21/12/2014

Le Hobbit - la bataille des Cinq Armées : un final spectaculaire et émouvant

4 /5

Avec ce 3ème et dernier volet du Hobbit vient le temps du bilan et de la comparaison inévitable avec la trilogie du Seigneur des Anneaux. Et disons le d’emblée, cette nouvelle trilogie se sera un peu déroulée dans l’ombre de sa prestigieuse grande sœur. Cette impression était à prévoir étant donné le statut de « prequel » que prend Le Hobbit par rapport au Seigneur des Anneaux. Conscient de cette situation, Peter Jackson avait préféré laisser la réalisation de ce projet à d’autres avant de se trouver obligé de la reprendre suite au désistement de Guillermo del Toro. Le résultat paradoxal de cette tâche acceptée à contre-cœur a été la transformation d’une adpatation en deux films du roman somme toute assez court de J.R.R. Tolkien en trilogie.


Au-delà d’une sensation de contenu étiré, le plus gros problème de ce découpage en trois films tient à une structure narrative bancale. Ce problème n’aura jamais été autant ressenti que dans l’ouverture de ce dernier volet où la victoire sur Smaug, antagoniste proncipal depuis le tout début de l’aventure, se fait en l’espace d’une introduction certes spectaculaire mais un peu sommaire. On aurait pu aisément imaginer un dyptique qui aurait placé la confrontation de Bilbo et des nains avec le dragon en début de deuxième film. Cette résolution expéditive a néammoins un avantage, celui de recentrer l’intrigue sur le destin de Thorin, figure centrale de cet opus final.


L’obsession de Thorin pour l’Arkenstone évoque évidemment le ressort dramatique principal du Seigneur des Anneaux. Passé cet aspect redite, le personnage y gagne en ambiguité et en intérêt : la fragilité de ce héros torturé nous le rend plus proche sans rien enlever de la fascination qu’il peut exercer. Richard Armitage se révèle un choix judicieux, la présence remarquable de l’acteur lui permettant d’incarner aussi bien les accès de folie et les troubles de Thorin que son charisme royal. Martin Freeman reste quant à lui un des atouts maîtres du Hobbit, idéal en témoin ordinaire de conflits historiques et extraordinaires auquel chacun pourra s'identifier.


Là où Le Seigneur des Anneaux était une fresque épique, La Bataille des 5 Armées reprend l’axe plus intime d’Un Voyage Inattendu. Dans cette prespective, l’ajout du personnage de l’elfe Tauriel est on ne peut plus juste : le triangle amoureux dans lequel elle se retrouve, entre son pair Legolas et le nain Kili auquel tout l’oppose, accroit l’investissement émotionnel du spectateur dans la complexe bataille qui occupe la moitié du film. Peter Jackson s’en donne alors à cœur joie, faisant preuve d’une générosité qui ravira ou fatiguera, au choix. Si ces séquences d’action sont moins mémorables que celles titanesques du  Seigneur des Anneaux, les enjeux individuels y sont finalement plus forts. L’issue élégiaque du récit fera alors certainement couler quelques larmes.

Plus intense et ramassé que ces prédécesseurs, La Bataille des 5 Armées conclut de façon très satisfaisante les aventures de Bilbo. Que dire de l’ensemble du Hobbit au final ?  Le tout n’était pas aussi abouti que la première trilogie de Peter Jackson, et ne bénéficiait pas du caractère innovant de cette première entreprise. Cependant le cinéaste et son équipe (décorateurs, costumiers, responsables des effets spéciaux…) ont su nous prouver qu’ils savaient toujours parler à notre imagination, nous embarquant dans une épopée qui malgré ses longueurs nous aura offert quantité de moments de véritable magie. Ce savoir-faire, que l’on tient pour acquis et ordinaire depuis le Seigneur des Anneaux, n’en reste pas moins exceptionnel.

19/12/2014

Whiplash : un film percutant mené tambour battant

4 / 5

Présenté entre autres aux festivals de Sundance et Deauville, Whiplash a convaincu aussi bien les jurys du festival qui lui ont décerné leur Grand prix que ses spectateurs qui l’ont couronné de prix du public. Le film du jeune Damien Chazelle, pas encore trentenaire, s’impose de fait comme un évidence ; il nous entraîne par son rythme soutenu qui le distingue du reste d’une production indépendante américaine souvent plus encline à la contemplation. Ce sens du timing n’est pas surprenant chez un cinéaste ancien batteur de jazz. Son premier long métrage resté inédit en France, Guy and Madeline on a Park bench, avait évidemment à voir avec la musique en opérant un croisement entre l’esthétique de John Cassavetes et les « musicals » de Vincente Minelli ou les films de Jacques Demy. Avec Whiplash Chazelle passe de cette déclaration d’amour à la musique à un contenu plus réaliste et dramatique, aux accents autobiographiques.


Genre complexe et se nourrissant de virtuosité, le jazz relève de la musique dans toute sa splendeur mature et exerce un pouvoir de fascination auquel Chazelle a autrefois succombé. Avec Whiplash le cinéaste nous dévoile la face cachée de la beauté de cette musique, le travail fait de souffrance qui est à sa source. « Success story » impossible, le film évoque à juste titre le fantôme ambivalent de Charlie Parker, musicien génial mais aussi cocaïnomane autodestructeur. Andrew (Miles Teller) est pris dans une logique d’ascencions et chutes successives orchestrées aussi bien par un chef d’orchestre sadique (J.K. Simmons) que liées à sa propre quête masochiste. Cette tension palpable fait prendre au film des allures de thriller. L’aboutissement de ce versant du métrage est une course contre la montre mise en scène avec une précision hitchcockienne alors que Andrew en retard pour un concours de l’orchestre risque de perdre sa place de batteur au profit de son remplaçant.  Embarqué aux côtés du protagoniste, le spectateur éprouve physiquement l’importance de chaque seconde, et l’issue de la séquence n’en est que plus choquante.


Physique, voilà le terme qui convient le mieux à la mise en scène de Damien Chazelle. Dès le premier long plan qui découvre Andrew s’entraînant à la batterie sur un rythme crescendo, le cinéaste présente la pratique de la musique comme une lutte contre les limites du corps pour atteindre l’idéal du sublime. C’est une affaire de vie ou de mort, de sueur suintant des cymbales ou de sang dégoulinant sur les baguettes de percussion.


Ce récit sur les extrêmes terrifiants de la passion poussée à son paroxysme trouve son point focal dans un face-à-face entre deux personnages à la noirceur réjouissante. Le charismatique J.K. Simmons excelle en chef d’orchestre tyrannique prêt à faire subir toutes les tortures psychologiques à ses étudiants afin de faire éclore un hypothétique génie du jazz. Mais c’est le nouveau venu Miles Teller qui porte surtout le film, incarnant  la détermination obstinée d’Andrew avec toute l’intensité nécessaire. Chazelle a l’intelligence de ne pas épargner ce protagoniste en le rendant antipathique, suffisant avec un entourage qui reste insensible à sa quête existentielle, allant jusqu’à la cruauté lors d’une rupture avec une fille qui pourrait être un obstacle pour sa carrière. Andrew et son tortionnaire ne sont finalement pas si éloignés l’un de l’autre, prêts à sacrifier une part de leur humanité pour la beauté. Apothéose de leur bras de fer, la séquence musicale finale étirée jusqu’à l’épuisement est d’une puissance cinématographique à couper le souffle.

02/12/2014

Le Domaine des Dieux : un hommage humble et réjouissant

3,5 / 5

Depuis la sortie de la première aventure live d’ Astérix au cinéma Astérix et Obéix contre César il y a 15 ans, notre héros national et ses compagnons ont envahi nos grans écrans avec plus ou moins de bonheur. Le dernier opus signé Laurent Tirard Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté était plutôt réussi mais c’est surtout Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre qui a marqué les esprits. La rencontre orchestrée par Alain Chabat entre les comiques de Canal + et l’univers de Gosciny et Uderzo avait produit quelques répliques et scènes devenues cultes à juste titre. Tout en respectant le récit de l’album dont il était tiré, le film faisait souffler un vent de renouveau par l’intermédiaire d’un casting qui prenait plaisir à se réapproprier leurs personnages. La présence d’Alexandre Astier aux commandes du Domaine des Dieux laissait présager d’une réinvention similaire.


Malgré cette attente, plutôt que d’appliquer l’humour de sa série Kaamelott aux aventures d’Astérix, l’auteur /acteur fait le choix du retrait et de la fidélité. Les afficionados de l’humour cynique d’Astier pourront alors être déçus de ne pas retrouver sa patte. Le renouvellement et la mise au goût du jour s’opère en fait du côté de l’esthétique, celle de l’animation numérique. Châpeauté par Louis Clichy, animateur chez Pixar pour Wall-E et Là-haut, Le Domaine des Dieux est une réussite technique incontestable, d’une élégance et d’une fluidité qui n’ont rien à envier aux productions Disney. Les héros de Gosciny et Uderzo y gagnent une nouvelle jeunesse euphorisante.    

L’enthousiasme que provoque Le Domaine des Dieux trouve sa source dans un mélange idéal entre tradition et modernité. La tradition, on la trouve du côté de Roger Carel dont la voix est liée à toutes les incarnatations animées d’Astérix. Miracle, le temps semble avoir épargné ce timbre reconnaissable entre tous, pour le plus grand plaisir des specateurs nostalgiques des mythiques Douze travaux d’Astérix. Le regeretté Pierre Tornade n’a hélas pas participé à l’aventure mais Guillaume Briat prend admirablement sa suite. A la vue du casting prestigieux des voix, allant d’Alexandre Astier à Florence Foresti en passant par  Elie Semoun  et Alain Chabat, on aurait pu s’attendre à une répparopriation pareille à celle de Mission Cléopâtre. Discrets et souvent méconnaissables, les acteurs s’effacent au contraire derrière les personnages animés, se mettent humblement au service de l’œuvre de Gosciny et Uderzo.


Pour autant, le film n’est pas une simple adaptation à la lettre de l’album d’Astérix dont il est issu. En modifiant de façon prononcée le dernier acte, Alexandre Astier montre qu’il est le digne héritier de Gosciny, capable d’ajouter des rebondissements sans trahir l’œuvre d’origine. Le final spectaculaire, à la chorégraphie  éblouissante, apporte une touche de modernité réjouissante. Spectacle familial, Le Domaine des Dieux ravira les enfants  mais agira surtout pour les amateurs plus âgés des aventures des Gaulois moustachus comme un bain de jouvence.

28/11/2014

Hunger Games - La révolte ( partie 1 ) : images, politique et marketing

3 / 5

Depuis Harry Potter et les Reliques de la Mort on ne peut que constater la multiplication des franchises aux derniers volets découpés en deux parties. Après Twilight Révélation et avant Avengers : Infinity War annoncé pour 2018 et 2019, c’est au tour de la saga de Suzanne Collins de bénficier de ce traitement lucratif. Hunger Games – La révolte : partie 1  parvient-il à dépasser son statut d’objet marketing pour devenir un film satisfaisant ?


On retrouve asurément la production soignée des deux précédents opus dans ce troisième volet de la saga. Par rapport à Twilight, voire à Harry Potter, l’œuvre de Suzanne Collins a l’avantage de proposer une certaine complexité dans un propos plus mature, et surtout de se renouveler dans la forme des récits. Les jeux présents dans les premières parties sont ainsi absents ici, pour laisser place à un conflit entre la dictature de Panem et une résistance dont Katniss (Jennifer Lawrence) a rejoint les rangs un peu malgré elle.


La fragilité de l’héroïne, sauvée des jeux mais souffrant de la culpabilité de la survivante, sa réticence à rentrer dans la lutte sont autant d’éléments réalistes qui font rentrer le spectateur dans un film qui ne se réduit pas au grand spectacle. Par la suite, on est convaincus par la puissance morbide de la séquence où Katniss découvre un district rasé par Panem et par le fil rouge sur le mécanisme de la propagande, du côté de la dictature comme de leur opposition. Film sur le pouvoir des images, Hunger Games – La révolte prend aussi intelligemment le contrepied d’une science-fiction aux fonds numériques artificiels. Katniss est incapable de jouer la moindre émotion lorsqu’elle est dirigée comme une actrice pour une vidéo de propagande sur l’équivalent d’un fond vert, et ne peut se faire la voix sincère de la révolte que sur un champ de bataille.



Ces belles idées ne suffisent malheureusement à faire totalement remporter la mise à cet épisode. Certes le film se clôt sur un « cliffhanger » qui appelle un renversement de situation probable dans la deuxième partie de La révolte, mais on a quand même l’impression d’un récit dilaté qui traîne trop souvent inutilement. Malgré la richesse des thèmes du film, on est frustrés par un certain immobilisme d’une intrigue qui avance au rythme d’alternoiements un peu répétitifs. On est finalement décus des conséquences dramatiques mineures des emballements tant attendus du film dans les phases finales d’action.  En attendant de juger sur pièce à la sortie de la deuxième partie en fin d’année prochaine, on pourra néammoins concéder que cette saga a le mérite de présenter un contenu assez intriguant pour maintenir notre intérêt et notre anticipation intacts jusqu’à sa conclusion.

14/11/2014

A Girl at My Door : trouble féminin dans le cinéma coréen

3,5 / 5

On a beaucoup parlé du cinéma coréen depuis les années 2000, rarement de l’absence de femmes cinéastes au pays du matin calme. July Jung remédie à cette situation avec son premier film A Girl at My Door présenté cette année à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». On retrouve à la production du long métrage l’habitué de la Croisette Lee Chang-Dong. Le réalisateur avait eu l’occasion de siéger parmi les membres du jury  en 2009 sous la présidence de Isabelle Huppert. Mais surtout ses films Secret Sunshine et Poetry y avaient reçus les honneurs, le prix d’interprétation féminine pour le premier et celui du scénario pour le second. Avec A Girl at My Door, c’est un peu un passage de flambeau qui semble s’opérer entre ce parrain à la renommée internationale et July Jung. Loin de l’image violente et baroque du cinéma coréen, dont les représentants sont Park Chan-Wok  et sa trilogie de la vengeance ou des polars oppressants tels que J’ai rencontré le diable, le film s’inscrit en effet dans la continuité stylistique sobre et intimiste des oeuvres de Lee Chang-Dong.


Il y a cependant un écho évident de la violence extrême présente dans le pan le plus connu du cinéma coréen, chez July Jung comme chez Lee Chang-Dong avant elle.  Poetry racontait comment une femme composait avec l’horreur du suicide d’une adolescente que son petit-fils avait régulièrement violé avec ses amis. Dans A Girl at My Door, la violence ordinaire et quotidienne à laquelle est soumise Dohee ne manque pas de cruauté. Victime résignée, la jeune fille reste impassible, qu’elle se fasse éclabousser par une voiture ou frapper par ses camarades. Le film s’oriente alors d’abord vers un récit avec lequel le spectateur est immédiatement en apathie, celui du sauvetage d’une enfant maltraitée par une héroïne révoltée à juste titre.


Cependant plutôt que de se limiter au cadre de ce scénario efficace mais un peu évident,  July Jung déjoue les attentes du spectateur pour faire une proposition plus retorse et intrigante.  Dès les scènes d’exposition, elle nous avait trompé en nous présentant d’abord le père et la grand-mère de Dohee sous un jour grotesque et comique, pour que l’on découvre assez vite leur face sombre au travers des punitions qu’ils infligent à la jeune fille. Alors que nous sommes prêts à soutenir le combat de Young-Nam contre ces deux figures terrifiantes, elle nous apparait bientôt comme beaucoup plus instable, alcoolique et porteuse d’un lourd secret. Dans le décor d’une campagne découverte de jour au son d’une guitare légère ou offrant le tableau paisible d’une plage au clair de lune se joue un drame torturé où les non-dits et tabous sèment le trouble dans les relations entre les personnages. Fonctionnant sur un principe de faux semblants, A Girl at My Door déroute jusqu’à une dernière partie dont la noirceur réaliste provoque un véritable malaise.


Le premier film de July Jung aurait probablement gagné à être plus ramassé. L’intrigue peine par moments à avancer et fonctionne sur un schéma un peu répétitif, avec une succession de séparations et de retrouvailles de Young-Nam et Dohee. Certains aspects  sociaux du métrage, comme l’exploitation de travailleurs immigrés, restent un peu fonctionnels dans le scénario et auraient mérité quant à eux plus de développement. Néanmoins ces quelques défauts de structure sont assez mineurs comparés à la belle intensité de jeu du casting. A travers un jeu précis tout en retenue, Doona Bae  incarne  une héroïne qui conservera sa part d’hermétisme et de secrets jusqu’au bout. Dans un registre opposé, Song Sae-Byeok est inquiétant en père alcoolique instable et imprévisible. Et la jeune Kim Sae-Ron est impressionnante de maturité dans un rôle difficile, à cause du caractère ambivalent de son personnage mais surtout des zones dérangeantes explorées par July Jung.

Interstellar : repousser les frontières du "blockbuster"

4 / 5

Christopher Nolan en a fait du chemin depuis son premier long métrage The Following, tourné il y a 15 ans avec un budget de 6000 dollars. Il y aura d’abord eu en 2000 le thriller Memento, œuvre culte à la construction narrative géniale. Et puis de façon inattendue Nolan s’est retrouvé aux manettes du « relaunch » d’une franchise Batman laissée pour morte après le consternant Batman et Robin. Succès colossal, The Dark Knight a conquis un large public qui s’est rendu compte que les « comic books » n’étaient pas réservés qu’aux adolescents attardés. Pour ma part, je reste quelque peu circonspect quant à l’enthousiasme sans bornes qu’a parfois suscité cette saga qui n’est ni plus ni moins qu’une bonne transposition au cinéma d’un univers posé ailleurs. Je n’hésiterai par contre pas à employer le terme de chef d’oeuvre pour Inception, blockbuster dont l’ambition et la maîtrise m’avaient tout simplement soufflé. La dernière heure du film reste une des expériences cinématographiques les plus mémorables de ma vie de cinéphile. Mon niveau d’attente pour Interstellar était alors proportionnel à mon admiration pour Inception. Sans faire durer le suspens plus longtemps, reconnaissons que cette odyssée interstellaire est une réussite mais n’est pas aussi emballante que la plongée de Christopher Nolan dans l’inconscient.


Interstellar a en commun avec Inception d’être un film qui se mérite. Dans le cas du dernier, on nageait en pleine confusion en rejoignant en plein milieu d’une de leurs opérations des héros qui en savaient plus long que nous et il fallait une période d’acclimatation avant de rattraper ce retard. Le démarrage un peu hésitant d’ Interstellar tient quant à lui au développement d’un drame familial spielbergien (le cinéatse était d’ailleurs à l’origine du projet qu’il devait réaliser). Sans être mauvaise, cette première partie manque de réelle originalité. Si Inception résolvait ce problème de compréhension en expliquant au fur et à mesure les règles du procédé au cœur de l’action du film, Interstellar traine tout du long l’écueil d’une partie du récit sur terre moins inspirée que ce qui se déroule du côté des étoiles. Un montage parallèle illustre bien ce problème : d’un côté l’enjeu est la survie, de l’autre il s’agit de la résolution un peu statique du mystère que renferme une chambre. La multiplication de personnages secondaires inutiles et sans relief dans la partie terrestre (Topher Grace, Casey Afleck) laisse une impression désagréable de cache-misère.


Mieux vaut donc se tourner vers l’immensité de l’espace, et de ce côté Interstellar remplit largement son contrat de spectaculaire. A condition évidemment de ne pas s’attendre à un nouveau 2001 l’odyssée de l’espace. Le film de Kubrick a révolutionné la science-fiction et a marqué durablement l’imaginaire, de la terrifiante intelligence artificielle HAL à son mystérieux monolithe central et à son trip cosmique final. 40 ans plus tard, 2001 reste une œuvre d’avant-garde stupéfiante à laquelle on se réfère à ses risques et périls. L’année dernière Gravity se détachait habilement de ce modèle de la conquête spatiale en proposant un récit tendu d’action « survival ». Interstellar choisit pour s’affranchir l’émotion, très en retrait dans le film de Kubrick et l’ensemble de son œuvre. La musique de Hans Zimmer à l’intensité crescendo (on pense à du Philip Glass) accompagne ainsi Cooper de sa séparation déchirante avec sa fille  Murphy jusqu’à  son envol assourdissant vers l’inconnu. Parmi la bande d’explorateurs, la tension dramatique tient à un conflit efficace entre l’accomplissement de leur mission guidée par les données scientifiques, et leurs émotions.


Pareils à leurs héros, les frères Nolan explorent les genres, du film catastrophe au film d’aventure, du drame intime au thriller, proposant une épopée cinématographique de 3 heures qu’on ne voit pas passer. Il y a dans Interstellar une profusion de concepts passionants, richesse mais aussi un peu limite du film. Les frères Nolan favorisent évidemment des pistes narratives à d’autres, mais le manque de développement de certaines situations créent un sentiment de frustration. Aux conflits familiaux déjà vus bien mieux traités ailleurs, on aurait ainsi préféré voir davantage les conséquences de l’écoulement relatif du temps un peu expédiées, SPOILER notamment lors des retrouvailles finales de Cooper avec sa fille devenue deux fois plus âgée que lui FIN DU SPOILER. Autre aspect frustrant de la densité thématique du film, les acteurs sont tous convaincants mais ont peu d’espace pour briller, Matthew McConaughey en premier lieu bien loin de ses dernières prestations remarquables dans Mud, Dallas Buyers Club ou la série True Detective.

Tandis qu’Inception proposait un mélange inédit au cinéma de science-fiction et de film d’espionnage, le dernier métrage de Christopher Nolan n’apporte pas grand chose de neuf pour qui a vu 2001 l’odysssée de l’espace, Solaris ou Gravity, si ce n’est le dialogue avec une intrigue terrestre hélas trop classique pour suciter un réel enthousiasme. Mais qu’on ne s’y trompe pas, malgré ses défauts, Interstellar est un des meilleurs films de cette année, ne serait-ce que par sa forme époustouflante. Christopher Nolan reste un des orfèvres les plus précieux du cinéma américain, et on ne saurait trop recommander sa dernière œuvre à tous ceux en recherche d’émotions fortes dans les salles obscures.