tenenbaum se contentait de renvoyer à la source du livre
illustré lu par une voix off non identifiée, le procédé à l’œuvre dans
l’ouverture de The Grand Budapest Hotel
est plus complexe, avec retours en arrière pareils à des poupées
gigognes : dans une série de bons temporels, le récit est d’abord porté
par l’auteur du livre, puis par son alter ego 20 ans plus tôt, avant de trouver
sa source avec celui qui a vécu l’aventure au cœur du film. Soit donc les
tribulations de Gustave H (Ralph Fiennes), concierge du Grand
Budapest Hotel, assisté de son protégé Zéro, tous deux plongés dans une sombre
affaire de meurtre.
Par
le biais du procédé narratif introductif, Wes Anderson établit une distance
avec un monde disparu, une Europe de l’entre-deux guerres telle que l’a décrite
l’autrichien Stefan Zweig (crédité au générique), représentée par la République
imaginaire de Zubrowka. Gustave H est l’ambassadeur ce cette civilisation en
voie de disparition, sur laquelle plane l’ombre du fascisme à venir :
Ralph Fiennes, irrésistible, fait des merveilles dans le rôle de ce charmeur d’une
sophistication ponctuée d’emportements brefs et hilarants. Autour de lui, le
reste de la distribution n’est pas en reste, et Wes Anderson a l’intelligence
de reléguer au second plan ses acteurs habituels (Owen Wilson, Bill Murray ou
Jason Schwartzman ne font que des apparitions), sortant de la routine dans
laquelle il semblait s’être enfermé fut un temps pour mettre en valeur de nouveaux venus ou d’autres acteurs qu’il
avait moins exploité par le passé. En tête du casting, Tony Revolori et Saoirse
Ronan sont très attachants en jeunes premiers atypiques, tandis que Willem
Dafoe est parfait en incarnation monstrueuse du mal à l’état pur.
En
échangeant l’intimisme habituel de son cinéma pour un récit romanesque à
péripéties multiples, Wes Anderson trouve une tension dramatique qui manquait
souvent à ses précédents opus. Sa mise en scène semble se libérer et prendre
une ampleur inédite dans une multitude de moments de bravoure
cinématographiques : évasion de prison, poursuite inquiétante dans un
musée désert, course sur des pistes olympiques, final spectaculaire à suspens.
Face
aux qualités nombreuses de The Grand
Budapest Hotel, le seul reproche que l’on pourrait faire à Wes Anderson est
celui d’un style passéiste peu en prise avec le monde moderne. Comme Gustave H,
Wes Anderson n’est certes pas un homme de son temps ; mais à l’instar de Gustave H, c’est peut-être cela même qui lui permet de
nous éblouir.
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