30/04/2012

Avé / Querelles : sur la route, loin des blockbusters


 Avé
: 3,5 / 5

Querelles :  2,5 / 5

Aux antipodes du méga blockbuster The Avengers, mercredi dernier sont aussi sortis deux premiers longs métrages, deux road movies : Avé du bulgare Konstantin Bojanov et Querelles de l'iranien Mortera Farshbaf. Le premier film suit deux adolescents qui parcourent la Bulgarie en auto-stop tandis que le second relate le trajet en voiture d'un couple et de leur neveu en direction de Téhéran après l'annonce d'un accident grave dont les parents de l'enfant ont été victimes. Avec lequel de ces deux groupes prendre la route ?


Dès les premières minutes, les films opèrent des choix de mise en scène bien distincts. Après un plan d'ensemble sur la ville de Sofia, Avé se positionne rapidement au côté de son héros masculin Kamen, avec une esthétique simple et réaliste : le choix récurrent de plans-séquences tient alors à l'intention de Boujanov de permettre au spectateur de « se concentrer sur l'action et les émotions, sans se laisser distraire par les mouvements d'appareils inutiles » (propos du réalisateur tirés d'un entretien réalisé pour le dossier de presse du film). 
 

Là où Avé privilégie plutôt le récit et ses personnages, Querelles fait preuve d'une recherche formelle plus prononcée. Ce parti pris est évident dans l'obscurité qui ouvre le film et met l'accent sur une dispute que l'on entend hors-champ avant que les phares d'une voiture découvrent l'enfant éveillé qui a tout entendu. Par contraste, la deuxième séquence est une succession de plans muets sur des paysages de jour traversés par une voiture, avec des dialogues qui apparaissent en sous-titres. Par ce passage insolite, le réalisateur prépare à la découverte d'un couple de sourds-muets à l'intérieur du véhicule. L'originalité du film tient alors à la construction d'une tension dramatique dans des plans fixes où le couple se dispute au premier plan au sujet de l'avenir de l'enfant, peut-être orphelin, installé à l'arrière de la voiture, tout en tentant de lui dissimuler leurs tourments. 


Le choix d'une forme visuelle (longs plans fixes) et sonore (silence des sourds-muets) en contraste avec les thèmes violents de l'intrigue de Querelles est intéressante, mais relève malheureusement un peu trop souvent du procédé, comme le cinéma d'Abbas Kiarostami dont Farshbaf est le disciple. Film assez exigeant et peu narratif, Querelles prend le risque de laisser son spectateur sur le bas-côté, et sa conclusion indécise risque d'en dérouter plus d'un. Le spectateur patient aura tout de même droit à quelques beaux moments de cinéma, comme ce plan où le groupe devient flou, filmé à travers un pare-brise sur lequel tombe une pluie abondante, ou ces confessions déchirantes qui laissent place à l'obscurité de tunnels : Farshbaf trouve alors la forme idéale pour faire ressentir l'isolement et le profond désarroi des personnages de Querelles face à une crise intime qui peut être perçue comme métaphore de l'impasse politique dans laquelle se trouve l'Iran (le remerciement final adressé au cinéaste emprisonné Jafar Panahi tend à confirmer cette hypothèse). 


Sans être d'un optimisme renversant, Avé est une œuvre beaucoup plus chaleureuse, moins repliée sur elle-même. Le métrage de Bojanov est ouvert à une galerie de personnages variés que le couple de héros vagabonds croise sur sa route, qu'il s'agisse d'un camionneur lubrique, d'un automobiliste violent ou d'une famille endeuillée pittoresque. Mais le film raconte avant tout une belle rencontre, celle entre la jeune fille qui lui donne son titre et Kamen. Avé, personnage romanesque, ne cesse d'inventer des fictions, faisant passer son compagnon de route pour son frère ou son amant, usurpant l'identité d'une autre. Elle semble insouciante, vole des lunettes de soleil pour se donner des airs de star et affiche un sourire charmeur : Anjela Nedyalkova lui donne une énergie et une grâce juvéniles qui portent le film , et contrastent à merveille avec le jeu agressif de son partenaire Ovanes Torosyan. Avec ce duo de personnages attachants, le film livre un double portrait intimiste touchant : la découverte progressive du désespoir dissimulé par Avé et la lente et belle évolution des principes de Kamen (il défend d'abord une honnêteté brutale à l'opposé de l'attitude de la jeune fille avant de finalement rentrer dans le jeu du mensonge) sont les sources d' une émotion qui manque un peu à Querelles.

En bref : Avé est un road movie touchant aux personnages attachants, tandis que Querelles est plus exigeant, réservé aux amateurs du cinéma d'Antonioni ou de Kiarostami.

26/04/2012

The Avengers : un "blockbuster" à la hauteur de son "buzz"


The Avengers
: 4 / 5


Fans de super-héros et de films à grand spectacle, rassemblement ! The Avengers de Joss Whedon est enfin arrivé et est miraculeusement à la hauteur du « buzz » qui l'entoure depuis plusieurs années. A l'origine, une simple séquence après le générique de fin d' Iron man, annonçant le projet « Avengers » de la bouche de Nick Fury (Samuel L. Jackson, alias Mister Cool), avait fait saliver tous les connaisseurs de Marvel Comics. 

Entre temps, suite au ratage d'un Iron Man 2 pourtant prometteur et à une série de divertissements honnêtes mais pas exceptionnels, les attentes avaient été un peu revues à la baisse. C'était compter sans Joss Whedon, créateur de séries cultes (Buffy contre les vampires, Firefly) et scénariste de l'acclamée Astonishing X-men pour Marvel Comics. Aux manettes de ce « blockbuster », le réalisateur semble réaliser un rêve d'enfant / adolescent avec un enthousiasme communicatif.


En se passant de préambules superflus, The Avengers plonge immédiatement le spectateur dans le vif du sujet. Que ceux qui n'ont pas vu les épisodes précédents se rassurent, ils peuvent prendre le train en marche facilement, l'argument étant assez simple : l'intrigue tourne autour d'une source d'énergie illimitée dérobée dès la première séquence par le félon Loki qui était déjà l'antagoniste principal dans Thor. S'ensuivent un affrontement et une course-poursuite qui donnent le ton d'un film qui se déroule à un rythme ébouriffant sans jamais regarder en arrière.

Mais The Avengers n'est pas dépourvu pour autant d'une certaine finesse dans sa construction. Ainsi, plutôt que de présenter immédiatement son équipe super-héroïque réunie au grand complet, Whedon s'intéresse d'abord aux personnages un à un, chacun ayant sa scène pour briller . Cette structure joue en la faveur de la Veuve noire, personnage effacé et peu convaincant de Iron man 2 : en une scène de combat virtuose et une autre de grand bluff face à Bruce Banner (sous sa forme humaine), Scarlett Johansson parvient à imposer une héroïne sexy et redoutable. Ailleurs, une scène résume efficacement ce qu'il faut savoir sur Captain America en quelques flashes souvenirs, tandis qu'une autre brillamment dialoguée entre Tony Stark, Pepper Potts et l'agent Coulson renoue avec la fraîcheur du premier Iron man. Whedon retarde intelligemment l'entrée en scène des deux membres de l'équipe les plus impressionnants, j'ai nommé Thor et l'alter-ego de Banner, avec un sens du « timing » imparable pour ce qui relève du spectaculaire.


Car si ces préliminaires sont réussis, la réelle force de The Avengers est de proposer un spectacle gigantesque riche en moments extatiques. Les face-à-face entre héros charismatiques et individualistes sont jouissifs, qu'il s'agisse d'affrontements physiques ou de joutes verbales ; et la façon dont Whedon repousse les limites des scènes d'action en privilégiant l'espace aérien est tout simplement vertigineuse. Dans le dernier mouvement du film, le spectateur a droit à une bataille épique à couper le souffle, où le réalisateur organise de main de maître l'action sur différents fronts. Il multiplie alors le plaisir du spectacle tout en gardant à l'esprit une vue d'ensemble illustrée par un plan-séquence magistral qui réunit les différents héros aux quatre coins de New York. Au service de l'imagination visuelle débridée de Whedon, les effets spéciaux sont éblouissants.

Pour résumer, The Avengers s'impose pour l'instant comme le divertissement « fun » de l'année. Il reviendra à The Amazing Spider-Man de le surpasser, plutôt qu'à The dark knight rises qui s'annonce résolument plus sombre ; mais l'objectif sera dur à atteindre pour le film de Marc Webb, tant il est difficile de trouver le moindre défaut dans le métrage de Whedon. Tout au plus sera-t-on frustré de ne pas voir davantage certains héros (notamment Thor ou Œil de faucon, un peu en reste), mais ce désir d'en avoir plus témoigne aussi du plaisir pris devant ce film d'une qualité exceptionnelle.

En bref : à ne pas manquer

23/04/2012

Twixt : entre "Twin Peaks" et "Sin city"


Twixt
:
2,5 / 5


Afin d'aborder le dernier Coppola, revenons à son titre dont le sens échappe aux anglophones les moins avertis : « twixt » est une forme ancienne de « between », soit « entre ». Et force est de constater que ce titre convient parfaitement à une œuvre qui se situe dans un espace intermédiaire et mêle le réel au rêve et à la fiction (au niveau de sa narration mais aussi de sa conception). On peut aussi se montrer plus sévère et considérer que le cinéaste se cherche dans un entre-deux, pour un résultat finalement peu probant. Ni nanar ni chef d’œuvre, Twixt est un film pas mauvais, sans plus.



Dans la lignée de ses deux précédents films, Coppola a choisi d’auto-produire Twixt hors du système hollywoodien, en choisissant lui-même ses collaborateurs : il en profite pour associer une nouvelle fois sa famille à son travail, en confiant à sa petite-fille le tournage du « making of ». Mais avec ce mode de production le réalisateur entend surtout trouver la liberté nécessaire à des films très personnels.

Le héros, Hall Baltimore (Val Kilmer), est ainsi un écrivain d'horreur sur le retour, miroir de Coppola qui confie dans un entretien accordé aux Cahiers du cinéma «  J'ai toujours eu le sentiment que, du point de vue de ma carrière, j'étais sur le déclin ». L'auteur va même chercher dans ses blessures les plus intimes, évoquant par le biais de la fiction, 25 ans plus tard, la mort prématurée de son fils Giao. Malgré tout le respect que l'on doit à cet exercice sincère d'auto-analyse, il aboutit à un film qui a du mal à susciter la moindre émotion, la faute en partie à un style et des afféteries visuelles qui créent une distance, mais surtout à un manque de profondeur des personnages : Hall Baltimore peine à être autre chose qu'un antihéros bouffon et bouffi, médiocre et peu attachant.


Mais si Twixt ne parvient pas à émouvoir, son réel problème est de ne pas se servir de son cadre de production indépendant pour faire une proposition réellement originale. Le noir et blanc bleuté des scènes de rêves ponctué de touches de couleur est sublime mais, mis à part un travail sur les luminosités (le halo qui entoure une jeune fille morte, le contraste d’une lampe à la lumière jaune), amène peu de nouveautés par rapport à l’esthétique de Sin city. Twixt retrouve même finalement l’ambiance glaçante du film de Robert Rodriguez et Frank Miller dans le récit de la mort tragique d’un groupe d’enfants.

L’ombre qui plane encore davantage sur le dernier film de Coppola est cependant celle de Twin peaks, et la comparaison joue évidemment en défaveur de Twixt. On retrouve d’abord l’humour noir de l'œuvre de David Lynch lors des scènes se déroulant dans le bureau du shérif ; l’influence devient flagrante dans celle où une femme joue un air folk tandis que son mari entame une danse inquiétante dans un décor de rideaux et tapis rouges, ou dans l’envol angélique d’une jeune fille qui évoque le final de Twin Peaks : fire walks with me ; enfin, comme autrefois pour l’agent du FBI Dale Cooper, l’inspiration vient pour Hall Baltimore de scènes rêvées. Coppola prend un plaisir évident à jouer avec les codes du film de genre horrifique, mais le résultat final paraît bien timide comparé aux libertés narratives que prenaient David Lynch et Mark Frost.


En choisissant l'angle de la carrière de Coppola, quelle place accorder à Twixt ? La comparaison avec les mythiques Parrain ou Apocalypse now n'a pas vraiment lieu d'être car le film s'inscrit dans une lignée plus expérimentale et personnelle de l'œuvre de son auteur. On pourra par contre trouver son dernier opus décevant au regard des propositions formelles encore stimulantes aujourd'hui que sont Coup de cœur ou Rusty James.

En bref : pour les amateurs de série B et ceux qui n'ont pas vu Twin Peaks

19/04/2012

I wish - nos voeux secrets : comment allier légèreté et profondeur humaniste

I Wish - Nos voeux secrets : 4 / 5

Présenté en 2004 au festival de Cannes, Nobody Knows du japonais Hirokazu Kore-Eda avait créé l'événement : pour cette histoire d'enfants livrés à eux-mêmes après le départ de leur mère, Yuya Yagira, alors âgé de 14 ans, avait été le plus jeune acteur de l'histoire du festival à remporter le prix d'interprétation masculine. I wish – nos vœux secrets constitue un retour du réalisateur au monde de l'enfance, mais sur un mode beaucoup moins dramatique. Il serait néanmoins erroné d'en déduire que le film manque pour autant de profondeur. 


Dès les premières minutes de I wish, le spectateur est plongé dans une ambiance qui a la familiarité du quotidien : le jeune Koichi se rend à l'école après avoir déjeuné avec sa mère et sa grand-mère qui s'exerce à un langage de signes insolite ; en chemin, il s'étonne avec gravité de la présence d'un volcan encore en activité au-dessus de la ville où il habite ; alors qu'il se plaint de la situation de l'école en haut d'une colline, ses camarades lui reprochent son mécontentement incessant avant de rester béats d'admiration au passage de la jeune bibliothécaire qui fait la même remarque que Koichi. Par de telles petites touches souvent humoristiques, Kore-Eda crée une atmosphère chaleureuse rehaussée par une bande-son pop entraînante.

Une thématique qui prête peu à sourire ne tarde toutefois pas à être mise en lumière, celle de l'éclatement de la cellule familiale : Koichi est séparé de son frère Ryunosuke qui vit avec son père à l'autre bout de l'île. Plus largement, c'est un certain désœuvrement de la génération des parents de Koichi et Ryunosuke qui est pointé : un père joue tout son argent, une mère frustrée gère un restaurant alors qu'elle voulait être actrice et décourage sa fille de poursuivre le même rêve de jeunesse. 


La bonne idée de Kore-Eda est de contourner l'aspect dramatique de cette situation en passant par un décalage comique, les enfants devant se comporter en adultes pour pallier l'irresponsabilité de leurs parents. Cette inversion est évidente dans la relation entre Ryunosuke et son père, mais aussi dans la scène où sa mère éclate en sanglots au téléphone après une soirée arrosée entre anciens camarades de classe.

Derrière l'apparente légèreté, la gravité n'est pourtant jamais loin : elle peut se lire sur le visage sérieux et fermé de Koichi. Au moment où les enfants sont pris dans une course folle et euphorique pour faire des vœux qui changeront leur quotidien, une famille réunie aperçue sur un quai de gare crée une pause poignante, où le jeune héros contemple le bonheur perdu qu'il s'efforce de retrouver.


Kore-Eda parvient à renouer avec l'univers de l'enfance à merveille, réussissant à canaliser l'énergie brute et naturelle de ses jeunes acteurs. En tant que chronique pré-adolescente, I wish est d'une finesse et d'une intelligence remarquables, mais c'est son final qui en fait un film essentiel. Sans trop en dévoiler, disons que le réalisateur se sert de son récit proche de la fable pour nous livrer sa vision généreuse du monde : résumer la beauté fragile et précieuse du quotidien qui nous entoure dans une séquence d'une simplicité confondante, voilà le vœu réalisé par ce « feel good movie ».

En bref : à ne pas manquer

17/04/2012

L'amour et rien d'autre : des acteurs formidables pour un film banal

L'amour et rien d'autre : 3 / 5

L'amour et rien d'autre, premier long métrage de l'allemand Jan Schomburg, sort ce mercredi avec la promesse de révéler définitivement son actrice principale Sandra Hüller déjà récompensée de l'ours d'argent en 2006 pour Requiem de Hans-Christian Schmidt. Si sa prestation est ici remarquable et mérite tous les éloges, le film de Schomburg ne parvient malheureusement pas à être aussi enthousiasmant, malgré de bonnes intentions.


Martha (Sandra Hüller) est une jeune femme épanouie dans son couple avec son mari Paul. L'avenir s'annonce radieux et ensoleillé lorsque le jeune homme obtient un poste de professeur à Marseille. Paul semble un peu anxieux à la veille de ce changement de vie, mais Martha le rassure et le laisse partir seul pour préparer leur installation en France. Alors qu'elle s' inquiète de ne pas avoir de ses nouvelles, la jeune femme voit débarquer chez elle deux policiers...


Toute cette introduction décrit avec justesse l'intimité d'un couple mais c'est dans la partie intermédiaire suivante que le film se montre le plus intéressant, alors que Martha doit faire le deuil d'un compagnon dont elle se rend compte qu'il était un imposteur. L'incompréhension dans laquelle se trouve la veuve permet d'éviter les situations clichés et on est soulagés de ne pas se retrouver face à une série de scènes lacrymales : Sandra Hüller incarne alors à merveille un détachement émotionnel ambigu, entre refus de sombrer dans la douleur et impossibilité de faire le deuil d'un inconnu. 

Avec l'arrivée dans un troisième temps d'Alexander (Georg Friedrich), professeur à l'université où Paul prétendait étudier, le film inverse les rôles : Martha se lance dans une nouvelle relation avec lui tout en lui cachant son passé. L'intérêt du film tient alors beaucoup à l'alchimie entre Hüller et Friedrich qui arrivent à transcender le récit un peu banal des premiers temps d'un couple.


On ressent certes la beauté fragile des moments de bonheur partagé sur lesquels plane l'ombre de la relation passée de Martha présente par le biais d'échos multiples, mais un certain manque de réelles surprises dans l'évolution du couple pose problème. Si cette deuxième partie s'avère plus laborieuse, c'est aussi que l'on suit le personnage d'Alexander qui n'a pas la richesse de celui de Martha. La conclusion du film apparait quant à elle peu satisfaisante car un peu expéditive.

En résumé, le reproche que l'on pourrait faire à L'amour et rien d'autre est d'abandonner son point de vue singulier pour tomber dans un récit conventionnel. Les qualités indéniables du film, ses acteurs formidables aussi bien que son esthétique soignée et sa réelle sensibilité, ne suffisent alors pas à lui permettre de marquer durablement.

En bref : pour les amateurs de cinéma intimiste.

06/04/2012

Colonel Blimp : un idéal de beauté


Colonel Blimp
:
5 / 5

La ressortie événement de Titanic éclipse évidemment la reprise plus confidentielle (7 copies contre 357 pour le film de Cameron) d’un autre film imposant par la durée (2 H 45 tout de même !), j’ai nommé Colonel Blimp de Michael Powell et Emeric Pressburger. Si le nom de ces auteurs ne parlera qu’aux cinéphiles les plus aguerris, il est important de revenir sur une œuvre magistrale encensée notamment par Martin Scorsese, qui a participé à sa restauration.


Dans les années 40, les britanniques Powell et Pressburger ont été les co-auteurs au sein de leur société de production « The Archers » d’une série de films remarquables, avec comme point culminant de leur renommée Les chaussons rouges (1948), film sur l’univers de la danse et influence évidente de Black swan. Dans le manifeste artistique rédigé pour leur société, Pressburger énonce leur souci d’« avoir toujours un an en avance sur [leurs] concurrents, mais aussi sur le présent », en rapport avec la durée qui sépare une idée de sa matérialisation sur les écrans à la sortie du film. La longueur d’avance de leur cinéma donne un sentiment de modernité, voire d’avant-gardisme. Que l’on considère l’utilisation du technicolor dans leur film, la stupéfiante beauté des couleurs vives et surréalistes obtenues : au niveau esthétique, le cinéma n’a toujours pas rattrapé les deux compères, soutenus par le génial chef opérateur Jack Cardiff de 1946 à 1948.


A la sortie de Colonel Blimp en 1943 le duo n'en est qu'à son premier essai avec la couleur, mais on perçoit déjà une compréhension aiguë des possibilités expressives du technicolor. Entre les tons sombres et crépusculaires des champs de bataille désolés, les couleurs chatoyantes lors du retour au pays qui suit ou les teintes automnales qui accompagnent un héros vieillissant, Powell et Pressburger créent des ambiances contrastées et nuancées qui servent au mieux un récit ample et riche.

A quoi tient l'ampleur de Colonel Blimp ? Pas tant à un sens du spectaculaire malgré la promesse portée par son résumé, à savoir la vie d'un militaire britannique, Clive Wynne Candy, liée à trois conflits du début du XXème siècle ( la guerre des Boers en Afrique du Sud et les deux guerres mondiales). Le film ne contient ainsi aucune scène de bataille épique et lorsqu'un duel se profile le spectateur assiste à sa préparation mais est frustré de son spectacle. Ce sens de l'évitement, plus qu'à un manque de moyens, tient à une volonté de privilégier l'intime au grandiose. Et Colonel Blimp gagne son pari haut la main en réussissant à capter rien de moins que l'essence de la vie à travers l'évolution de son héros et des personnages qui l'entourent. 

 
Si Powell et Pressburger reprennent un personnage créé à l'origine comme une incarnation satirique de l'« establishment » anglais par le caricaturiste David Low, Wynne Candy bénéficie d'une toute autre profondeur que le dessin qui l'a inspiré. D'abord jeune, téméraire et inconscient des codes qui régulent la société, il devient le symbole touchant d'un code d'honneur anachronique. Suivant sa trajectoire, le film est dans un premier temps d'une légèreté brillante proche de Lubitsch avant de se faire plus grave, traitant le deuil impossible d'un amour idéalisé et laissant planer une ombre funeste. Formellement, on trouve à un bout du film les échanges vifs et le ballet qu'organise une mise en scène virtuose dans un restaurant bondé, et à l'autre le monologue poignant d'un exilé allemand filmé dans un gros plan ininterrompu. La force exceptionnelle du film est d'être aussi efficace et mémorable dans un registre que dans l'autre.


A ceux qui hésiteraient encore à profiter de la ressortie de Colonel Blimp, on peut avancer trois derniers arguments de taille : Roger Livesey, Anton Walbrook et Deborah Kerr. Le premier, interprète du rôle titre, livre une performance d'une finesse remarquable, aussi parfait en jeune impétueux qu'en vieil homme entêté et nostalgique, aidé par un maquillage qui n'a rien à envier aux transformations vues récemment dans quantité de « biopics » . Le second est un sérieux prétendant au titre de meilleur acteur de tous les temps pour la scène déjà citée de témoignage vibrant. La dernière incarne un idéal féminin immuable filmé avec toute la passion d'un Michael Powell amoureux. Colonel Blimp est pareil à cet idéal, lumineux et intemporel.

04/04/2012

Le policier : l'ennemi en question


 Le policier : 4 / 5

Les spectateurs qui vont voir Le policier en s’attendant à voir un polar israélien risquent de se sentir floués sur la marchandise.  Autrement plus complexe et ambitieux, le premier film de Nadav Lapid est une parabole fascinante sur les tensions sociales en Israël qui se sont cristallisées l’été dernier dans des manifestations sans précédent. 


Un groupe de cyclistes roule sur une route, duquel se dégage bientôt un homme qui s’avance au premier plan, le visage plein cadre. Membre d’un groupe de policiers d’élite, Yaron ( Yiftach Klein) a le physique du héros idéal, parangon de la virilité. Sauf qu’au fur et à mesure que l’on rentre dans l’intimité de ce personnage qui nous sert de guide, il nous apparaît de moins en moins sympathique : il profite de l’absence de sa femme enceinte à une fête pour contempler des corps féminins bronzant au soleil, ou se montre insensible lorsqu’il se dévoue pour annoncer à un ami malade qu’il servira de bouc émissaire pour une bavure.

Mais dans une rupture narrative le film nous propose  une alternative à ce corps policier, un groupe de jeunes révolutionnaires présenté en randonnée dans un paysage similaire à celui qui ouvrait le film et qui s’exerce au tir sur un arbre isolé bientôt embrasé.  Face à la force brute de l’ordre établi, celle du changement a la douceur du visage de Shira (Yaara Pelzig) ou le charme romantique d’un ange blond prénommé Nathanaël (Michael Aloni). Le policier serait-il alors un film pro-révolutionnaire ? Non plus, car cette jeunesse , dont une partie est favorisée, semble se chercher une identité plus qu’elle n’est véritablement la voix de la classe ouvrière.


En refusant de préférer un camp plutôt que l’autre, Lapid opte pour une ambiguïté qui a dérouté un public israélien déçu de ne pas se trouver un film militant. Le policier décrit en fait la violence d’un pays qui s’est forgé une partie de son identité dans l’affrontement d’un ennemi extérieur. L’œuvre de Lapid n’est « pas très sympathique » pour reprendre ses propres mots mais dresse le portrait lucide d’une situation de crise sans faire de concessions.

D’une forme épurée, Le policier est souvent exigeant avec le spectateur, privilégiant la durée des plans souvent fixes au montage nerveux et dynamique. Mais cette durée se révèle un moyen efficace de traduire une tension ou un malaise constants, que ce soit par la présence d’un corps malade au milieu de corps dans la force de l’âge, le baiser désespéré  d’un amour à sens unique ou l’attente anxieuse d’un attentat. D’une beauté esthétique glaçante, le film exerce une fascination sur le spectateur à l’affût des moindres gestes et mouvements.

Fonctionnant par des détours narratifs, Le policier a l’intelligence de ne jamais être là où on l’attend, jusqu’à un final traité de façon surprenante bien que réaliste. C’est aussi une œuvre d’une cohérence admirable qui organise un réseau complexe d’échos entre ses scènes : la chanson que chante Yaron à sa femme au début du film et qui semble dire l’intimité du couple prend un tout autre sens lorsqu’elle réapparaît ; le discours méprisant que tient Shira à un « poète » est amplifié dans la longue invective qu’elle adresse à une fille de bonne famille. 


Pour donner de la chair à un ensemble autrement un peu théorique, il fallait des acteurs hors pair : professionnels ou amateurs, ils le sont tous. Le policier est riche de plans brillamment mis en scène mais plus que tout on sera hantés par des gros plans magnifiques sur des visages où se lisent d’abord la confiance et l’exaltation puis le doute, l’angoisse et la désillusion. Dans ces moments, on a  la certitude que le coup d’essai de Nadav Lapid est un très grand film.

03/04/2012

Les pirates ! Bons à rien, mauvais en tout : les joies de l'animation artisanale

Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout : 4 / 5

Nous sommes à la moitié du XIXème siècle. Après une victoire sur les plus puissantes flottes mondiales, dont le Liechtenstein, l'empire britannique et à sa tête la reine Victoria occupe tout l'espace maritime. Tout l'espace maritime ? Non, car une poignée de navigateurs résiste encore et toujours à l'envahisseur des mers... les pirates ! Avec cette scène d'introduction à la Astérix où une reine Victoria hurle sa haine pour les pirates, les studios Aardman annoncent le ton joyeusement débridé de leur nouvelle production où l'humour au premier degré côtoie le jeu avec l'histoire et les références culturelles anachroniques, comme dans le chef d’œuvre de Goscinny et Uderzo : un ressort principal de l'intrigue est ainsi un concours du pirate de l'année modelé sur les Grammy Awards et consorts.


Mais les résistants, ce sont surtout les irréductibles animateurs de Aardman qui après leur passage mitigé par l'animation numérique retrouvent une foi inébranlable dans la technique artisanale qui ont fait leur heure de gloire, le 'stop motion' en pâte à modeler. D'où vient l'émerveillement, l'impression de beauté de tous les instants ressentie devant ces Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout  ? Ils tiennent à un travail d'orfèvre minutieux, à une richesse des surfaces et des textures, mais surtout au plaisir de grand enfant de voir s'animer des figurines à l'expressivité renversante. L'enthousiasme vient aussi d'un récit, adapté de livres pour enfants, qui a la frénésie des aventures que l'on rêvait gosses avec en plus l'inventivité nécessaire à nos exigences d'adultes : ici, les pirates d'habitude associés aux paysages exotiques se retrouvent dans le cadre atypique du Londres victorien suite à une rencontre surprenante. Le dernier atout irrésistible de Pirates !  est une brochette de personnages haut en couleur et attachants, desquels se détachent une mascotte "perroquet" adorable et un singe savant muet qui s'exprime avec des cartons.


Malgré toutes ces qualités, le film de Peter Lord ne parvient cependant pas à retrouver totalement la jubilation que pouvait produire Wallace et Gromit : le mystère du lapin-garou sorti en 2005. La réussite insurpassée du film de Nick Park et Steve Box tient certes au personnage de Gromit, indétrônable acteur muet dont les émotions passent par de simples regards et mouvements de sourcil minimalistes, mais pas seulement. La supériorité de Wallace et Gromit dans l'euphorie est celle d'un récit fluide où les effets comiques sont intégrés parfaitement alors que Pirates ! les aligne un peu arbitrairement. L'intrigue du film est en effet ponctuée de gags parfois savoureux mais qui sont souvent des parenthèses narratives, un fonctionnement illustré au début du film par la revue loufoque de tous les membres de l'équipage pirate un peu sous-utilisés ensuite, ou plus tard par les échecs consécutifs rencontrés dans la recherche d'un butin. Si ces quelques ficelles un peu grosses ne retirent rien aux trouvailles de Pirates !, ce dernier est alors relégué au statut de très bon divertissement là où Wallace et Gromit atteignait la dimension de chef d’œuvre instantané.