3,5 / 5
On a
beaucoup parlé du cinéma coréen depuis les années 2000, rarement de l’absence
de femmes cinéastes au pays du matin calme. July Jung remédie à cette situation
avec son premier film A Girl at My Door présenté
cette année à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». On
retrouve à la production du long métrage l’habitué de la Croisette Lee
Chang-Dong. Le réalisateur avait eu l’occasion de siéger parmi les membres du
jury en 2009 sous la présidence de Isabelle
Huppert. Mais surtout ses films Secret
Sunshine et Poetry y avaient reçus
les honneurs, le prix d’interprétation féminine pour le premier et celui du
scénario pour le second. Avec A Girl at
My Door, c’est un peu un passage de flambeau qui semble s’opérer entre ce parrain à la renommée internationale
et July Jung. Loin de l’image violente et baroque du cinéma coréen, dont les
représentants sont Park Chan-Wok et sa
trilogie de la vengeance ou des polars oppressants tels que J’ai rencontré le diable, le film s’inscrit
en effet dans la continuité stylistique sobre et intimiste des oeuvres de Lee
Chang-Dong.
Il y
a cependant un écho évident de la violence extrême présente dans le pan le plus
connu du cinéma coréen, chez July Jung comme chez Lee Chang-Dong avant
elle. Poetry racontait comment une femme composait avec l’horreur du
suicide d’une adolescente que son petit-fils avait régulièrement violé avec ses
amis. Dans A Girl at My Door, la
violence ordinaire et quotidienne à laquelle est soumise Dohee ne manque pas de
cruauté. Victime résignée, la jeune fille reste impassible, qu’elle se fasse
éclabousser par une voiture ou frapper par ses camarades. Le film s’oriente
alors d’abord vers un récit avec lequel le spectateur est immédiatement en
apathie, celui du sauvetage d’une enfant maltraitée par une héroïne révoltée à
juste titre.
Cependant
plutôt que de se limiter au cadre de ce scénario efficace mais un peu
évident, July Jung déjoue les attentes
du spectateur pour faire une proposition plus retorse et intrigante. Dès les scènes d’exposition, elle nous avait
trompé en nous présentant d’abord le père et la grand-mère de Dohee sous un
jour grotesque et comique, pour que l’on découvre assez vite leur face sombre
au travers des punitions qu’ils infligent à la jeune fille. Alors que nous
sommes prêts à soutenir le combat de Young-Nam contre ces deux figures
terrifiantes, elle nous apparait bientôt comme beaucoup plus instable,
alcoolique et porteuse d’un lourd secret. Dans le décor d’une campagne
découverte de jour au son d’une guitare légère ou offrant le tableau paisible d’une
plage au clair de lune se joue un drame torturé où les non-dits et tabous
sèment le trouble dans les relations entre les personnages. Fonctionnant sur un
principe de faux semblants, A Girl at My
Door déroute jusqu’à une dernière partie dont la noirceur réaliste provoque
un véritable malaise.
Le
premier film de July Jung aurait probablement gagné à être plus ramassé.
L’intrigue peine par moments à avancer et fonctionne sur un schéma un peu
répétitif, avec une succession de séparations et de retrouvailles de Young-Nam
et Dohee. Certains aspects sociaux du
métrage, comme l’exploitation de travailleurs immigrés, restent un peu
fonctionnels dans le scénario et auraient mérité quant à eux plus de
développement. Néanmoins ces quelques défauts de structure sont assez mineurs
comparés à la belle intensité de jeu du casting. A travers un jeu précis tout
en retenue, Doona Bae incarne une héroïne qui conservera sa part
d’hermétisme et de secrets jusqu’au bout. Dans un registre opposé, Song
Sae-Byeok est inquiétant en père alcoolique instable et imprévisible. Et la
jeune Kim Sae-Ron est impressionnante de maturité dans un rôle difficile, à
cause du caractère ambivalent de son personnage mais surtout des zones
dérangeantes explorées par July Jung.
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