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Depuis Steak, Quentin
Dupieux a su créé une œuvre singulière, produite dans un système « do it
yourself ». En plus d’être le réalisateur et scénariste de ses films, le
cinéaste en assure en effet également la photographie et le montage, jusqu’à la
musique sous son alter ego de « Mr Oizo ». Si une telle créativité
force les respects, les résultats en ont été jusqu’ici plus ou moins
réussis : Steak et Rubber, malgré leurs concepts et univers
originaux, s’essoufflaient sur la durée. En 2012, Wrong remportait davantage
l’adhésion avec le récit central touchant d’un homme à la recherche de son
chien, mais des intrigues secondaires hermétiques témoignaient encore d’un
manque de discipline. Wrong Cops,
décrit par son auteur comme « un caprice », « un truc
crade, comme un jet, un truc inconscient », ne semble pas vraiment prêter
à un retour à la rigueur au prime abord, mais témoigne paradoxalement d’une
maîtrise inédite chez Dupieux.
Film choral, Wrong Cops muliplie les intrigues à la façon d’une série télévisée
policière. Dupieux s’y intéresse au quotidien des sociopathes qui peuplent le
comissariat d’un Los Angeles de carte postale. Duke, pourri jusqu’à la moëlle,
fait passer de la drogue dans des rats morts, lorsqu’il ne s’en prend pas aux
citoyens qui ont le malheur de croiser son chemin ; Renato est un voyeur
obsédé sexuel ; Rough (Eric Judor, au look improbable), s’imagine
compositeur talentueux ; Sunshine cache un lourd secret à sa famille…Tous
ces personnages sont pris dans un enchaînement d’événements apparemment
indépendants et aléatoires mais le talent de Dupieux ici est de proposer envers
et contre l’atmosphère chaotique et absurde ambiante le fil rouge d’une intrigue
qui se suit de bout en bout. Wrong Cops
présente indéniablement des dehors approximatifs, en premier lieu les zooms
intempestifs, entre série Z et parodie des gimmicks de mise en scène de séries
télévisées. Néammoins Dupieux possède un véritable sens de la mise en scène
comique, liée à un « timing » impeccable de ses effets.
Mais ce qui fait surtout la
réussite de Wrong Cops, c’est
l’univers fascinant construit par Dupieux, au croisement entre l’absurdité
tragique des frères Coen et les parodies inquiétantes de la société américaine
par David Lynch (Ray Wise et Grace Zabiskie, immortalisés dans Twin Peaks, font des caméos). Le film de
Dupieux prouve qu’il est possible d’allier harmonieusement style et humour, en
jouant pour une efficacité comique maximum de l’irrévérence et de ruptures
imprévisibles. S’éloignant du bon goût et d’un quelconque réalisme, Wrong Cops fait la part belle à une
galerie de personnages monstrueux campés par des acteurs trop heureux de se
livrer à un jeu de massacre surréaliste. Compliments donc aux géniaux Steve
Little, Arden Myrin, Eric judor et Eric Wareheim, mais surtout au monumental
Mark Burnham, hilarant en flic hyper agressif, traversé finalement d’un éclair
de lucidité mémorable.
Enfin, Dupieux a eu la grande sagesse de faire tenir son délire baroque dans une petite heure vingt, rappelant ainsi la vertu d’une brièveté hélas trop rare sur nos écrans aujourd’hui. Pour faire court, Wrong Cops est la comédie la plus originale et réjouissante qu’il m’a été donné de voir depuis longtemps.
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