29/10/2014

Magic in the Moonlight : le retour de Woody l'enchanteur

3,5 / 5

Après plus de quarante ans de carrière et autant de films à son actif, Woody Allen avait prouvé avec l’excellent Blue Jasmine la vivacité intacte de son cinéma. Cate Blanchett était pour beaucoup dans cette réussite et son couronnement par les Oscars s’imposait comme une évidence. Mais c’est aussi la maîtrise de la structure complexe au cœur du film qui impressionait, Allen faisant preuve d’une rigueur d’écriture comparable à celle de ses chefs d’œuvre de la deuxième moitié des années 80. Suite à cette grande œuvre, Magic in the Moonlight a des allures de charmante récréation.


Woody Allen s’accorde en fait avec cette cuvée 2014 le plaisir de vivre la même expérience que le héros de Minuit à Paris qui se trouvait propulsé par magie dans le Paris des années 20. Ici, le spectateur est transporté en 1928 dans le cadre enchanteur d’un Sud de la France dont la lumière chalereuse est transcendée par le travail de Darius Kondji. On y suit l’enquête de Stanley, un illusioniste anglais (Colin Firth), qui cheche à démasquer une jeune américaine médium, Sophie (Emma Stone). Le héros masculin, dans sa rigidité et son refus catégorique de l’irrationnel, a quelque chose de Sherlock Holmes, mais c’est du côté d’Agatha Christie que de Conan Doyle que va se poursuivre le récit dans une atmosphère « british » décontractée.


Comédie plaisante et bien menée, Magic in the Moonlight a l’inconvénient de réserver finalement assez peu de surprises. Le charme opère plutôt par les dialogues brillants auxquels Woody Allen nous a habitués, et par le couple Colin Firth / Emma Stone qui donne à voir une variation efficace du duo Rex Harrison / Audrey Hepburn de My Fair Lady. A la recherche de l’enchantement ressenti à la vision de films américains des années 30, l’auteur ne renoue certes pas avec l’émerveillement de tous les instants de sa Rose Pourpre du Caire ; néammoins il en retrouve ponctuellement la beauté lors de la découverte éblouissante d’un ciel étoilé ou dans une scène touchante où le jadis sceptique Stanley s’en remet à Dieu dans un instant de faiblesse. Comme Sophie qui résiste à l’analyse rationnelle, le film se situe alors au-delà d’une simple analyse critique réductrice. Autant simplement donc se laisser guider par un auteur qui à force de pratique est passé magicien du 7ème art.

24/10/2014

Gone Girl : David Fincher maître du suspense

4 / 5

En se penchant sur la carrière de David Fincher, il est difficile de saisir une thématique ou un quelconque fil conducteur. Habile artisan plus qu’auteur, le réalisateur caméléon a pourtant su se frayer un chemin vers une reconnaissance à la fois critique et publique. Ce succès sur les deux fronts tient en partie à un positionnement dans l’air du temps sensible dans ces derniers films, qu’il s’agisse de traiter de la genèse de Facebook pour The Social Network ou d’adapter un best-seller avec Millenium. Mais c’est surtout la maestria technique du réalisateur et sa volonté de s’adresser à l’intelligence du spectateur qui ont fait de lui le cinéaste le plus populaire des années 2000 aux côtés d’un Christopher Nolan qui applique des recettes similaires. L’admirable Gone Girl confirme ce statut et met en évidence une ascendance artistique déjà devinée dans le reste de l’œuvre de Fincher, celle d’Alfred Hitchcock.



Un matin, la femme de Nick Dunne (Ben Afleck) disparaît de façon suspecte. Il avertit la police, et lance un appel pour la retrouver. La découverte progressive de flashbacks illustrant des extraits du journal intime tenu par sa femme Amy (Rosamund Pike) laisse cependant penser que derrière cette façade de mari aux abois se cache un individu beaucoup plus trouble. En parallèle l’ignorance dans laquelle se trouve Nick des détails du quotidien d’Amy font d’elle une figure ambiguë. Le double récit évoque alors Soupçons pour le point de vue de la femme apeurée et Pas de printemps pour Marnie pour celui du mari. Ballotté entre ces deux versions, on prend plaisir à se laisser surprendre par une multitude de retournements de situation qui nous amènent à constamment changer notre point de vue sur les personnages. Ben Afleck incarne la veulerie et l'hypocrisie de Nick avec un plaisir communicatif et on retrouve avec Rosamund Pike  le glamour et l'ambiguïté des plus grandes blondes hitchcockiennes.



La richesse narrative et la structure impeccable de Gone Girl sont à mettre au crédit de Gillian Flynn, à la fois auteur du roman d’origine et de son adaptation. Mais l’efficacité de la mise en scène de David Fincher, que ce soit au niveau du découpage ou du rythme donné au récit, transcende ce scénario très bien construit pour en faire une œuvre qui nous envoûte de la première à la dernière seconde. A l’époque de Panic Room, David Fincher tentait vainement d’imiter Hitchcock par des effets de caméra voyants. Aujourd’hui, assisté par un Trent Reznor dont les ambiances musicales électroniques ont succédés aux boucles pour cordes de Bernard Herrmann, il est devenu avec la maturité artistique le digne fils spirituel de son modèle.

21/10/2014

Bande de filles : beau comme un diamant dans le ciel

4,5 / 5


L’année dernière Tomboy s’est retrouvé au centre de débats médiatisés, 3 ans après sa sortie. La programmation de ce récit d’une fille qui se fait passer pour un garçon dans le cadre « Ecole et cinéma » avait d’abord inquiété des parents d’élèves  avant que le groupe Civitas appelle à l’annulation de la diffusion du film sur Arte.  Ces polémiques ont un peu éclipsé ce qu’était vraiment le précédent métrage de Céline Sciamma, un véritable bol d’air frais dans le cinéma d’auteur français. Sobre et d’une grande justesse, le film confirmait après Naissance des pieuvres le talent de la réalisatrice / scénariste pour la chronique intime des émois de l’enfance et de l’adolescence. Avec Bande de filles l’auteur signe son oeuvre la plus aboutie en élargissant au champ social sa réflexion sur les identités.


Par rapport à ses deux premiers longs métrages, le dernier film de Sciamma possède une véritable ampleur romanesque. Le récit du quotidien de Marieme sur les années qui la conduisent de l’adolescence à l’âge adulte évoque le souffle de La vie d’Adèle. Mais là où le style naturaliste de Kéchiche plonge le spectateur au coeur des scènes, Sciamma transcende les destins de ses personnages par une mise en scène plus sophistiquée. La vie d’Adèle laissait une impression d’épuisement physique et émotionnel dont le symbole était la longue scène d’amour entre l’héroïne et sa compagne ; Bande de Filles fonctionne plutôt sur une logique d’apesanteur illustrée par une scène magnifique sur Diamonds de Rihanna. 

Marieme et sa bande se réfugient dans une chambre d’hôtel transformée en mini boîte de nuit par une ambiance lumineuse bleue. Elles semblent d’abord faire un lip-dub sur la chanson, s’imaginant alors dans la peau de Rihanna.  Cependant elles reprennent bientôt le refrain au-dessus de la musique et dès lors leur transe musicale devient un acte d’émancipation personnel bouleversant. Tandis que La vie d’Adèle traitait de la force des sentiments, Bande de filles sonde les rêves et aspirations d’une bande de filles qui veut profiter de sa jeunesse au maximum, le tout accompagné par la musique envoûtante de Para One.


Le film est profondément touchant dans le conflit entre ces fantasmes et la réalité quotidienne qui leur fait obstacle. Evitant les clichés du misérabilisme social, Céline Sciamma choisit de dresser le tableau d’une cité où les jeunes filles sont sous la coupe des hommes qui leur dictent leurs comportements, qu’il s’agisse de grands frères devenus chefs de famille ou de dealers. En réponse à cette autorité masculine, Bande de filles propose une réflexion sur les genres, amorcée dans les précédents films de la réalisatrice. Au-delà des gestes de solidarité féminine qui ont la belle simplicité de deux mains qui se tiennent, Céline Sciamma renverse avec finesse les codes masculin / féminin, comme lorsque Marieme demande au garçon qu’elle désire de se déshabiller avant d’effleurer son corps.

Mais Bande de filles ne se contente pas de questionner les rôles attribués aux sexes. En nous orientant régulièrement sur des fausses pistes, Céline Sciamma nous invite aussi à regarder au-delà des images. Au sein d’un même plan, une poignée de main avec un employeur peut se transformer en geste menaçant ; une scène de maquillage prépare non pas une sortie entre filles mais un combat filmé au téléphone portable. Il ne s’agit donc pas seulement de nous apprendre à voir les bandes de filles bruyantes rencontrées dans le métro ou aux Halles, mais aussi de nous confronter à notre regard de spectateur créateur de sens erronés.


Si le film de Céline Sciamma met à mal nos préjugés, la réalisatrice se positionne moins en donneuse de leçons qu’en raconteuse exemplaire. Car au-delà des considérations esthétiques, on vit Bande de filles aux côtés de Marieme. A l'inverse de Géronimo, le film prouve alors les merveilles que peuvent faire des acteurs amateurs s’ils sont bien dirigés. Dénicheuse d’actrices, Céline Sciamma l’a été pour Adèle Haenel et on souhaite à la formidable Karidja Touré la même carrière que son aînée. Assumant des identités diverses dans un mouvement perpétuel, la jeune actrice est crédible dans chacune d’entre elles et incarne la plus belle héroïne cinématographique de l’année. Admirable en tous points, Bande de filles aurait mérité de figurer en compétition officielle du dernier festival de Cannes. Espérons néammoins que l’académie des Césars saura saluer l’année prochaine ce diamant éblouissant comme il se doit.

20/10/2014

Géronimo : une variation inégale sur "Roméo et Juliette"

3 / 5

Comme le récent Mange tes Morts, Géronimo s’ouvre sur un travelling qui suit la course de personnages principaux. Mais l’effet est ici doublé, avec d’un côté une mariée en fuite et de l’autre son amant en moto. Les directions opposées des personnages les destinent à se rejoindre et une fois le couple réuni, ils chevauchent une moto sur un rock tzigane. Que nous disent ces courses effrénées ? Chacune semble nous renvoyer au souvenir de celle mythique de Jean-Pierre Léaud à la fin des 400 Coups, symbole du geste libérateur de la Nouvelle Vague. Et de fait, comme Godard, Truffaut ou Chabrol s’opposaient aux conventions du cinéma de l’époque, Jean-Charles Hue et Tony Gatlif cherchent à construire des espaces alternatifs dans le paysage du 7ème art français. Si Géronimo n’est pas aussi abouti que Mange tes Morts, il n’en dégage pas moins un charme singulier.



Géronimo s’organise autour de deux pôles.  Il y a d’une part un lyrisme dont l’ouverture du métrage donne le ton. Le conflit qui oppose une famille de turcs et de gitans est une variation évidente de celui entre les Capulets et Montaigus au cœur de Roméo et Juliette, et le film déroule alors un récit tragique.  Mais il y aussi une part de réalisme social portée par l’éducatrice Géronimo (Céline Salette) qui tente d’apaiser les tensions au sein des quartiers défavorisés qui servent de cadre à l’action. Malgré l’expérience concrète qu’a Gatlif de ce milieu où il a vécu, cet aspect réaliste peine à convaincre.


C’est encore plus dommage qu’on a l’impression d’assister à un rendez-vous manqué pour la formidable Céline Salette qui tenait enfin là un rôle de premier plan. Révélée dans L’Apollonide, l’actrice mène depuis une carrière discrète bien qu’elle ait une présence indéniable. Géronimo hésite à coller aux basques de l’actrice et de son personnage qui aurait pourtant pu servir de point d’ancrage à un récit trop brouillon pour lequel on a du mal à se passionner. La faute en incombe aussi au choix de Gatlif de privilégier le travail avec des acteurs non professionnels. Cette méthode a pu faire ses preuves depuis le néo-réalisme italien des années 40, malheureusement ici les interprètes surjouent des dialogues qui sonnent faux. Céline Salette et le sympathique Sergi Lopez, malgré leurs efforts,  ne parviennent pas à faire oublier cette faiblesse de la direction d’acteurs.

La partie réaliste de Géronimo ne fonctionne donc pas et frise souvent le ridicule. Ce ratage n’enlève rien à la réussite du pendant lyrique dans lequel Gatlif peut donner libre cours à ses qualités de metteur en scène formaliste. Une scène d’affrontement de rue entre deux bandes rivales évoque le brio opéradique de Francis Ford Coppola : les sons combinés des lames des couteaux sur les grillages, des talons des danseurs et des mains qui viennent  frapper les corps forment une musique au rythme endiablé. Plus tard, on assiste fasciné à un battle de danses aux acrobaties spectaculaires où le choix des interprètes trouve sa justification dans leurs performances dansées. Gatlif stimule aussi l’imagination du spectateur en emmenant parfois Géronimo vers le fantastique, notamment lors d’une séquence où la mariée en fuite se retrouve seule dans une maison abandonnée en proie à des vents violents qui résonnent comme des présences fantomatiques.



Finalement les défauts et qualités de Géronimo se trouvent résumés dans son acte final. Alors que la tension dramatique devrait être à son comble dans un jeu du chat et de la souris, on ne se soucie pas réellement du sort de personnages. Mais le décor d’immeubles désertés, ruines dont les murs sont décorés de peintures murales, a quelque chose de sublime. Promesse à moitié réalisée, Géronimo aura au moins su nous offrir quelques moments de cinéma et images mémorables, à défaut de proposer un ensemble vraiment percutant.

17/10/2014

Ninja Turtles : tout juste de quoi pousser un petit "Kowabunga"

2,5 / 5

A part un générique culte pour les enfants téléphages des années 80, c’est quoi les tortues ninjas ? Symboles pop, les 4 héros sont d’abord apparus dans un comic indépendant co-créé par Peter Laird et Kevin Eastman. Cependant la popularité de la franchise a réellement atteint son pic à la fin des années 80, entre les figurines et la première adaptation en dessins animés. Il était alors temps pour nos adolescents mutants de prendre d’assaut le grand écran, ce qu’ils ont fait dans une trilogie typée années 90 à la qualité hélas décroissante. Après l’échec au box-office d’un troisième opus qui projetait les héros dans le japon médiéval dans une vaine tentative de relancer un intérêt émoussé, l’idée des adaptations en films live des aventures de nos sympathiques tortues fut abandonnée. Quelle plus belle façon alors de fêter le 30ème anniversaire des personnages que par un retour au cinéma ?




Production de Michael Bay, Ninja Turtles possède les caractéristiques propres à l’œuvre du réalisateur. Les amateurs de la saga Transformers retrouveront ici la même ambiance décomplexée, confinant à la débilité, et le même sens de la démesure dans les scènes d’action. Cependant ce style n’est en soi pas aux antipodes de l’esprit adolescent des tortues ninjas et lui correspondrait même plutôt bien. La promesse de divertissement met cependant un certain temps à être réalisée. L’introduction explicative, entre dessin animé et bande animée, est une idée intéressante mai assez mal exploitée, et la première demi-heure en compagnie de April O’Neil (Megan Fox) est plutôt pénible. Que ce soit dans les films ou le dessin animé des années 80, la journaliste a toujours eu un côté purement fonctionnel et sa présence au premier plan, en lien avec les origines des héros, est une fausse bonne idée. On se dit une seconde que l’intérêt peut être relancé par Will Arnett, génial en magicien arrogant et idiot dans Arrested Development, mais malheureusement ses talents comiques sont ici sous-exploités. Voir l’ex-star comique des années 80-90 Whoopi Goldberg dans un second rôle sans aucun relief n’a rien de réjouissant non plus. Il faut en fait attendre l’apparition des héros éponymes du film pour que le tout parvienne à décoller un peu.


Dès les premiers dialogues entre les tortues, on retrouve la dynamique de groupe imparable entre Léonardo le leader, Raphaël le rebelle, Michelangelo l’éternel ado et Donatello le scientifique intello. Certes le look massif des tortues ne plaira pas à tous, surtout à ceux qui gardent le souvenir de leurs versions dans les premiers films et dessins animés. L’agilité et la discrétion des ninjas sont un peu en contradiction avec ces créatures qui semblent boostées aux anabolisants, dans la plus pure tradition de Michael Bay (il en a même fait un film avec No Pain No gain). Cependant cette première impression passée on ne peut qu’être réjoui du design personnalisé de chacun des 4 frères, qui faisait défaut dans les adaptations des années 80. Ninja Turles offre son lot de scènes « fun », entre la découverte des punitions de maître Splinter, son affrontement avec Shredder qui suscite un plaisir similaire aux duels de Yoda, sans oublier une poursuite démesurée avec un camion qui dévale une pente enneigée.



Au final cependant, il manque quelque chose. Déjà la mise en scène « cut » et approximative rend la plupart des scènes d’action peu lisibles. Mais surtout le métrage ne tire pas pleinement partie de la mythologie de la franchise : les antagonistes sont franchement ratés, trop nombreux pour être correctement traités. Le nemesis des héros Shredder est ainsi réduit à un robot surpuissant qui n’a pas le charisme de son équivalent dans les films des années 90, leader machiavélique à dimension humaine. Alors que des suites à ce « reboot » sont en préparation, avec la promesse d’introduction de personnages emblématiques de la série tels que Krang, le duo Beebop et Rocksteady ou Casey Jones, Michael Bay et ses collaborateurs devraient garder à l’esprit cette maxime d’Alfred Hitchcock : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film ».

14/10/2014

Samba : le digne successeur d' "Intouchables"

3,5 / 5

Comment faire suite au succès retentissant d’Intouchables, aussi bien en France qu’à l’étranger ? Avec Samba, Eric Tolédano et Olivier Nakache répondent d’une façon idéale, en faisant une proposition à même de satisfaire le public qui avait été séduit par leur précédent film tout en évitant le risque de la redite. En adaptant le roman de Delphine Coulin Samba pour la France, les cinéastes choisissent une nouvelle fois le terrain de la comédie sociale. Le choix d’introduire le personnage d’Alice (Charlotte Gainsbourg) absent de l’œuvre d’origine permet en outre de reproduire la formule narrative d’Intouchables, à savoir le rapprochement de deux individus en dépit de leurs différences de statut. Lors de son premier jour de travail dans une association qui vient en aide aux sans-papiers, Alice rencontre donc Samba (Omar Sy) qui risque l’exclusion du territoire français.



L’intelligence de Nakache et Tolédano est de retarder le développement de la relation qui se noue entre les deux protagonistes de Samba, évitant ainsi l’écueil du remake mal déguisé d’Intouchables. On suit donc d’abord séparément Samba « emprisonné » dans un camp de sans-papiers et Alice qui se familiarise avec sa tâche de bénévole. Les cinéastes savent trouver le ton juste dans cette première partie et font preuve d’avantage de finesse d’écriture que dans Intouchables qui alternait parfois machinalement scènes dramatiques et vannes d’Omar Sy. La description du quotidien des bénévoles parvient ainsi à incorporer de l’humour à partir d’une situation dramatique, en jouant de la barrière de la langue dans les échanges avec les sans-papiers. De façon globale, le récit des déconvenues possibles des immigrés donne au métrage une authenticité qui le rapproche du documentaire social, et une telle ambition dans un film destiné au grand public ne peut être que saluée.

Si Samba propose un récit plus ambitieux que Intouchables, il y perd un peu de l’efficacité de son prédécesseur. On peut discuter de l’utilité narrative des seconds rôles incarnés par Tahar Rahim et  Izïa Higelin, contrepoint assez faible au couple  formé par Alice et Samba. Mais cette impression tient aussi à l’interprétation irréprochable du duo d’acteurs principaux. Charlotte Gainsbourg, toute en grâce fragile et en maladresses, provoque l’empathie immédiate du spectateur. Quant à Omar Sy, il livre une composition plus que convaincante  dans un registre à l’opposé du Driss extraverti et charmeur de Intouchables qui lui avait valu le César du meilleur acteur. Véritable rôle de la maturité, le sénégalais Samba permet à l’acteur de prouver qu’il est plus qu’un comique sympathique  au rire communicatif.




Au-delà de sa tonalité qui mêle habilement éléments comiques et dramatiques, la réussite de Samba tient, comme pour Intouchables, à une réalisation soignée qui change de la mise en scène plate plate et approximative de comédies à succès telles que Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? Certes le plan séquence d’ouverture qui passe du spectacle d’une salle de cabaret à la plonge en cuisine a quelque chose d’un peu démonstratif et tape-à-l’œil, mais malgré quelques effets inutiles le métrage possède une élégance indéniable. La meilleure illustration de cette esthétique soignée est sa bande originale. Les morceaux de Ludovico Einaudi, déjà compositeur sur Intouchable, accompagnent avec délicatesse le désarroi social ou affectif de Samba et Alice.  

Cependant le sommet formel de Samba reste une belle séquence  qui annonce le rapprochement imminent des deux protagonistes au son de « To Know You Is To Love You» de Syreeta et Stevie Wonder. C’est la nuit : Alice seule dans son appartement pense à Samba, tandis que ce dernier gardien de nuit arpente les couloirs d’un couloir d’un centre commercial vide.  Puis il se met à jouer avec les éléments du décor, à danser sur la musique extérieure au récit dans un élan d’euphorie. On pense alors au Chaplin des Temps Modernes, gardien de nuit glissant sur ses patins à roulettes. Parce qu’il retrouve par moments ce charme là, on souhaite à Samba un succès à la hauteur de celui d’Intouchables.