La mer à boire : 2,5 / 5
L'hiver dernier : 2,5 / 5
Après le héros endetté d'Une vie meilleure qui était contraint d'abandonner, La mer à boire et L'hiver dernier sortis ces jours-ci mettent à leur tour au premier plan des protagonistes combattifs qui luttent pour survivre dans une situation économique hostile. Pour George Pierret (Daniel Auteuil) dans le film de Jacques Maillot et Johann (Vincent Rottiers) dans celui de John Shank, c'est un espace professionnel mais aussi affectif qui est menacé : un chantier naval de luxe dans le premier cas, une ferme dans l'Aveyron laissée en héritage dans le deuxième. Bien qu'aucun des deux films ne soit totalement convaincants, leur rapprochement permet de préciser un certain archétype du héros du quotidien confronté à un monde contemporain capitaliste et impitoyable.
Pierret et Johann trouvent tous les deux leur identité dans le travail. Le plan séquence qui ouvre La mer à boire dévoile un patron inscrit dans le monde de son chantier naval qu'il surveille et parcourt avec autorité et bienveillance, saluant ses employés à l'œuvre ; le jeune homme de L'hiver dernier se dessine peu à peu dans le brouillard, silhouette indistincte qui trouve son identité dans un lien à la terre et aux animaux d'élevage. Les premières minutes décrivent son travail mutique et solitaire dans le cadre idyllique d'une journée ensoleillée. Par des espaces immenses à ciels ouverts, le réalisateur décrit un "monde qui dépasse les personnages" mais qui "peut porter les personnages plutôt que de les écraser"[1]. Johann vit sans attaches, cherchant la compagnie nocturne d'une jeune femme (Anaïs Demoustier) que l'on devine amie d'enfance, avant de s'éclipser au petit matin : il se définit en fait dans la succession d'un père, poursuivant l'œuvre familiale. George Pierret est quant à lui hanté par le souvenir de sa femme défunte qui le renvoie à sa solitude au présent, un vide qu'il comble par une entreprise choyée comme une famille.
Au-delà de leur attachement familial à leur travail, les deux héros portent des valeurs, traditionnelles pour Johann, éthiques pour Pierret. Leur solitude leur permet de faire le choix de ne pas céder, de toujours croire à un combat pourtant perdu d'avance. Car que peuvent ses individualités face à des forces abstraites désincarnées, groupes financiers (dans La mer à boire) ou agricoles (dans L'hiver dernier) ? S'il y a un mouvement de groupe, il se fait toujours contre eux, qu'il s'agisse d'un blocage décidé par un personnel licencié ou d'un vote pour sortir d'un système de coopérative et se vendre à des gros producteurs. [spoiler] Leur isolement les conduit logiquement à un point de non retour, aux marges de l'humanité : tandis que Johann se cache dans l'étable en compagnie de son bétail, l'ancien patron finit par se décharger de la violence qu'il a subie dans un final inattendu [fin du spoiler].
Si Daniel Auteuil et Vincent Rottiers incarnent à merveille ces deux héros idéalistes, les films ne sont pas toujours à la hauteur de leurs combats. La mer à boire choisit certes un point de vue original pour traiter de la crise qui traverse une PME, mais l'abandon de certains personnages en cours de route au profit du personnage central (notamment lors d'une escapade en Russie improbable) et quelques choix discutables (un banquier aux dents longues, un personnage d'ouvrier colérique d'abord intriguant puis caricatural) nuisent à la crédibilité du film. Quant à L'hiver dernier, un certain ascétisme "bressonien" dont le réalisateur se revendique en fait une œuvre souvent trop exigeante : faute d'un minimum de rebondissements le film en devient répétitif dans sa sécheresse monocorde, bien que toujours formellement intéressant.
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