Le policier : 4 / 5
Les
spectateurs qui vont voir Le policier en s’attendant à voir un polar israélien risquent de se sentir floués sur la marchandise. Autrement plus complexe et ambitieux, le
premier film de Nadav Lapid est une parabole fascinante sur les tensions
sociales en Israël qui se sont cristallisées l’été dernier dans des
manifestations sans précédent.
Un
groupe de cyclistes roule sur une route, duquel se dégage bientôt un homme qui
s’avance au premier plan, le visage plein cadre. Membre d’un groupe de
policiers d’élite, Yaron ( Yiftach Klein) a le physique du héros idéal,
parangon de la virilité. Sauf qu’au fur et à mesure que l’on rentre dans
l’intimité de ce personnage qui nous sert de guide, il nous apparaît de moins
en moins sympathique : il profite de l’absence de sa femme enceinte à une
fête pour contempler des corps féminins bronzant au soleil, ou se montre
insensible lorsqu’il se dévoue pour annoncer à un ami malade qu’il servira de
bouc émissaire pour une bavure.
Mais
dans une rupture narrative le film nous propose une alternative à ce corps policier, un groupe de jeunes
révolutionnaires présenté en randonnée dans un paysage similaire à celui qui
ouvrait le film et qui s’exerce au tir sur un arbre isolé bientôt embrasé. Face à la force brute de l’ordre établi,
celle du changement a la douceur du visage de Shira (Yaara Pelzig) ou le charme
romantique d’un ange blond prénommé Nathanaël (Michael Aloni). Le policier
serait-il alors un film pro-révolutionnaire ? Non plus, car cette jeunesse
, dont une partie est favorisée, semble se chercher une identité plus qu’elle
n’est véritablement la voix de la classe ouvrière.
En
refusant de préférer un camp plutôt que l’autre, Lapid opte pour une ambiguïté
qui a dérouté un public israélien déçu de ne pas se trouver un film militant. Le
policier décrit en fait la violence d’un pays qui s’est forgé une partie de
son identité dans l’affrontement d’un ennemi extérieur. L’œuvre de Lapid n’est
« pas très sympathique » pour reprendre ses propres mots mais dresse
le portrait lucide d’une situation de crise sans faire de concessions.
D’une
forme épurée, Le policier est souvent exigeant avec le spectateur,
privilégiant la durée des plans souvent fixes au montage nerveux et dynamique.
Mais cette durée se révèle un moyen efficace de traduire une tension ou un
malaise constants, que ce soit par la présence d’un corps malade au milieu de
corps dans la force de l’âge, le baiser désespéré d’un amour à sens unique ou l’attente anxieuse d’un attentat.
D’une beauté esthétique glaçante, le film exerce une fascination sur le
spectateur à l’affût des moindres gestes et mouvements.
Fonctionnant
par des détours narratifs, Le policier a l’intelligence de ne jamais
être là où on l’attend, jusqu’à un final traité de façon surprenante bien que
réaliste. C’est aussi une œuvre d’une cohérence admirable qui organise un
réseau complexe d’échos entre ses scènes : la chanson que chante Yaron à
sa femme au début du film et qui semble dire l’intimité du couple prend un tout
autre sens lorsqu’elle réapparaît ; le discours méprisant que tient Shira
à un « poète » est amplifié dans la longue invective qu’elle adresse
à une fille de bonne famille.
Pour
donner de la chair à un ensemble autrement un peu théorique, il fallait des
acteurs hors pair : professionnels ou amateurs, ils le sont tous. Le
policier est riche de plans brillamment mis en scène mais plus que tout on
sera hantés par des gros plans magnifiques sur des visages où se lisent d’abord
la confiance et l’exaltation puis le doute, l’angoisse et la désillusion. Dans
ces moments, on a la certitude que le
coup d’essai de Nadav Lapid est un très grand film.
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