22/07/2011

Le Gamin au vélo : émotions en mouvements

5 / 5


J’ai peu d’expérience avec le cinéma des frères Dardenne.  J’avais vu leur précédent film Le Silence de Lorna et bien que j’aie pu y apprécier la qualité de leur mise en scène ainsi que l’interprétation des comédiens, le caractère pessimiste du film, justifié par l’esthétique de cinéma vérité, m’avait quelque peu laissé froid. Au destin tragique de Lorna prise dans les rouages d’un polar implacable succède celui de Cyril, enfant désœuvré à la recherche d’un père absent. Cependant, là où Lorna se retrouvait seule face à ses problèmes, une coiffeuse, Samantha, prend sous son aile l’enfant. C’est dans leur relation que se situe pour moi la beauté du dernier film des Dardenne.

Il y a dans Le Gamin au Vélo une impression de mouvement permanent. Dès la première scène, Cyril, abandonné dans un centre d’accueil, cherche à joindre son père au téléphone. Le numéro n’étant pas attribué, Cyril tente de s’enfuir du centre. L’enfant pourchassé par une caméra qui peine à le suivre semble incontrôlable. Il est mu par le désir de retrouver celui qui l’a abandonné et ce vélo symbolique qu' il aurait vendu. Dans sa fuite, il se heurte aux adultes qui luttent pour le retenir et c’est dans une étreinte violente que s’effectue son premier contact avec Samantha, alors qu’il essaie d’échapper à ses poursuivants.


Même à l’arrêt, Cyril est agité, inquiet, son état se traduisant par exemple par un robinet qu’il s’obstine à vouloir laisser couler au salon de coiffure de Samantha. Le mouvement autour de l’enfant est celui d’une course désespérée à la recherche d’un père qui s’échappe, traduit par un montage qui ne s’embarrasse pas de scènes descriptives superflues. Ainsi la localisation du père par Samantha est totalement absente du film, et le spectateur n’obtient que de maigres détails sur les moyens qu’elle a employés pour le retrouver.

L’histoire du film est le passage progressif entre ce mouvement angoissé, qui trouve son apogée dans la dernière partie du film, et un mouvement apaisé; au travelling nocturne rapide qui suit Cyril seul dans sa fuite et sa recherche de refuge succède le travelling plus lent qui l’accompagne dans sa balade ensoleillée à vélo avec Samantha. Le mouvement a changé de nature : celui dirigé vers le père ou le père de substitution trouvé dans un jeune voyou est remplacé par un autre vers une nouvelle mère / amie, dont le moteur est la relation de tendresse qui lie les deux personnages. La force du film des Dardenne est de ne pas mettre de mots sur cette belle véritable histoire d’amour, de nous la signifier par des gestes et des regards. Il faut alors souligner la finesse et la qualité du jeu de Cécile de France et du jeune Thomas Doret, qui traduit à merveille la transformation qui s’opère chez Cyril. Le film se termine par une scène admirable dans sa simplicité : laissé pour mort, Cyril revient à la vie, comme ramené parmi les vivants par la sonnerie de son portable où s’affiche le nom de Samantha, avant de reprendre son vélo pour la retrouver. En privilégiant le ‘happy end’ au réalisme de l’intrigue, les frères Dardenne font preuve d’une générosité qui rend leur film bouleversant.


12/07/2011

The Tree of Life : La grâce selon Malick

4,5 / 5



Pour une première critique sur ce site, commencer par un essai sur The Tree of life s’imposait à moi comme une évidence. Non pas parce que le film a été primé à Cannes, comme a pu l’être Le Gamin au vélo auquel je consacrerai un article d’ici peu. D’ailleurs cet argument m’encouragerait même à ne pas en parler : les multiples commentaires publiés dans la presse ou sur le net pour ces films au centre de toutes les attentions pourraient constituer une matière suffisante au cinéphile averti pour déchiffrer ces oeuvres. Non, si je me permets ici de revenir ici sur le film de Terrence Malick, c’est pour évoquer les raisons pour lesquelles il s’agit d’un film essentiel, peut-être le meilleur que j’ai eu l’occasion de voir depuis ce début d’année.



L’argument du film est de présenter une réflexion sur la vie, au travers d’une famille américaine et plus précisément du fils aîné de cette dernière. Autant l’annoncer tout de suite, le spectateur à la recherche d’une intrigue construite classiquement avec exposition, développement et dénouement risque de se sentir floué. On peut cependant reconnaître trois grands mouvements dans le film : le premier présente la mort d’un fils de la famille (à la guerre) puis alterne le deuil immédiat de la famille avec la vie de Jack, le fils aîné, quelques dizaines d’années plus tard, au travail dans une jungle d’immeubles de verre. Ensuite le tout s’accélère et nous assistons à la création du monde, puis à l’arrivée des premières créatures, jusqu’à une scène qui en a fait sourire certains et que Spielberg n’aurait pas renié… Le deuxième mouvement a pour objet la naissance de Jack et son enfance, se concentrant sur ses relations avec sa mère, son père et son frère décédé. Le troisième mouvement conclusif est une rêverie à laquelle se livre Jack, au milieu du désert puis sur une plage où se retrouvent les personnages vus précédemment dans le film. Tout au long du film, les voix off servent de fil conducteur avec un thème récurrent : la coexistence de la nature et de la grâce, leur opposition dans l’esprit de Jack et au sein de sa famille. Voilà pour la structure.


The Tree of Life, dans son ambition folle d’un cinéma non narratif, peut agacer, et malgré mon enthousiasme je n’adhère pas moi-même à la totalité du film : la dernière partie du premier mouvement sur la création du monde, si elle présente quelques images sublimes de l’univers, la confronte à d’autres plans de volcans ou de geysers qui évoquent quant à eux plutôt la matière filmique des documentaires de la National Geographic diffusés en milieu de journée sur France 5 (on perd alors complètement le côté mystérieux et transcendant des images auquel semble aspirer le réalisateur). Le texte entonné par les voix off peut s’avérer quant à lui à la fois simpliste et pédant, dans un langage proche de celui employé par Walt Whitman ( poète américain du XIXème connu pour Captain, my captain, mais je pense ici plutôt à Song of Myself).



Mais plus souvent perce selon moi, à travers la juxtaposition des images, une grâce qui hisse le film au niveau auquel il aspire. Il peut s’agir de moments magiques : la mère de la famille se met soudain à léviter dans une danse éclairée d’une lumière d’été ou se retrouve enfermée dans un cercueil de verre, au milieu d’une forêt de conte de fée. Il peut aussi s’agir de scènes : la naissance de Jack, baignée d’une lumière blanche immaculée où le petit être se retrouve entre les mains de son père, la liesse de la famille qui se lance dans une course effrénée dans la maison au départ du père autoritaire. Et la grâce vient de la musique : celle extradiégétique (hors du récit) composée parAlexandre Desplat ou par d’illustres prédécesseurs ; mais aussi intégrée dans le récit, dans la scène sublime où le père autoritaire dans l’ombre à l’intérieur de la maison s’efforce de jouer du piano en même temps que son fils joue de la guitare au fond du champ, à l’extérieur, avant d’improviser en suivant la musique jouée par son fils. Le père omniprésent qui fait peser son autorité sur la famille, que l’on voit à plusieurs reprises imposer l’ordre et le silence, se laisse guider par son fils, s’efface. Parce qu’il voit en lui le musicien qu’il n’a pas eu le courage d’être, regrets qu’il exprime plus tard dans le film ? L’auteur laisse le spectateur libre d’interpréter le geste du père comme il le souhaite. Et le mérite de The Tree of Life est bien là, dans ce choix de peu expliciter et de laisser le spectateur construire le sens. C’est un film exigeant, certes un peu hermétique, mais dont la richesse de la matière laisse le champ libre à des interprétations multiples et fructueuses.