14/11/2014

A Girl at My Door : trouble féminin dans le cinéma coréen

3,5 / 5

On a beaucoup parlé du cinéma coréen depuis les années 2000, rarement de l’absence de femmes cinéastes au pays du matin calme. July Jung remédie à cette situation avec son premier film A Girl at My Door présenté cette année à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». On retrouve à la production du long métrage l’habitué de la Croisette Lee Chang-Dong. Le réalisateur avait eu l’occasion de siéger parmi les membres du jury  en 2009 sous la présidence de Isabelle Huppert. Mais surtout ses films Secret Sunshine et Poetry y avaient reçus les honneurs, le prix d’interprétation féminine pour le premier et celui du scénario pour le second. Avec A Girl at My Door, c’est un peu un passage de flambeau qui semble s’opérer entre ce parrain à la renommée internationale et July Jung. Loin de l’image violente et baroque du cinéma coréen, dont les représentants sont Park Chan-Wok  et sa trilogie de la vengeance ou des polars oppressants tels que J’ai rencontré le diable, le film s’inscrit en effet dans la continuité stylistique sobre et intimiste des oeuvres de Lee Chang-Dong.


Il y a cependant un écho évident de la violence extrême présente dans le pan le plus connu du cinéma coréen, chez July Jung comme chez Lee Chang-Dong avant elle.  Poetry racontait comment une femme composait avec l’horreur du suicide d’une adolescente que son petit-fils avait régulièrement violé avec ses amis. Dans A Girl at My Door, la violence ordinaire et quotidienne à laquelle est soumise Dohee ne manque pas de cruauté. Victime résignée, la jeune fille reste impassible, qu’elle se fasse éclabousser par une voiture ou frapper par ses camarades. Le film s’oriente alors d’abord vers un récit avec lequel le spectateur est immédiatement en apathie, celui du sauvetage d’une enfant maltraitée par une héroïne révoltée à juste titre.


Cependant plutôt que de se limiter au cadre de ce scénario efficace mais un peu évident,  July Jung déjoue les attentes du spectateur pour faire une proposition plus retorse et intrigante.  Dès les scènes d’exposition, elle nous avait trompé en nous présentant d’abord le père et la grand-mère de Dohee sous un jour grotesque et comique, pour que l’on découvre assez vite leur face sombre au travers des punitions qu’ils infligent à la jeune fille. Alors que nous sommes prêts à soutenir le combat de Young-Nam contre ces deux figures terrifiantes, elle nous apparait bientôt comme beaucoup plus instable, alcoolique et porteuse d’un lourd secret. Dans le décor d’une campagne découverte de jour au son d’une guitare légère ou offrant le tableau paisible d’une plage au clair de lune se joue un drame torturé où les non-dits et tabous sèment le trouble dans les relations entre les personnages. Fonctionnant sur un principe de faux semblants, A Girl at My Door déroute jusqu’à une dernière partie dont la noirceur réaliste provoque un véritable malaise.


Le premier film de July Jung aurait probablement gagné à être plus ramassé. L’intrigue peine par moments à avancer et fonctionne sur un schéma un peu répétitif, avec une succession de séparations et de retrouvailles de Young-Nam et Dohee. Certains aspects  sociaux du métrage, comme l’exploitation de travailleurs immigrés, restent un peu fonctionnels dans le scénario et auraient mérité quant à eux plus de développement. Néanmoins ces quelques défauts de structure sont assez mineurs comparés à la belle intensité de jeu du casting. A travers un jeu précis tout en retenue, Doona Bae  incarne  une héroïne qui conservera sa part d’hermétisme et de secrets jusqu’au bout. Dans un registre opposé, Song Sae-Byeok est inquiétant en père alcoolique instable et imprévisible. Et la jeune Kim Sae-Ron est impressionnante de maturité dans un rôle difficile, à cause du caractère ambivalent de son personnage mais surtout des zones dérangeantes explorées par July Jung.

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