31/01/2012

The Descendants : derrière le paradis, le mélodrame frustrant

The Descendants : 2,5 / 5

The Descendants nous arrive fort de ses deux récompenses aux Golden Globes, celle du meilleur drame et celle du meilleur acteur pour George Clooney. Mais il s'agit aussi pour Alexander Payne de réussir à nouveau dans le registre de la comédie douce amère, après le rafraichissant Sideways qui avait remporté l'oscar du meilleur scénario adapté en 2004. Pareillement à ce road movie qui parcourait l'espace peu connu des vignes californiennes du comté de Santa Barbara, The Descendants se déroule dans un décor peu représenté dans le cinéma américain, l'archipel d' Hawaï. Mais le film utilise-t-il vraiment ce cadre atypique de façon optimale ?



The Descendants s'ouvre sur le gros plan d'une femme souriante faisant du jet-ski, interrompu par un écran noir. Après un générique sur un fond d'écran floral accompagné d'une musique hawaïenne traditionnelle, les premiers plans décrivent une île paradisiaque de carte postale, qui évoque la représentation d'un Paris idéalisé au début de Minuit à Paris. Mais là où l'ouverture du Woody Allen correspondait à la vision émerveillée du personnage de Owen Wilson, la voix off de Matt King (George Clooney) ironise sur l'image idyllique de l'île où il vit jusqu'à un agressif "Le paradis peut aller se faire foutre". Car le spectateur retrouve bientôt le narrateur et antihéros dans une chambre d'hôpital, au chevet de la femme du premier plan plongée dans un coma à la suite de l'accident qui ouvrait en fait le film. A la place du dépaysement, on se retrouve donc très tôt plongé dans un drame familial, mais l'introduction du film trouve son originalité en liant la vie de Matt à l'histoire de l'état où il vit et à sa géographie puisqu'il a hérité de terres encore sauvages dont il est sur le point de perdre l'usufruit. Sa vie familiale est à l'image de Hawaï, un groupe d'individus isolés qu'il compare aux îles séparées de l'archipel.




Après cette exposition enthousiasmante, The Descendants ne parvient malheureusement pas à proposer une intrigue assez surprenante pour réellement convaincre. Le film expliquant dès ses premières minutes que les jours de la femme de Matt sont comptés, l'enjeu est déplacé sur la reconstitution possible d'un noyau familial autour de Matt, opérée à travers l'annonce de la mort prochaine de sa femme aux proches et la poursuite de l'amant qu'elle avait. A partir de ce schéma classique, le film fait se suivre des scènes tour à tour dramatiques et comiques, mais peine à émouvoir, à l'image de la réaction de la fille ainée de Matt à l'annonce de la mort prochaine de sa mère : sa plongée sous l'eau de la piscine et le cri qu'elle y pousse ont quelque chose de trop mis en scène pour produire l'émotion voulue. Alors que Matt fait à ses filles le récit d'anecdotes concernant sa femme, on est frustrés de ne recueillir que des fragments de récits, illustrés par des images du groupe marchant sur une plage filmée en plan d'ensemble. Cette distance par rapport aux sentiments des personnages, l'usage systématique d'une musique folklorique hawaïenne qui devient au fur et à mesure le seul signe d'une culture qui n'est présente que de manière superficielle, produisent une lassitude croissante. Jusqu'à un final mélodramatique ponctué de contre-champs de la morte en sursis alors qu'on lui fait ses adieux, procédé tire-larmes agaçant.


Tout ceci est fort dommageable car on a envie d' aimer ce film, pour ses personnages fragiles et attachants et les acteurs qui les incarnent avec conviction. On ne peut que saluer la justesse de Shailene Woodley, jeune comédienne à suivre, et la présence de Robert Forster en beau-père aux apparences sévères mais qui titube en se levant de sa chaise produit un moment émouvant (enfin!) lorsqu'il abandonne sa carapace une fois seul avec sa fille. Quant à George Clooney, il est effectivement convaincant en héros ordinaire , débarrassé de son aura de star, mais ceux qui le découvrent bon acteur ont du oublié sa prestation dans le Solaris de Soderbergh. Jack Nicholson avait remporté pour Mr Schmidt du même Alexander Payne le Golden Globe, parce qu'il dévoilait une fragilité inédite chez lui et jouait de son corps vieillissant. Devant les larmes inédites de Nicholson, on ne pouvait qu'être émus ; devant celles de George Clooney, on aimerait l'être davantage.

29/01/2012

Sherlock Holmes - jeu d'ombres vs Sherlock la série

Sherlock holmes - jeu d'ombres : 2 / 5
Sherlock (la série) : 4 / 5

Après s'être égaré avec le très justement nommé A la dérive puis avoir achevé son suicide artistique avec Revolver, Guy Richie avait connu un retour en grâce avec le premier volet de Sherlock Holmes. Le film avait beau se dérouler à un rythme épuisant, le duo efficace Robert Downey Jr - Jude Law, une bonne dose d'humour et une intrigue complexe mais habilement construite en faisaient une remise au jour plutôt convaincante du héros de Conan Doyle, qui n'avait pas bénéficié d'une adaptation cinématographique depuis longtemps. L'apparition de l'ennemi juré du détective en fin de film, le professeur Moriarty, promettait une suite encore plus exaltante. A l'arrivée, le bilan est pourtant au mieux mitigé, la faute en partie à une série enthousiasmante produite par la BBC. Lancé par deux habitués de la série Doctor Who, Stevenen Moffat et Mark Gattis, Sherlock qui adapte les récits de Doyle dans une Angleterre contemporaine s'avère autrement plus satisfaisant que la version de Guy Ritchie, et ce sur différents plans.




On peut d'abord regretter que Sherlock Holmes : jeu d'ombres évacue presque totalement le caractère de brillant déducteur de son héros. Alors que le premier opus dévoilait dans sa dernière partie un réseau complexe d'indices glanés par Holmes tout au long du film, le second se résume hélas à une course-poursuite interminable. Si la nouvelle dont le film s'inspire, "Le dernier problème", se présentait comme une aventure où Holmes cherchait à semer Moriarty plus que comme une enquête, force est de constater que le film de Ritchie ressemble trop souvent à un film d'action lambda. Robert Downey Jr, loin du héros à l'esprit brillant auquel le public est habitué, incarne un excentrique dont les principales qualités sont un don pour le déguisement et pour le combat au corps-à-corps. Dans ce dernier domaine, l'idée de faire analyser par le héros les combats à venir dans des flash-forwards au ralenti fonctionnait dans le premier film mais devient malheureusement ici un tic de mise en scène, faute de se renouveler à l'exception toutefois d'un affrontement final assez réussi. Lors d'une fuite des héros en forêt, l'utilisation du ralenti, bien que produisant un effet esthétique assez réussi, devient même arbitraire, sans lien avec le récit. En contraste avec ce ralenti du mouvement, Sherlock propose un esthétique de l'arrêt sur des détails de l'image, donnant à voir les détails observés par Holmes à partir desquels il tire des conclusions, renouant alors avec le plaisir des romans et nouvelles de voir l'esprit vif du héros à l'œuvre. Les esthétiques contraires du film et de la série sont incarnées par  leurs interprètes principaux : à l'opposé de l'énergie un peu épuisante de Downey Jr sur la longueur, Benedict Cumberbatch est d'une sobriété exemplaire, une rationalité faite homme beaucoup plus fascinante.



Le film de Guy Ritchie pose également le problème de choisir un point de vue moins intéressant que celui le plus souvent adopté par Doyle. En effet l'écrivain écossais choisit Watson comme narrateur des aventures de Holmes, et le lecteur peut alors partager l'admiration éprouvée par le docteur pour son ami hors du commun. Sherlock Holmes : jeu d'ombres évoque ce point de vue narratif en ouverture et conclusion, mais le film fait plutôt le choix de se situer aux côtés de Holmes, qui perd alors de son aura de mystère. La série de Moffat et Gatiss joue au contraire de cette aura, comme ressort comique aussi bien que dramatique (voir le dernier épisode de la saison 2). En plaçant le spectateur du côté de Watson, incarné par un Martin Freeman idéal en héros ordinaire et faillible, la série garde un point d'entrée pour le spectateur qui se retrouverait sans cela dépassé par la rapidité de déduction de son compagnon. 

Mais plus qu'une simple relation de maître à élève, Holmes et Watson développent bien entendu une amitié indéfectible, dont le sous-texte homosexuel plutôt absent des récits de Conan Doyle est exploré dans le film comme la série. Encore une fois, la série fait alors preuve de plus de finesse. Si la situation de départ de transformer la lune de miel de Watson en aventure entre hommes est intrigante dans le film de Ritchie, l'idée est explorée de manière un peu trop outrancière pour sortir du registre la farce un peu lourde , avec au sommet l'image de Holmes travesti en femme qui demande à Watson de s'allonger à ses côtés : on s'attendrait presque à le voir faire un clin d'œil complice au spectateur. On préférera largement Un scandale en Belgravie, premier épisode de la deuxième saison de Sherlock, où l'ambiguïté du rapport Holmes-Watson qui interfère dans la vie sentimentale du docteur et la capacité ou non de Holmes à éprouver des sentiments pour une femme sont traités admirablement, via une Irène Adler réinventée avec brio.



Pour conclure, on peut cependant noter que sur un point la version de Ritchie peut s'avérer supérieure à la série : James Moriarty. Si le film respecte l'image classique du personnage en Napoléon du crime impitoyable et sophistiqué, Sherlock, dans un souci d'originalité, a choisi d'en faire un criminel un rien déséquilibré dont les échanges avec Holmes évoquent un peu trop des dialogues entre Batman et le Joker pour réellement convaincre. Mais il s'agit d'une faute somme toute mineure, qui ne prive en rien Sherlock de sa victoire incontestable sur son rival au grand écran.

La saison 2 de Sherlock vient juste d'être diffusée sur BBC One, elle devrait être programmée sur France 4 dans l'année.

26/01/2012

Trust : un sujet délicat pour un acteur du petit écran reconverti

 Trust : 3 / 5

La reconversion est-elle possible pour les acteurs d'une série télévisée à succès ? Le destin des interprètes de Friends, sitcom emblématique des années 90, semble indiquer qu'elle soit difficile :  Lisa Kudrow, Courteney Cox et Matt Leblanc ne trouvent une suite à leur carrière qu'à la télévision, dans les séries Web Therapy, Cougartown et Episodes. Le cas d'Episodes est intéressant : Matt Leblanc vient d'être récompensé par un Golden Globe pour cette série où il se prête à l'exercice postmoderne d'incarner une version fictionnalisée de lui-même. Ce succès même témoigne de l'impossibilité pour l'acteur d'échapper réellement à son personnage très marqué de Joey Tribianni, dont la popularité était telle qu'il avait bénéficié d'un spin off après l'arrêt de Friends. Jennifer Aniston trouve quant à elle régulièrement des rôles sur le grand écran mais est cantonnée dans des comédies au mieux sympathiques mais oubliables, à l'image de Comment tuer son boss? 

 
David Schwimmer, ex Ross Geller, peut-être conscient d'un cap de carrière délicat à passer, avait posé les jalons d'une reconversion de l'autre côté de la caméra en assurant la réalisation de certains épisodes de Friends. En 2007, il se retrouvait ainsi là où on ne l'attendait pas vraiment, à la tête de la comédie britannique Cours Dennis, cours ; la présence des excellents Simon Pegg, en loser attachant, et Dylan Moran (de la sitcom anglaise Black books) en séducteur invétéré, permettait au film de remplir son contrat de divertissement honnêtement. Si Schwimmer évoluait alors dans un univers familier proche de la sitcom, Trust constitue un virage radical vers le drame à sujet sensible.

 
Annie est une adolescente moderne typique un peu complexée, qui ressent la frustration de n'être plus une enfant et pas encore une adulte, mais qui trouve du réconfort auprès d'une famille aimante et chaleureuse et surtout d'un adolescent plus âgé avec lequel elle chatte sur le net. Bien que l'introduction du film décrive un quotidien relativement insouciant, la menace latente qui peut provenir des discussions intimes entre "amis" sur internet dont les parents sont exclus, est évoquée dès les premières minutes lorsqu'un "chatteur" faisant une remarque déplacée, est bloqué par l'adolescente. Au travers de détails, le cadre posé est celui d'une Amérique obnubilée par le sexe, qu'il s'agisse des provocations d'adolescentes chez qui Annie est invitée, des publicités supervisées par son père ou du flirt de son associé marié avec une jeune serveuse. La relation d'Annie avec son confident prend dans ce contexte une dimension de plus en plus inquiétante, ce dernier refusant de se dévoiler en prétextant des problèmes de webcam et avouant au fur et à mesure son âge avancé. La rencontre entre Annie et son correspondant aboutit évidemment à un drame qui va faire voler en éclats la vie paisible de sa famille.

 
Le premier mérite de Trust est de poser un regard juste et sans compromis sur le sujet délicat de la pédophilie vécue au sein de la famille d'une victime. Le fossé d'incompréhension qui se creuse entre Annie et sa famille suite au drame que l'adolescente a vécu amène des situations déroutantes, choquantes mais surtout terriblement vraisemblables. L'expérience de Schwimmer en tant que membre de la "Rape foundation" qui vient en aide aux victimes de viols peut expliquer la justesse du ton, mais c'est surtout grâce à la jeune mais très talentueuse Liana Liberato que le film fonctionne : révoltée et fragile, elle est troublante de vérité dans des scènes souvent délicates. Ses échanges avec un père désemparé et vengeur (Clive Owen, impeccable) sont les moments forts de la deuxième partie du film. Schwimmer convainc donc en tant que directeur d'acteurs. On pourra reprocher néanmoins au film une mise en scène un peu plate ou trop soulignée (notamment lorsque son père imagine les violences subies par sa fille), qui l'empêche de réellement prendre son essor. Film sincère et fort par moments, Trust aura ainsi malgré tout du mal à emporter le spectateur, proposant faute de moyens une esthétique et un rythme plus télévisuels que cinématographiques.

19/01/2012

Millenium - Les hommes qui n'aimaient pas les femmes : Salander, Lisbeth Salander

 Millenium - Les hommes qui n'aimaient pas les femmes : 4 / 5

Pourquoi faire une nouvelle adaptation des best-sellers de Stieg Larsson, 3 ans à peine après la version produite par la Suède ? La raison évidente est bien sûr économique, Hollywood ne pouvant ignorer les bénéfices financiers engendrés par la transposition de romans à succès à l'écran, d'autant plus que le public américain est peu enclin à aller voir des films étrangers sous-titrés. De la même façon, les droits de Bienvenue chez les Ch'tis ou Intouchables ont été achetés et leurs versions américaines sont en préparation. La roublardise financière du projet posée, il convient de constater que le mettre dans les mains de David Fincher était loin d'être une mauvaise idée : la noirceur et la violence des romans de Larsson n'est pas sans évoquer l'ambiance  angoissante de Seven. Cette nouvelle version est-elle pour autant convaincante?



Rappelons l'intrigue en quelques mots, pour ceux qui n'auraient ni lu les romans, ni vu la version suédoise. Mikaël Blomkvist, journaliste déchu suite à un scandale médiatique, se voit proposer par un riche industriel retraité, Henrich Vanger,  d'enquêter sur la disparition de sa nièce 40 ans auparavant ; le film suit en parallèle le quotidien mouvementé de Lisbeth Salander, hacker et détective privée taciturne qui avait été engagée par le commanditaire de Blomkvist pour réunir des informations sur lui. A partir de cette situation de départ se développe une intrigue complexe et macabre impliquant viols, tortures et cadavres mutilés. La noirceur de ce polar qui explore le mal sans détours ne conviendra évidemment pas à tous les publics, mais cette violence est intrinsèque au discours d'un roman qui dénonce les violences subies par les femmes. L'atmosphère poisseuse du film est annoncée dès un générique de début hallucinant, magma monochrome de parties de corps recouverts de pétrole : on pense aux ouvertures rituelles des James Bond, et la présence de Daniel Craig en Mikaël Blomkvist ne fait que renforcer cette association. Passée cette accroche visuellement débridé, le film s'offre paradoxalement comme assez sobre au niveau de sa mise en scène, alors que la version suédoise jouait d'effets de mise en scène appuyés. Fincher parvient également à mieux rendre les ambiances, surtout dans sa description de l'île isolée et au climat glacial où Blomkvist s’installe pour mener l'enquête : un cadre angoissant, comme hanté par le drame originel vécu par la famille Vanger. Entre flashbacks reconstituant l'après-midi qui a vu disparaître Harriett Vangler et mise en scène plus précise, la version américaine trouve davantage d'ampleur et de rythme.


Qu'en est-il du personnage emblématique de la saga de Larsson, Lisbeth Salander? L'atout majeur de la version de Niels Arden Oplev était Noomi Rapace et si Rooney Mara ne démérite pas elle ne fait pas oublier l’extraordinaire performance de sa prédécesseuse. Mais le film de Fincher présente l'avantage dans son discours féministe d' accentuer l'importance de Lisbeth : Blomkvist, malgré les traits de Daniel Craig, est un sorte d'anti-Bond, un antihéros ordinaire qui grelotte réfugié dans son abri et grimace quand on lui fait des points de suture. Si son efficacité d'enquêteur est correcte, elle fait pâle figure face à Lisbeth douée d'une mémoire extraordinaire : on pourrait alors comparer le couple de héros au célèbre duo Holmes-Watson. Lisbeth est un personnage hors du commun, un ange noir vengeur et implacable, ou du moins c'est ainsi qu'elle se présente maquillée à un tortionnaire misogyne. La beauté de sa rencontre avec Mikaël tient alors à ce quelle accorde à nouveau sa confiance à un homme. [spoiler] Et la chute du film n'en est est que plus tragique pour elle. Alors que la version d'Olsen se concluait sur l'image de Lisbeth souriante, indépendante et forte dans le cadre ensoleillé d'une plage fortunée, celle de Fincher la laisse figure de l'ombre, s'effaçant dans la nuit pour laisser place à sa rivale dans le coeur de Mikaël. L'ange vengeur est aussi une femme seule en quête d'affection, et cela ne la rend que plus fascinante.

Ci-dessous, l'avis informé et différent d'un spectateur interviewé à la sortie d'une séance :


18/01/2012

Another happy day : les Levinson, auteurs à acteurs de père en fils

 Another happy day : 3 / 5

Dans la catégorie des cinéastes "enfants de", Sam Levinson bénéficie, contrairement à Sofia Coppola, Nick Cassavetes ou Mathieu Demy, d'une ascendance à la personnalité moins marquée, celle de Barry Levinson. Connaissant son heure de gloire à la fin des années 80 avec Good morning, Vietnam et surtout Rain man, récompensé de 4 Oscars en 1989, le réalisateur scénariste est un artisan dont le talent est reconnu par le public et la profession mais dont le style est finalement peu reconnaissable. On retiendra davantage de ses films des numéros d'acteurs prodigieux, qu'il s'agisse de Robin Williams ou Dustin Hoffmann. De manière similaire, le style du jeune Sam Levinson (26 ans) ne brille pas par son originalité dans son premier film Another happy day mais ce sont plutôt ses acteurs qui en font le charme.


Prix du scénario au festival du film de Sundance consacré au cinéma indépendant, Another happy day réunissait les conditions pour ce prix en s'inscrivant dans un registre familier du cinéma américain indépendant, à savoir la mise au premier plan de personnages dépressifs ou marginaux qui ne rentrent pas dans l'idéal de l' "American way of life". L'auteur du film a beau se réclamer d'objectivité, vouloir "raconter une histoire sans personnages positifs ou négatifs, sans que le public sache pour qui ressentir de l'empathie, qui aimer ou qui détester" [1], son film n'en prend pas moins parti, en privilégiant dans le récit le point de vue d'un groupe de personnages inadaptés. Soit Lynn, mère hypersensible, et ses deux enfants Ben et Elliot, le premier aux tendances autistes et le deuxième drogué et dépressif, rejoints plus tard par sa fille Alice suicidaire : leur présence au mariage du fils de Lynn qu'elle n'a pas élevé est sans surprise l' occasion de tensions avec un reste de la famille qui se targue de représenter l'ordre de la normalité. Un effet de déjà-vu parcourt donc le film mais l'écriture efficace, surtout dans les moments de comédie satirique, permet de le suivre sans lassitude. Le final du film, malgré son côté attendu, laisse quant à lui entrevoir une maîtrise assez sûre de la mise en scène qui laisse augurer du meilleur pour la suite de la carrière de Sam Levinson.


Mais si Another happy day parvient à maintenir l'intérêt du spectateur, c'est surtout grâce à une distribution parfaite. Ellen Barkin est crédible dans un rôle difficile de personnage hypersensible toujours prête à exploser, et sa confrontation avec son ex-mari et sa famille ou son discours aux mariés sont les moments les plus émouvants du film. La grande Ellen Burstyn, en matriarche distante, est saisissante d'autorité silencieuse jusqu'à ce que son masque tombe et sa fragilité se dévoile. Mais l'acteur le mieux servi reste Ezra Miller : après avoir épouvanté dans We need to talk about Kevin, il trouve dans le rôle d' un fils cynique et destructeur, qu'il incarne avec une perversité jouissive, l'occasion d'offrir une nouvelle fois un miroir terrible et lucide à l'Amérique bien-pensante, parodiant par le biais d'une mise en abyme cruelle le cirque des médias américains.

[1]  Dans une interview pour le dossier de presse d' Another happy day

17/01/2012

Something for the week : La colline aux coquelicots, J. Edgar

La colline aux coquelicots : 2 / 5
J. Edgar : 3,5 / 5


La colline aux coquelicots, dernière production des studios Ghibli, pose la question de la succession d'Hayao Miyazki à le tête des projets du studio. Si le premier film de son fils Goro, Les contes de Terremer, présentait des faiblesses de rythme, le deuxième est une tentative de récit réaliste peu convaincante. Privé de la poésie fantastique qui faisait tout le prix des films de Hayao Miyazaki et occasionnait des fulgurances visuelles sublimes (telle que l'éventail de couleurs psychédélique dans Ponyo), La colline aux coquelicots aborde un drame humain dont les personnages manquent un peu de profondeur et qui peine à émouvoir : pour exemple, la résolution de l'intrigue, ponctuée par des rires sonores et des visages remplis de larmes, fait sourire un instant avant de vite irriter dans ce qu'elle reprend un cliché usé de l'animation japonaise.  

Si la description d'un Japon pris entre la modernité et la tradition au début des années 60 ne manque pas de charme, ce dernier se dilue au fur et à mesure que le film aligne les scènes attendues sans présenter d'enjeux significatifs. La bande-son , où les jazzs et ragtimes paresseux remplacent les habituelles partitions splendides de Joe Hisaishi (sauf lors d'un pastiche en fin de film), empiète sur le récit davantage qu'elle ne le rythme : lors de la scène d'ouverture, une chanson rappelle même les insupportables numéros musicaux des productions Disney. C'est que le film est le reflet d'une culture japonaise hybride, entre influences culturelles occidentales et signes du mode de vie oriental : le bâtiment qui sert de refuge aux associations  de lycéens est appelé le "quartier latin" et alors que des jeunes hommes apparaissent fièrement sur son toit, les accords jazzy évoquent West Side Story et on s'attendrait presque à les voir claquer des doigts. Film sur la transformation d'un Japon qui s'ouvre à la culture occidentale, La colline aux coquelicots perd la beauté mystérieuse des esprits de la nature traditionnelle ou les figures de conte qui peuplaient la filmographie de Miyazaki père sans offrir de récit assez original en retour.


Dans J. Edgar, le lien établi entre l'opinion publique et le grand écran, d'abord en faveur des gangsters puis des forces de l'ordre, rappelle des scènes de Public ennemies, évocation romantique de John Dillinger par Michael Mann où le braqueur assistait dans un cinéma à sa transformation en personnage de fiction incarné par Clark Gable. Alors que Hoover apparaissait comme une figure d'autorité implacable et distante dans le film de Mann, la dernière œuvre de Clint Eastwood semble son contrepoint idéal ; le titre prénom J. Edgar de ce biopic du fondateur du FBI convient bien à la plongée dans l'intime qu'il propose. Fuyant le spectaculaire limité aux attentats communistes ayant frappé les Etas-Unis à la sortie de la seconde guerre mondiale et à une descente musclée dans sa première demi-heure, le film s'inscrit ensuite dans le style sobre , tout en retenue et justesse des films mis en scène par Eastwood. 

La bonne idée de J.Edgar est de faire raconter l'homme historique par lui-même à partir de ses mémoires et de contraster ce récit officiel par le biais duquel il se construit une image publique de héros américain à des scènes qui le montrent dans son intimité avec ses proches, qu'il s'agisse de sa mère, sa secrétaire Helen Gandy et son second Clyde Tolson. A travers ce va-et-vient se construit un personnage ambigu, aux intentions qui ont la noblesse du patriotisme mais aux mèthodes parfois louches, identiques à celles des états policiers. L'apparition furtive de Richard Nixon en fin de film et sa présentation comme antagoniste de Hoover n'est d'ailleurs pas innocente dans ce qu'elle dit de la similitude entre les deux hommes. D'une narration complexe et riche en détails historiques, J. Edgar ne perd cependant jamais le spectateur en route, fort du savoir-faire d'un Eastwood passé maître dans l'art du récit efficace. Leonardo DiCaprio y est bluffant dans une performance d'acteur s'effaçant devant le personnage  qui lui offrira peut-être un Oscar depuis longtemps mérité, mais ce qui fait vraiment le prix du film est la profondeur humaine des protagonistes, la patte du grand Clint : la scène de rendez-vous entre Hoover et Helen Gandy à la bibliothèque, la scène centrale de sa dispute avec Tolson, l'annonce de la mort de Kennedy ou le final mélodramatique sont autant de moments inventifs et marquants caractéristiques d'un des derniers grands cinéastes classiques. 

12/01/2012

Le cinéma vu par vous


En ce début d'année, j'inaugure cette rubrique qui permettra à d'autres de donner leur avis (conforme ou contraire au moins sur des films). Parce que mon avis reste avant tout personnel et que le votre m'intéresse, donc encore une fois laissez des commentaires ! Pour commencer, réactions sur certains films sortis récemment en salle et sur l'année cinématographique 2011, marquée pour tous les interviewés (que je remercie de leur participation) par un film qui ne figure pas dans mon top 10, mais dont on parle beaucoup...




10/01/2012

Une vie meilleure : société en crise, cinéma revigoré

 4 / 5

Le succès d' Intouchables en fin d'année dernière, en dehors de la justesse de son ton et de ses acteurs attachants, tenait à ce qu'il proposait une utopie sociale chaleureuse dans la situation actuelle de marasme économique. Une vie meilleure, autre film populaire, choisit quant à lui d'être le reflet de la crise qui touche actuellement la France. Entre recherche compliquée d'un emploi, problèmes de crédit et de logement, le film de Cédric Kahn met enfin au devant de la scène une situation trop souvent occultée par le cinéma national.


Cuisinier passionné, Yann cherche à quitter la cantine scolaire où il travaille pour un poste plus prestigieux : le premier plan le suit alors qu'il se fait raccompagner en dehors d'un restaurant après un énième entretien d'embauche infructueux. Il y fait cependant la rencontre de Nadia autour d'une cigarette, qui l'encourage à persévérer. Yann propose à la jeune femme de la retrouver à la fin de son service et cette dernière accepte. Gros plan sur le visage de l'homme qui sourit ensuite dans le métro alors qu'apparait la promesse du titre du film. La vie meilleure envisagée, c'est un avenir à deux pour être plus fort face aux difficultés; et réaliser le rêve fou de l'ouverture d'un restaurant imaginé à partir d'une maison à l'abandon, trouvée comme par enchantement au bord d'un lac lors d'une escapade ensoleillée dans la nature. Mais que devient ce rêve fragile lorsqu'il se heurte au réel ? Le constat amer que propose le film est celui d'une spirale infernale dans laquelle sont piégés Yann et Nadia pour avoir osé aspirer à trop grand pour leurs moyens. La réelle inquiétude qu'on ressent quant au sort des personnages tient alors à ce que les problèmes qu'ils rencontrent renvoient à une réalité sociale familière où les "happy end" de fiction sont peu fréquents.


N'allez pas penser pour autant que le film de Cédric Kahn tombe dans un misérabilisme pesant. Car il est habité d'une énergie de tous les instants, celle de Yann décidé à s'en sortir coute que coute, interprété par un Guillaume Canet plus que convaincant en laissé-pour-compte. Dans la relation qui se noue entre lui et le fils de Nadia, Une vie meilleure trouve une beauté simple qui évoque le néoréalisme italien du Voleur de bicyclette, oscillant entre désespoir et instants de joie : les difficultés affrontées au quotidien n'empêchent pas ainsi l'irruption d'un moment de pur bonheur lors d'une partie de pêche euphorique. Sans afféteries de mise en scène, Une vie meilleure parvient à créer l'émotion en adoptant avec simplicité le point de vue de ses antihéros ordinaires et familiers. Grand film populaire sans être démagogique, il inaugure avec bonheur une nouvelle année pour le cinéma français, que l'on souhaite aussi efficacement inscrite dans la société contemporaine.

07/01/2012

Les chants de Mandrin : l'esprit de la liberté

 3,5 / 5

Dans la note d'intention des Chants de Mandrin, son réalisateur Rabah Ameur-Zaimeche se revendique d'un esprit libre, "en bordure du champ politique", salué par le prix Jean Vigo reçu par le film l'année dernière. L'auteur ambitieux se présente à la recherche d' "un espace séparé, une utopie poétique où l'art déploie sa pleine puissance de figuration et de pensée". Le résultat de cette démarche est un film curieux, inégal, mais qui livre certains moments assez fascinants pour que l'entreprise soit considérée comme finalement réussie. 


Production indépendante, Les chants de Mandrin est un film d'époque qui refuse l'attrait romanesque propre au genre. D'abord, son récit à la narration lâche présente peu d'enjeu dramatique mais s'avère plutôt une chronique quotidienne de la vie errante des compagnons de feu Mandrin, contrebandier précurseur des révolutionnaires dans la France du milieu du 18ème siècle. Ensuite, le film refuse l'ampleur spectaculaire, puisque même les quelques échanges de coup de feu avec les militaires sont filmés en plans serrés, dans un découpage minimaliste. Face à cette promesse de divertissement historique frustrée, on peut comprendre les réactions outrées de certains spectateurs. D'autant plus que le réalisme du film semble souvent rentrer en conflit avec le langage daté de l'époque et un jeu d'acteur parfois discutable (Ameur-Zaimeche qui incarne un des premiers rôles en tête). Il est d'ailleurs significatif que le film soit le plus convaincant dans des scènes non dialoguées, des moments de pause où il parvient à atteindre une étrange beauté : ainsi la visite de l'imprimerie est l'occasion d'une séquence où les personnages se détachant dans l'obscurité sont comme hors du temps, où se concrétise l'espace poétique recherché par Ameur-Zaimeche. Cette poésie peut aussi provenir de présences singulières, telles celle d'un géant ou d'une femme silencieuse parmi les contrebandiers.


Mais avant tout, Les chants de Mandrin prend sa valeur esthétique et son sens dans ses scènes musicales :  un morceau de flûte joué par un des contrebandiers alors que des soins sont donnés à un déserteur mourant sublime ainsi l'action du chef apprenti médecin et instaure en même temps un espace intime, en marge de la société, où se trouve le groupe rebelle. Plus tard, sur les accords d'un instrument d'époque, la grandeur du groupe se dévoile :  le mystère qui plane autour de cette communauté dont on n'apprendra en définitive pas grand chose, c'est celui des légendes, silhouettes noires désincarnées et intemporelles défilant sur un ciel bleu se faisant la voix d'un peuple révolté soumis à une autorité arbitraire. Enfin, lors d'un final sublime et envoûtant où un chant funèbre en hommage à Mandrin se transforme en danse endiablée, Rameur-Zaimeche parvient à transmettre la belle idée d'un art à la fois noble et populaire. Ces scènes procurent un enthousiasme qui prévaut aisément sur les quelques réserves que peut susciter ce cinéma libre et indépendant.

05/01/2012

Take shelter : les angoisses de l' Amérique

 4 / 5

2011 a été marqué en autres par Melancholia, film d'art et essai  qui prouvait que les récits de fin de monde n'étaient plus l'apanage des "blockbusters" américains (Le jour d'après, 2012). 2012 confirme la tendance avec Take Shelter, film américain indépendant réalisé par le jeune Jeff Nichols. Mais alors que le film opératique de von Trier prenait la dimension cosmique d'une planète qui entre en collision avec la terre sur la musique de Wagner, le film de Nichols se déroule à l' échelle plus intime et réaliste d'une famille américaine ouvrière de l'Ohio.




Un homme est seul face à une tornade qui assombrit le ciel, puis à une pluie diluvienne qui tombe sur sa main en gouttes jaunes et épaisses : alors que l'on retrouve le même homme s'éveillant sous la douche, on comprend qu'il s'agit d'un cauchemar, comme les images ouvrant Melancholia pouvaient être perçues comme les visions de Justine. Entre Justine et Curtis, la comparaison s'arrête cependant là : là où le visage de Kirsten Dunst était celui d'une beauté triste et éthérée dans la lignée de l'iconographie romantique, Michael Shannon offre des traits rugueux et peu gracieux et semble tout droit sorti d'un film expressioniste. Autour de la présence tellurique et de l'étrangeté de cet acteur hors du commun, le film tisse habilement dans un premier temps un récit qui alterne entre scènes réalistes de la vie au quotidien dans l'Amérique simple du "Midwest" et visions cauchemardesques. Mais plus que dans une fin du monde horrifique, le drame prend vite racine dans l'angoisse irrationnelle qu'elle provoque chez Curtis, qui met en danger l'équilibre de sa famille.


Car contrairement à Justine, Curtis ne se résout pas à accepter la fin du monde. Pour se mettre lui et sa famille à l'abri ("to take shelter"), la solution est de s'isoler pour se protéger des menaces extérieures potentielles, catastrophe naturelle mais aussi chien et collègue. Mais alors que Curtis est pris dans cette logique paranoïaque, il devient l'incarnation du chaos qu'il redoute lors d'une scène d'éclat public où il est pareil à un prédicateur halluciné. Avec cette figure de père protecteur devenu fou, Nichols décrit une Amérique dont la gloire est passée et qui est à présent minée par ses angoisses : Curtis et sa femme doivent surveiller au plus près les dépenses du foyer et alors que son frère lui rend visite, il fait une rapide allusion à la crise économique. La fin du monde qui se profile est donc le reflet d'une crise bien réelle et présente. Le seul refuge face à ses angoisses, semble nous dire le réalisateur, se trouve dans la cellule familiale : Jessica Chastain, formidable en compagne inquiète mais battante, incarne avec douceur et détermination la fondation d'un foyer fragilisé par l'isolement progressif de son mari. Étude intime et subtile d'une folie, Take shelter s'offre aussi comme un miroir convaincant des angoisses du monde contemporain, proposant un climax final tendu et efficace ainsi que l'épilogue le plus ambigu depuis la fin d' Inception.