Colonel Blimp : 5 / 5
La ressortie événement de Titanic éclipse évidemment la reprise plus confidentielle (7 copies contre 357 pour le film de Cameron) d’un autre film imposant par la durée (2 H 45 tout de même !), j’ai nommé Colonel Blimp de Michael Powell et Emeric Pressburger. Si le nom de ces auteurs ne parlera qu’aux cinéphiles les plus aguerris, il est important de revenir sur une œuvre magistrale encensée notamment par Martin Scorsese, qui a participé à sa restauration.
Dans
les années 40, les britanniques Powell et Pressburger ont été les
co-auteurs au sein de leur société de production « The
Archers » d’une série de films remarquables, avec comme
point culminant de leur renommée Les chaussons rouges (1948),
film sur l’univers de la danse et influence évidente de Black
swan. Dans le manifeste artistique rédigé pour leur société,
Pressburger énonce leur souci d’« avoir toujours un
an en avance sur [leurs] concurrents, mais aussi sur le présent »,
en rapport avec la durée qui sépare une idée de sa matérialisation
sur les écrans à la sortie du film. La longueur d’avance de leur
cinéma donne un sentiment de modernité, voire d’avant-gardisme.
Que l’on considère l’utilisation du technicolor dans leur film,
la stupéfiante beauté des couleurs vives et surréalistes
obtenues : au niveau esthétique, le cinéma n’a toujours pas
rattrapé les deux compères, soutenus par le génial chef opérateur
Jack Cardiff de 1946 à 1948.
A la sortie de Colonel
Blimp en 1943 le duo n'en est
qu'à son premier essai avec la couleur, mais on perçoit déjà une
compréhension aiguë des possibilités expressives du technicolor.
Entre les tons sombres et crépusculaires des champs de bataille
désolés, les couleurs chatoyantes lors du retour au pays qui suit
ou les teintes automnales qui accompagnent un héros vieillissant,
Powell et Pressburger créent des ambiances contrastées et nuancées
qui servent au mieux un récit ample et riche.
A
quoi tient l'ampleur de Colonel Blimp ?
Pas tant à un sens du spectaculaire malgré la promesse portée par
son résumé, à savoir la vie d'un militaire britannique, Clive
Wynne Candy, liée à trois conflits du début du XXème siècle ( la
guerre des Boers en Afrique du Sud et les deux guerres mondiales). Le
film ne contient ainsi aucune scène de bataille épique et lorsqu'un
duel se profile le spectateur assiste à sa préparation mais est
frustré de son spectacle. Ce
sens de l'évitement, plus qu'à un manque de moyens, tient à une
volonté de privilégier l'intime au grandiose. Et Colonel
Blimp gagne son pari haut la
main en réussissant à capter rien de moins que l'essence de la vie
à travers l'évolution de son héros et des personnages qui
l'entourent.
Si
Powell et Pressburger reprennent un personnage créé à l'origine
comme une incarnation satirique de l'« establishment »
anglais par le caricaturiste David Low, Wynne Candy bénéficie d'une
toute autre profondeur que le dessin qui l'a inspiré. D'abord jeune,
téméraire et inconscient des codes qui régulent la société, il
devient le symbole touchant d'un code d'honneur anachronique. Suivant
sa trajectoire, le film est dans un premier temps d'une légèreté
brillante proche de Lubitsch avant de se faire plus grave, traitant
le deuil impossible d'un amour idéalisé et laissant planer une
ombre funeste. Formellement, on trouve à un bout du film les
échanges vifs et le ballet qu'organise une mise en scène virtuose
dans un restaurant bondé, et à l'autre le monologue poignant d'un
exilé allemand filmé dans un gros plan ininterrompu. La force
exceptionnelle du film est d'être aussi efficace et mémorable dans
un registre que dans l'autre.
A
ceux qui hésiteraient encore à profiter de la ressortie de Colonel
Blimp, on peut avancer trois
derniers arguments de taille : Roger Livesey, Anton Walbrook et
Deborah Kerr. Le premier, interprète du rôle titre, livre une
performance d'une finesse remarquable, aussi parfait en jeune
impétueux qu'en vieil homme entêté et nostalgique, aidé par un
maquillage qui n'a rien à envier aux transformations vues récemment
dans quantité de « biopics » . Le second est un sérieux
prétendant au titre de meilleur acteur de tous les temps pour la
scène déjà citée de témoignage vibrant. La dernière incarne
un idéal féminin immuable filmé avec toute la passion d'un Michael
Powell amoureux. Colonel Blimp
est pareil à cet idéal, lumineux et intemporel.
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