24/04/2016

L'Avenir : de l'art de ne pas en faire tout un drame


4 / 5

Militante gauchiste dans sa jeunesse, Stéphanie vit à l’aube de la soixantaine dans un tranquille confort bourgeois. Professeur de philosophie dans un lycée, elle dirige également une collection chez un éditeur et est bien installée dans la routine de son foyer familial. Son quotidien va cependant bientôt être chamboulé par une série de bouleversements qui vont l’amener à devoir se poser une douloureuse question : comment réinventer sa vie à son âge avancé ?


Le titre du cinquième métrage de Mia Hansen-Løve peut sonner comme une cruelle ironie. Le devenir de son personnage principal parait en effet pour le moins incertain. Stéphanie perd littéralement pied au milieu des événements qui la submergent. Plutôt habituée à incarner des rôles froids, Isabelle Huppert surprend par une fragilité assez inédite qui rend sa quête d’identité d’autant plus touchante. Le jour nouveau sous lequel apparaît l’actrice est à mettre au crédit d’une cinéaste qui arrive à nous ravir à partir un argument de drame intimiste loin d’être attirant à première vue.

Mia Hansen-Løve évite  les clichés du drame psychologique en dédramatisant par la mise en scène la crise vécue par Stéphanie. En toile de fond  aux doutes de son héroïne, L’avenir pose un cadre estival et solaire qui prend toute son ampleur lors d’une fuite à la campagne bucolique. Le contraste est ce qui caractérise le mieux un film passant d’un registre très verbeux lié aux thématiques philosophiques et politiques qu’il met en avant, à un style tout en retenue et non-dits dans la description par fines touches de l’évolution de son personnage principal. Ce va-et-vient imprévisible joue beaucoup dans le charme tenace de cet Avenir d’une mélancolie joyeuse.

04/04/2016

Batman v Superman / Daredevil : sombres héros



Batman v Superman - L'Aube de la Justice : 3,5 / 5

Daredevil : 3,5 / 5

Peut-on vraiment prendre les super-héros au sérieux ? La question mérite d’être posée tant la réussite critique et publique du modèle des films proposés par les studios Marvel tient à une décontraction devenue le cœur des Gardiens de la galaxie ou Ant-Man. Les séries Netflix Daredevil et Jessica Jones ont construit de leur côté un univers plus réaliste, à l’ambiance proche du polar, une direction confirmée avec la deuxième saison de l’ « homme sans peur ».Globalement très bien accueillies, ces productions montrent qu’il y a bel et bien une place sur le marché pour un traitement plus sombre des super-héros. C’était déjà la voie choisie par Zack Snyder et DC avec Man of Steel, poursuivie dans un Batman v Superman : l’Aube de la Justice qui a suscité des réactions pour le moins mitigées. La Distinguée Concurrence et Warner aurait-ils donc tout faux face  à Marvel ? La comparaison de la deuxième saison de Daredevil et du dernier méga blockbuster mondial va nous permettre d’y voir plus clair.





Pour arbitraire qu’elle puisse paraître, la mise en parallèle entre ces deux objets audiovisuels est justifiée par l’auteur dont s’inspirent leurs deux récits, Frank Miller. Au début de sa carrière dans les années 80, le scénariste-dessinateur a travaillé à plusieurs reprises sur Daredevil, faisant de Wilson Fisk (alias le Caïd) son antagoniste de prédilection et créant le personnage d’Elektra ; il a également complètement redéfini le personnage de Batman dans sa mini-série dystopique The Dark Knight Returns pour en faire le héros sombre tel qu’il est perçu dans l’imaginaire collectif aujourd’hui. Si ces deux œuvres sont devenues des incontournables de la bande dessinée, leurs mérites sont bien différents, et il en va de même pour Daredevil et Batman v Superman, tous deux fidèles à l’esprit de leur matériau original.

Du côté de Matt Murdock, Miller a tissé un des récits les plus complexes des comics en terme de psychologie et d’émotions, dans un registre volontiers intimiste et humaniste, tandis que The Dark Knight Returns a impressionné par sa richesse thématique, sa construction formelle audacieuse et son iconographie héroïque spectaculaire. La qualité principale de la série Netflix est ainsi la caractérisation solide de ses multiples personnages, permise par la durée. Les scénaristes Chris Terrio et David S. Goyer proposent quant à eux dans la première heure de Batman v Superman un film réflexif et ambitieux, alternant les différents points de vue et mélangeant les niveaux de réel à travers les rêves/flashbacks/visions de Batman/Bruce Wayne, et le style baroque de Zack Snyder iconise parfaitement ses héros symboliques.


Partant de ces bonnes intentions, les deux films sont-ils pour autant à la hauteur des chefs d’œuvre de Miller ? Si ces adaptations sont loin d’être mauvaises, elles ne sont clairement pas aussi abouties et présentent toutes deux des défauts bel et bien visibles. Pour Batman v Superman on peut regretter le caractère bicéphale du film dans son ensemble, les différents fils narratifs savamment entremêlés dans un premier temps étant laissés de côté pour un dernier acte efficace dans son aspect spectaculaire mais assez basique. La transition entre ces deux parties est sans conteste le point faible du film, recourant aux raccourcis narratifs et aux clichés du genre pour justifier l’affrontement attendu entre les deux monstres sacrés de DC Comics. Daredevil, de par son format plus long, bénéficie du temps nécessaire à poser correctement ses intrigues et les nouveaux personnages centraux que sont le Punisher et d’Elektra. Malheureusement la série échoue au final à faire rejoindre de façon pleinement satisfaisante ses récits qui s’écrivent en parallèle.


Aussi bien Batman v Superman que la deuxième saison de Daredevil souffrent d’un effet de trop-plein. Le film de Snyder remplit bien son contrat de présenter Batman, campé par un Ben Affleck excellent qui s’impose comme la meilleure incarnation du héros à l’écran, et d’introduire une Wonder Woman intrigante qui gardera une bonne part de mystère jusqu’au long métrage qui lui sera consacré l’année prochaine. L’établissement en bonne et due forme de ces deux figures marquantes de la pop culture nuit hélas au temps de présence à l’écran d’un Superman relégué au second plan, et la mission d’introduire les  membres de la Justice League amenés à les rejoindre dans les films à venir est quant à elle franchement bâclée. De même John Bernthal et Elodie Yung sont impeccables, respectivement dans le rôle du Punisher et d’Elektra, mais l’élargissement de l’univers de Daredevil donne une impression de dispersion et relègue certains protagonistes cruciaux à l’arrière-plan, en premier lieu l’associé de Matt Murdock Foggy Nelson. Ce défaut est d’autant plus dommageable qu’encore une fois la série est à son meilleur lorsqu’elle explore la profondeur psychologique de ses personnages et par conséquent leur traitement expéditif devient vite une faiblesse d’écriture sensible. 

Propositions toutes les deux louables dans leur ambition et réussies sur de nombreux points, Batman v Superman et Daredevil ne sont donc pas sans failles. A qui ira donc l’avantage ? Cela se joue à peu de choses, mais en ce qui me concerne à la Distinguée Concurrence de Marvel, pour une question de ressenti. Le métrage de Zack Snyder a pour lui de tenter des choses, de prendre des risques et des libertés quitte à se fourvoyer, notamment dans la caractérisation discutable d’un Lex Luthor déséquilibré. La seconde saison de Daredevil n’apporte quant à elle pas grand chose de neuf par rapport à la première livraison, jusqu'à reprendre quasiment tels quels des effets de mise en scène : ainsi l’affrontement en plan séquence qui clôt le troisième épisode de cette saison est un écho évident et un rien artificiel à la scène du couloir qui concluait le deuxième épisode de la précédente. Malgré sa construction bancale, Batman v Superman l’emporte surtout par un climax haletant là où le dernier épisode de Daredevil offre une résolution assez mal orchestrée, en deçà de la qualité globale de la série, comme cela avait été le cas pour la première saison.