15/03/2012

Etat des lieux du cinéma indépendant US : Martha Marcy May Marlene / Bellflower

 Bellflower : 3 / 5
Martha Marcy May Marlene : 4 / 5

Pour ceux qui feraient encore l'amalgame entre cinéma américain et Hollywood, il est bon de rappeler qu'il existe un cinéma indépendant aux États-Unis. Le festival de Sundance met chaque année sous les projecteurs cette partie moins connue du 7ème art outre-atlantique : après Take Shelter et Another happy day sortis en début d'année, les sorties de Martha Marcy May Marlene il y a deux semaines et de Bellflower le 21 mars sont l'occasion de découvrir la moisson 2011 du festival, un peu plus d'un an après. Réalisés et écrits par des auteurs  relativement jeunes (de 26 à 33 ans), que nous disent ces films sur l'état du cinéma et de la société outre-atlantique ?






A la vision des quatre films arrivés de l'édition 2011 du festival de Sundance, un constat s'impose, celui de l'influence du cinéma américain moderne des années 70. Another happy day de Sam Levinson, avec sa narration éclatée entre une multitude de personnages, utilise une forme de récit dont le représentant le plus significatif reste Robert Altman, avec notamment Un mariage en 1978 : le choix du réalisateur de baigner sa comédie cruelle dans une lumière douce qui "renvo[ie] aux films des années 60 et 70, plus qu'à ceux d'aujourd'hui"[1]  participe de cet héritage formel. Jeff Nichols, réalisateur de Take shelter, est quant à lui régulièrement associé à Terrence Malick : en plus de leur origine commune du Midwest, les deux auteurs font de la nature une composante essentielle de leur cinéma, même si elle est utilisée à des fins bien différentes (les paradis perdus de Malick ont peu à voir avec les éléments menaçants de Take shelter). On pourra citer de la même façon Malick et ses Moissons du ciel (1978) pour la description de la communauté de Martha Marcy May Marlene : à la différence que l'image idyllique d'une vie fermière en harmonie avec la nature cache aujourd'hui la réalité sordide d'une secte qui aliène ses membres, physiquement et psychologiquement. Le rêve de liberté propre au road-movie des années 60-70 (Easy rider ou Badlandsde Malick encore) réalisé dans la première partie de Bellflower trouve quant à lui son pendant obscur dans un retour au réel violent placé sous le signe d'une "muscle car" tout droit sortie de l'apocalyptique Mad Max (1979). Les trois derniers films illustrent bien le pessimisme à l'œuvre dans le cinéma indépendant, reprenant les espaces d'utopies encore possibles dans les années 70 (la nature, la route) pour les pervertir ou les présenter comme des rêves illusoires. 



Quel bilan dresser de ces échos aux années 70 ? Peut-être celui d'une génération désabusée face à une économie en crise comme une autre avait pu l'être au sortir des années 60 dont les espoirs avaient été brisés (assassinats des Kennedy et Luther King, guerre du Vietnam, corruption politique). Le cinéma indépendant américain actuel reflète donc la crise, mais plus largement une difficulté à exister qui se manifeste par le recours narratif à une folie plus ou moins aggravée. Les personnages de Another happy day ne parviennent pas à gérer leurs émotions, allant vers l'hystérie ou la dépression suicidaire ; le héros de Take shelter est hanté par les visions du déluge, symptômes possibles d'une schizophrénie paranoïaque ; Martha ne parvient plus à se situer dans le présent suite à son séjour traumatisant dans une secte ;  Bellflower regarde le monde à travers un prisme déformé, celui d'une "réalité augmentée"[2], avant de plonger finalement le spectateur dans l'esprit torturé d'un personnage brisé. 


Dans ces variations sur le thème de la folie et de l'inadaptation à la normalité, l'originalité tient souvent au style et trop rarement au propos. C'est le reproche que l'on peut faire au Bellflower d' Evan Glodell. Le film est esthétiquement insolite : des caméras bricolées permettent d'obtenir de larges zones de flou et des couleurs saturées, qui produit une impression de flottement sensoriel pour un récit où les affects des personnages sont exacerbés. Malheureusement le tout manque un peu de profondeur et finit par ressembler à un clip poseur, s'enfermant dans la dépression geek et un peu adolescente de ses protagonistes mal dessinés et globalement peu attachants. Glodell propose ça et là de beaux éclats de folie incandescente, entre pyromanie et bolide "customisé", mais ces éléments sont trop minoritaires pour maintenir l'attention du spectateur. En regard de l'aspect créatif bricoleur enthousiasmant de ce film auto-produit au budget infime de 17000 $, on aurait en somme aimé une histoire  qui vaille vraiment la peine d'être racontée.

  
Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin, prix de la réalisation à Sundance, est beaucoup plus convaincant. Sa beauté formelle est au service d'un récit glaçant : la fuite de Martha de la secte au début du film, loin d'apporter le salut attendu, débouche sur une réinsertion douloureuse dans la normalité sociale. Alternant flashbacks de plus en en plus angoissants et mal-être au temps présent, Martha Marcy May Marlene crée une tension constante , portée par la formidable Elizabeth Olsen . Avec une maturité de jeu impressionnante, l'actrice arrive à incarner à merveille dans une partie du film l'aliénation progressive de Martha finalement dépossédé de son identité, et dans l'autre son détachement et sa révolte désespérée en réaction à un monde ordinaire où elle n'a plus sa place. Face à elle, le charismatique John Hawkes est hallucinant en gourou à la silhouette élégante et au look "springsteenien", dont l'autorité calme est un des éléments les plus inquiétants de ce film fascinant.

[1]  Propos de Sam Levinson lors d'un entretien accordé pour e dossier de presse de Another happy day.
[2]  Selon la formule d' Evan Glodell dans le dossier de presse de Bellflower.

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