29/08/2011

Captain America : aventures nostalgiques et tragiques

3 / 5

       
Captain America est un film dont le concept fait craindre le pire : créé pendant la seconde guerre mondiale pour combattre les allemands, le super-héros est affublé d’un costume aux couleurs du drapeau américain. On s’attend alors à une débauche de patriotisme satisfait de lui-même, à voir la grandeur de l’Amérique triomphante. Le mérite du film de Joe Johnston est d’éviter joliment cet écueil.

       
Réalisateur de Rocketeer dans les années 90 qui suivait pareillement les aventures d’un héros des années 40, Joe Johnston retrouve avec la superproduction Marvel la recette qui avait fait son succès, le retour au charme des "serials" et des films d’aventure d’antan. Les méchants y sont hyperboliques, tels l’antagoniste Crâne Rouge dont l’ambition de contrôle du monde passe par le renversement du régime nazi même dont il se sert pour financer son organisation, trahissant donc les artisans de l’horreur. Dans un moment emblématique de son ignoble mégalomanie, le nazi renégat pose pour un portrait sur Le Crépuscule des dieux de Wagner, le visage dans l’ombre sans le masque qui cache sa monstruosité : l’horreur de son visage découvert est alors signifiée par la réaction de dégoût de son acolyte. La scène illustre bien ce en quoi Captain America reprend à son compte les clichés du film d’aventure jusqu’à sa mise en scène appuyée. Reste que le film parvient à intéresser aux personnages, pour stéréotypés qu’ils soient : ainsi il y a quelque chose de touchant dans le docteur interprété par Stanley Tucci, dont la fragilité et la bonté envers le héros le rapprochent de certains personnages trouvés dans le cinéma rempli d’humanité de John Ford. L’ hommage au cinéma d’antan est palpable dans la reconstitution réjouissante des divertissements des années 30-40 lors d’une séquence de mise en abyme, Captain America étant utilisé pour faire la promotion de bons pour financer la guerre.


           
En plus de ses qualités de divertissement honnête, il y a quelque chose de plus sombre dans le film de Joe Johnston, une ambiance qui tend parfois vers le tragique. N’y a-t-il pas dans la détermination de Steve Rogers (alias Captain America) à servir son pays coûte que coûte une dimension quasi suicidaire ? Corps chétif avant sa transformation, il se lance dans des affrontements au corps à corps perdus d’avance ou saute sur une grenade pour prouver son courage. Entre les membres de l’ organisation de Crâne Rouge qui avalent des pilules de cyanure et les partenaires du héros morts au combat, le film est jonché de cadavres, comme s’il reflétait le contexte violent de guerre alentours face auquel le spectacle de Captain America assommant Hitler sur scène est une farce vide de sens. Ne pouvant trouver l’oubli dans l’alcool du fait de ses nouveaux pouvoirs, le héros est condamné à vivre avec les fantômes de ceux qui sont tombés à ses côtés. C’est cette solitude tragique qui donne un peu de profondeur au personnage et dont on ne peut qu’espérer que Joss Whedon tirera parti dans ses Avengers prévus pour l’année prochaine.

18/08/2011

Melancholia : le sublime de la mélancolie


5 / 5


 Melancholia, de manière assez surprenante pour Lars Von Trier qui a accumulé les œuvres provocatrices (Breaking the Waves, Dancer in the Dark, Antichrist), ne fait l’objet d’aucune polémique. Evoquant le caractère « terne » de son film, l’auteur danois s’est engagé à retracer pour son prochain film la vie sexuelle d’une femme de sa naissance jusqu’à ses 50 ans qu’il décrit déjà comme son « film le plus bordélique »[1]. La rupture dans son œuvre amenée par un propos assagi semble s’accompagner d’une rupture esthétique, le baroque des images d’ouverture de Melancholia s’opposant au « dogme » de cinéma vérité défendu par Von Trier dans les années 90 ou à la simplicité du dispositif de Dogville où les acteurs évoluaient dans des décors peints au sol à la craie. Ce statut de film à part dans l’œuvre du cinéaste posé, qu’en est il de sa qualité ?


Le prologue de Melancholia, dans une série de plans fixes semblables à des tableaux animés, évoque les peintres romantiques (la descente de la mariée le long d’un fleuve telle Ophélie), 2OO1 l’odyssée de l’espace ou les cadres géométriques de L’année dernière à Marienbad (les plans sur des jardins et un château), le tout sur la musique dramatique de Tristan et Iseult de Wagner : ce festival baroque est une évocation onirique de la fin du monde, une planète rentrant en collision avec la terre. En contraste, la première partie du film intitulée « Justine », dans un style naturaliste proche du documentaire, décrit sur le mode de la satire le banquet de mariage de la jeune femme. La deuxième partie du film, « Claire », oppose à la profusion des invités de la fête un groupe ramassé de personnages, afin de mieux sonder leurs réactions face à l’arrivée d’une planète qui pourrait signifier la fin du monde.

 
L’ampleur du récit de Lars Von Trier trouve son parallèle dans les différences de style et de point de vue : de la satire de groupe au drame intimiste, de la beauté travaillée des plans d’ouverture dans un opéra d’images orchestré à la manière de Visconti aux dernières minutes du film qui évoquent la sobriété de Tarkovski. L’hétérogénéité de la matière filmique n’empêche cependant pas le film d’être d’une grande cohérence, du fait d’une construction de scénario qui fonctionne en opposition symétrique, la première partie se retrouvant le miroir inversé de la deuxième et réciproquement. Une scène à cheval dans la première partie trouve une variation dans la deuxième partie : Justine constate la disparition de l’étoile d’Antarès, puis le rapprochement de la planète Mélancholia. La première partie, dans des tons chauds, est placé sous le signe de l’étoile rouge pour décrire le crépuscule des rituels sociaux, leur dysfonctionnement et leur ridicule. Le beau-frère de la mariée met ainsi la mère de cette dernière à la porte en jetant ses affaires à la porte avant que le majordome ramasse les affaires machinalement pour les remettre à l’intérieur. La deuxième partie, baignée par la lumière crue et froide de Melancholia, nous conte l’après de cette disparition, les derniers instants d’êtres hantés par une mort imminente, mis à nu tels Justine qui s’allonge sur un rocher pour s’offrir à la lumière mortifère de la planète.

 
Au-delà de la structure du scénario, c’est l’interprétation exemplaire des comédiens qui confère à Melancholia sa cohérence. Il convient alors de saluer évidemment la prestation de Kirsten Dunst : si Virgin Suicides ou Marie-Antoinette la présentaient comme un choix idéal pour incarner la mélancolie de Justine, son jeu contrasté dans la deuxième partie du film justifie aussi le prix d’interprétation reçu à Cannes. Face à sa force toute d’apaisement destructeur, Charlotte Gainsbourg  et Kiefer Sutherland sont admirables, la première dans l’incarnation des angoisses d’une organisatrice de mariage puis d’une mère de famille, et le deuxième dans celle de la rationalité opposée aux émotions incontrôlables de sa belle-sœur.

De son ouverture belle et froide à son final bouleversant, Melancholia est une œuvre ambitieuse et complexe dont la sérénité, loin d’être le signe d’un conformisme comme le suggère son auteur, amène une profondeur émotionnelle nouvelle à son cinéma. Il est permis de considérer d’ores et déjà ce film comme son chef d’œuvre.


[1] Dans un entretien publié dans le numéro des « Cahiers du cinéma » de juillet-août 2011

10/08/2011

Super 8 : retour aux sources

3,5 / 5
      

Créateur de séries à succès (Alias, Lost), J.J. Abrams s’est lancé dans le cinéma avec deux adaptations de séries télévisées. Mission : Impossible III, réalisé en 2006, appliquait à la franchise le mélange d’espionnage et de drame familial caractéristique de Alias ; Star Trek, réalisé en 2009, modernisait avec bonheur la série des années 60 en mettant l’accent sur l’action. Avec Super 8, Abrams franchit le pas du cinéma hors franchise, même si l’héritage de Spielberg producteur y est revendiqué : de son propre aveu, le réalisateur a voulu y retrouver l’esprit des films qu’il a vus sur grand écran dans son enfance et son adolescence. 

A l’instar de E.T. et des Goonies (scénarisé par Spielberg), Super 8 prend comme héros un groupe d’adolescents, comme un retour aux sources du "teen movie blockbuster" américain: la référence est assumée dans le choix de situer l’action du film en 1979. Dans un dispositif narratif semblable aux films produits ou réalisés par le producteur dans les années 80, les personnages qui évoluent dans un contexte ordinaire se retrouvent confrontés des événements extraordinaires qui vont les faire mûrir, grandir. Avec cependant une mise en abyme introduite dans le récit d’ initiation spielbergien, la bande d’amis tournant un film d’horreur en super 8. Ces bases étant posées, je laisserai au spectateur le plaisir de découvrir lui-même les multiples rebondissements d’une intrigue entourée de mystère.


[Spoiler] L’argument fantastique, s’il attirera le public adolescent, est néanmoins l’élément le plus convenu du film de J. J. Abrams : malgré leur traitement précis et efficace, les scènes d’action sont moins passionnantes que ce qui se déroule autour d’elles. Ce sont les drames humains auxquels sont confrontés les personnages qui intéressent plutôt le réalisateur, et c’est d’ailleurs leur point de vue qui prévaut dans les scènes spectaculaires: le principe de chaos règne dans le déraillement du train où les héros courent apeurés en essayant d’éviter les projectiles enflammés qui tombent du ciel ; avant le dénouement du film, le groupe d’adolescents arrive dans leur ville transformé en champ de tirs incohérents qui traversent le cadre sans que la cible de l’armée soit identifiée. De même, pas d’affrontement final avec la créature au centre de l’intrigue fantastique. Car cet élément central n’est pas tant un antagoniste que le symbole de ce qui est à la source des conflits intimes entre les personnages, leur incapacité à communiquer et à se faire comprendre : son agressivité est le fruit de son isolement forcé, qui lui a été imposé par l’armée américaine. 

Ce qui doit s’opérer par le récit fantastique de Super 8, c’est le rétablissement de la communication entre les protagonistes, entre le héros Joe et son père Jack, entre sa famille et celle de l’adolescente dont il tombe amoureux, Alice. Mais plus que par les mots, c’est par les gestes et les actions que le dialogue s’établit. Joe découvre peu à peu Alice, fille qu’il pensait inaccessible, lors des séances de maquillage où il touche son visage ; Jack et le père d’Alice se retrouvent unis dans la recherche de leurs enfants à la fin du film, associés par leurs attitudes similaires dans les plans de la scène finale. Ce dialogue au-delà des mots trouve son parallèle dans le lien mental permanent qu’établit la créature avec ses « victimes » par le simple toucher, clef de la résolution de l’intrigue.


Plus largement, Super 8 traite avec justesse du deuil et de l’enfance, de la distance des adolescents avec le monde adulte. Certes, le groupe de héros tourne un film de zombie, miroir de la violence du monde qui les entoure. Ainsi, une victime du déraillement qui s’est déroulé durant leur tournage semble revenir d’entre les morts, le visage ensanglanté. Mais il y a dans leur cinéma, présenté en même temps que le générique de fin, un enthousiasme et une innocence qui les oppose au monde des adultes : la seringue qui contient un antidote pour guérir les zombies est l’antithèse de celle dont l’armée se sert pour assassiner dans le film. Principe de vie contre principe de mort. J.J. Abrams évoque la dimension autobiographique de son film, ayant été  lui-même un adolescent tournant des films en super 8 présentés à des festivals à la fin des années 70 : son film est le témoignage touchant de sa jeunesse, et celui de nos rêves d’enfant.
                       

05/08/2011

Le polar coréen

Memories of murder : 5 / 5
The Chaser : 4,5 / 5

 

           
Le polar semble être un genre de prédilection dans le cinéma coréen, comme en témoigne les sorties cet été de J’ai rencontré le Diable et The Murderer. Il ne s’agit pas pour autant de films de genre inspirés du cinéma américain comme on peut en voir en France. Si J’ai Rencontré le Diable semble se limiter à l’exercice de style, il évoque moins les classiques américains que deux réussites du polar coréen, The Chaser et Memories of Murder. Ainsi la scène de meurtre puis de découpage de la fiancée du héros au début du film fait écho la violence de la scène du meurtre avorté au marteau de la prostituée recherchée par son proxénète dans The Chaser. Plus tard, lors de la découverte du corps de la jeune femme, un des hommes de la police trouve la tête du corps et la laisse tomber en trébuchant ; le détail réaliste dans l’ambiance de panique autour de la scène de crime n’est pas sans rappeler le désordre comique présent sur celles de Memories Of murder, où des policiers tombent en roulant dans une pente qui conduit au champ où se trouve le corps. A partir de ce double constat, on peut se demander quelles seraient les caractéristiques du cinéma policier coréen, ce en quoi il se distingue du genre américain.






     




Il y a dans les polars coréens une conscience de venir traiter ce genre cinématographique sur le tard, après un siècle de littérature et cinéma américains dont il reprend les codes en les exposant : dans Memories of murder, deux inspecteurs de la campagne observent leur collègue venu de Séoul, héros idéal du film, charismatique et la cigarette à la bouche en fidèle héritier des privés américains, et tandis que l’un des policiers exprime son agacement l’autre lui répond « Oui mais il est quand même cool ». De même la profusion de tueurs en série présente dans J’ai rencontré le Diable semble un miroir grossissant de la violence des polars, la poussant jusqu’à l’absurde : un taxi de nuit où s’engouffre le tueur poursuivi est nécessairement l’occasion d’une rencontre avec des tueurs amateurs. The Chaser joue quant à lui avec les codes classiques de l’intrigue du polar, déplaçant constamment les enjeux du suspense sans laisser de répit au spectateur ravi dont les attentes sont déjouées : dès le premier tiers du film, le tueur en série identifié passe aux aveux et se retrouve menotté au commissariat donc incapable d’agir. L’ingéniosité du film est alors de maintenir la tension autour de ses crimes malgré ce postulat inédit. 

Les films de Na Hong-jin, Kim Ji-Woon et Bong Joon-Ho partent de la même intrigue de base, la poursuite d’un tueur en série, mais il est significatif que chacun d’eux refuse la simplicité de ce récit trop classique. Memories of murder nous décrit une enquête qui piétine et peine à trouver le coupable tandis que le fiancé en deuil de J’ai rencontré le Diable empêche son adversaire de nuire avant de le relâcher à chaque fois, dans un désir de vengeance prolongée. Ce refus d’une progression classique du récit est associé à des procédés de mise en abyme, éléments qui semblent court-circuiter la recherche de la vérité : on peut citer les aveux des suspects mis en scène par la police ou la reconstitution d’une scène de meurtre dans Memories of murder, les manipulations multiples du tueur de The Chaser qui s’amuse à mêler le vrai et le faux dans ses aveux ou le procédé d’oreillette et de micro par lequel le héros de J’ai rencontré le Diable garde la trace du tueur. Le polar coréen pourrait en résumé se définir comme un néo-polar qui met en échec les récits classiques de ces prédécesseurs. Comme s’il transcendait le genre auquel il appartient pour proposer une vision plus complexe, moins manichéenne des récits policiers.

L’impossibilité des récits linéaires dans le polar coréen, plus qu’une simple rupture esthétique, peut aussi venir de la confrontation du genre avec le monde réel : Memories of murder et The Chaser trouvent tous deux leur inspiration dans les crimes perpétrés par des tueurs en série ayant vraiment existé. En lien avec cette confrontation au réel, on peut constater que la violence telle qu’elle est présentée dans ces films est frappante dans ce qu’elle a de cru, dans l’absence d’esthétisme qui l’entoure (il y a bien une exception dans The Chaser, mais j’y reviendrai plus tard) : les affrontements au corps à corps entre le héros et le tueur dans The Chaser semblent un chaos non chorégraphié qui s’étire sur la longueur, de même que les scènes de bagarres générales incontrôlables de Memories of murder. Le statut de la violence dans le film de Bong Joon-Ho permet de mettre à jour une autre composante propre à ces deux films, leur ton qui oscille entre comique et tragique.

La violence à laquelle se livre les policiers entre eux ou envers les suspects dans Memories of murder revêt d’abord un caractère burlesque : un policier descend l’escalier qui mène à la salle d’interrogatoire puis sans crier gare donne un coup de pied au suspect qui tombe de sa chaise, un autre accueille son collègue de Séoul qu’il prend pour un agresseur d’un coup de pied sauté. Cette violence sans effusion de sang, qui relève de l’acrobatie, acquiert une dimension comique dans sa répétition systématique. Elle prend une dimension autrement plus tragique à la fin du film, dans ce qu’elle traduit de l’incapacité des forces de police à mener à bien leur enquête. Un changement de ton similaire s’opère dans The Chaser au fur et à mesure que le proxénète s’investit davantage dans la recherche de la prostituée séquestrée par le tueur : le tragique prend toute sa mesure esthétique dans une dilatation du temps, un ralenti dans une scène de meurtre face auquel tous les protagonistes montrés dans les plans de coupe sont impuissants. S’abattent alors les coups de marteau. C’est dans ce basculement du comique au tragique, dans la description fine de l’évolution des relations entre les inspecteurs de Memories of murder et l’évolution du protagoniste de The Chaser suite à sa rencontre avec la fille de la prostituée, que ces deux films transcendent le film de genre pour s’offrir comme miroirs de notre monde. La frontière entre fiction et réalité est d’ailleurs explicitement en jeu dans le plan final de Memories of murder : n’est-ce pas à nous spectateur qu'un inspecteur (interprété par l’extraordinaire Song Kang-Ho) s’adresse dans un regard caméra en gros plan ?

02/08/2011

J'ai rencontré le Diable : violence et cruauté

2,5 / 5




S'il y a une tendance à relever dans le jeune cinéma coréen qui arrive sur nos écrans depuis les années 2000, c’est celle de l’éclectisme. Ainsi Park Chan-Wook, à la suite de sa trilogie de polars sur la vengeance (Sympathy for Mr Vengeance, Old Boy, Sympathy for Lady vengeance), a proposé une comédie déjantée( Je suis un cyborg ) puis un film de vampires (Thirst) ; Bong Jan Hoo, avec Memories of murder, The Host et Mother a quant à lui exploré le polar, le film d’horreur et le drame. De même, après sa relecture survitaminée et comique du western spaghetti avec Le Bon, la Brute et le Cinglé, le cinéaste coréen Kim Jee-Woon nous propose avec J’ai rencontré le diable un film à l’opposé, un polar d’une noirceur impitoyable sur les racines de la violence. L’ambiance très sombre des polars coréens ne surprend plus le spectateur averti qui a vu Memories of Murder et The Chaser : reste à déterminer si le film de Kim se hausse au niveau de ces deux réussites du genre.

Le générique de début du film est un plan pris à travers le pare-brise d’une voiture qui roule de nuit  par temps de neige: la balade en fond sonore crée une ambiance faussement paisible. Les ailes d’ange accrochées au rétroviseur intérieur du véhicule ne sont évidemment qu’un leurre pour qui a l’expérience de la valeur inquiétante du plan subjectif souvent associé au point de vue des traqueurs dans les polars ou films d’épouvante. Le film nous présente ensuite la victime, jeune femme piégée dans sa voiture en panne sous la neige. Le chauffeur du véhicule s’arrête et lui propose son aide, son attitude suspecte étant soulignée par la jeune femme et son fiancé à qui elle téléphone. Le cadre angoissant est posé assez brillamment par une mise en scène précise, de même que la relation tendre du couple ; la caméra mobile qui suit le fiancé agent de sécurité dans un hôtel capte un moment touchant d’intimité, alors qu’il s’isole dans la salle de bains pour murmurer une chanson d’amour à sa compagne. Conformément aux attentes du spectateur, la jeune femme se fait agresser par le chauffeur anonyme, mais la surprise et le choc viennent alors de la barbarie crue du meurtre tel qu’il est présenté.


La jeune femme est d’abord assommée à coups de marteau, puis on assiste médusés au découpage de la victime dans un hangar. Une ambiance oppressante s’installe, qui n’est pas sans rappeler celle de certains films de David Lynch : dans une scène qui semble inspirée de Blue Velvet, un enfant trouve dans un terrain vague un sac poubelle dont il sort une oreille. Le basculement du film dans le macabre se poursuit avec la traque impitoyable du tueur par le fiancé qui cherche à venger la mort de la jeune femme : par un procédé de scénario, le tueur est libre d’agir même une fois qu’il a été identifié par son poursuivant. La chasse devient alors le seul moteur du film, qui souffre de cette intrigue répétitive, ainsi que d’un manque de cohérence dans la psychologie des personnages : si le personnage du tueur en série, incarné avec une jouissance communicative par Choi Min-Sik (Old Boy), est crédible, la transition qui s’est opérée chez son opposant, de fiancé doux à ange vengeur sadique, pose problème.

On peut reconnaître à Kim Jee-Wonk le mérite d’emmener son spectateur dans un voyage sans concession au bout de l’horreur (dans la description des meurtres, la rencontre avec un autre tueur en série cannibale ou la chute du film glaçante). Cependant, l’absence de personnages auxquels le spectateur pourrait s’identifier ainsi que l’ambiance pesante du film en font une expérience de cinéma souvent pénible. C’est un exercice de style certes brillant mais qui manque quelque peu de finesse et se montre par moments complaisant dans la description systématique de la violence. A déconseiller évidemment aux âmes sensibles.