31/03/2012

La colère des Titans : plus de rythme, moins de kitsch


 La colère des Titans : 3 / 5

Mal accueilli par les critiques, le remake par Louis Leterrier du Choc des Titans en 2010 a été assez rentable pour qu’une suite soit rapidement mise en chantier et nous arrive à peine deux ans après.  On retrouve dans La colère des Titans les trois acteurs principaux du premier opus (Sam Worthington en Persée,  Liam Neeson en Zeus et Ralph Fiennes en Hadès), mais le réalisateur français devenu producteur exécutif laisse les commandes au sud-africain Jonathan Liebesman, auteur du blockbuster Battle : Los Angeles. Alors, ça bouge vraiment du côté de la Grèce antique ? Plutôt, est-on tenté de répondre, et en bien.



Le choc des Titans pâtissait d’un récit mal rythmé, assez long à démarrer pour se résoudre ensuite de façon plutôt expéditive , comme en témoignait la résurrection de la dulcinée de Persée dans un retournement improbable quelques secondes avant le générique de fin. Alors que La colère des Titans s’ouvre 10 ans plus tard, on apprend qu’elle est à nouveau décédée entre temps, définitivement : curieuse transition donc mais la belle a quand même eu le temps de donner à son compagnon de héros un fils, Hélios. Une fois cette nouvelle situation comprise, on est assez vite plongés dans une intrigue simple qui a le mérite de l’efficacité : il s’agit ni plus ni moins pour Persée que de parer à la menace d’une fin du monde déchaînée par le Titan Chronos, son grand-père, en allant à la rescousse de Zeus capturé par le toujours revanchard Hadès et son propre fils Arès. Le fil rouge familial un peu voyant se révèle cependant assez juste pour insuffler la  part d’humanité nécessaire au récit épique.


La simplicité et l’économie de l’intrigue du film de Liebesman va de pair avec un ramassage autour d’une poignée de personnages : le panthéon réduit à cinq dieux vaut alors bien mieux que l’assemblée de dieux figurants sous-exploités du film de Leterrier. Mais l’Olympe du premier opus restera avant tout indissociable de la vision hallucinée d’ armures étincelantes et kitsch qu’on aurait dit tout droit sorties de l’Excalibur de John Boorman. La colère des Titans offre en contraste une esthétique plus réaliste, sobre et élégante. Si les excès sont évidemment au rendez-vous avec créatures et effets numériques, on est frappé par la beauté des images produites, notamment lors d’un climax avec un monstre de lave dans un paysage de cendres. [spoiler] Au détour d’un plan, l’effet numérique parvient même à renforcer l’émotion de manière surprenante, avec l’image d’un dieu qui tombe en poussière sur l’épaule de son fils, l’embrasse enfin [fin du spoiler]


La colère des Titans est pour autant loin d’être parfait, se heurtant à des scènes ratées comme l’affrontement confus en montage parallèle avec deux Cyclopes, à des dialogues parfois sommaires et à des personnages manquant un peu de profondeur. Mais malgré ces défauts évidents le film remplit sa mission de divertissement très honnêtement, et s’offre même le luxe de créer le décor mémorable d’un labyrinthe en combinant harmonieusement effets numériques et physiques. Enfin, l’épilogue du film est assez réussi pour que la perspective d’un troisième opus ne soit pas pour déplaire à votre serviteur.

22/03/2012

Two days in New York : 5 ans après

Two days in New York  : 3,5 / 5

En 2007, Julie Delpy s'imposait comme une auteur à suivre en nous offrant avec 2 days in Paris la comédie à la fois la plus incisive et la plus fraîche de ces dernières années. Depuis, la réalisatrice / scénariste / actrice s'est offert une incursion dans l'horreur historique (La Comtesse) et un film-souvenir sur des vacances de jeunesse (Le Skylab). Le dernier film, s'il offrait une série de vignettes réussies sur la France de la fin des années 70, laissait une impression d'inachevé faute de proposer une véritable intrigue. Écrit en parallèle du Skylab, 2 days in New York choisit une structure plus ramassée autour de son couple de personnages principaux.




On retrouve Marion (Julie Delpy), l'héroïne de 2 days in Paris, à New York où elle élève le fils de son ex-compagnon du précédent film avec Mingus (Chris Rock) lui-même père d'une petite fille. L'arrivée de la famille de Marion chez eux va provoquer un chaos avec à sa source un choc des cultures et une barrière de la langue qui servaient déjà de moteur au premier volet du diptyque. Si 2 days in New York perd alors malheureusement un peu de la fraîcheur et de l'originalité de son homologue parisien, le ton légèrement plus grave adopté tient aussi à la double expérience de la maternité nouvelle et du deuil de sa mère vécue par Delpy. La question de la mort a beau être traitée par le biais fantaisiste d'une vente d'âme artistique, l'insouciance affichée semble factice en comparaison de l'énergie naturelle qui habitait 2 days in Paris. L'impression mitigée tient aussi à un Chris Rock moins enthousiasmant que pouvait l'être Adam Goldberg en compagnon d'une Julie Delpy toujours aussi attachante et hilarante en intellectuelle néo-allénienne.


2 days in New York reste malgré ces réserves une comédie de très bonne facture où le sens du dialogue et du burlesque de Julie Delpy fait souvent mouche, comme lors d'un dîner d'anthologie où les répliques savoureuses fusent en français et en anglais, ou dans les échanges compliqués entre Mingus et le père de Marion (Albert Delpy). La réalisatrice / scénariste a le mérite d'oser une variété de registres comiques impressionnante, allant du sophistiqué au graveleux : certains effets peuvent paraitre ratés ou lourds (notamment une scène qui joue sur la présence de sa sœur à moitié nue) mais c'est le prix à payer pour une liberté de ton assumée. En résumé, on pourra trouver Julie Delpy moins à l'aise à New York qu'elle ne l'était à Paris, comme l'illustre une visite touristique un peu gratuite de la ville dans un montage photo, mais il y a une certaine audace dans ce film qui fait plaisir à voir.

20/03/2012

Cloclo : histoire d'un mal-aimé ?

Cloclo : 3 / 5

Après Edith Piaf, Coluche, Coco Chanel (deux fois) et Serge Gainsbourg, Cloclo confirme la prédilection des "biopics" français pour les créateurs, ne s'aventurant que rarement sur un terrain politique plus risqué ; et l'aspect finalement anecdotique de La conquête sur Nicolas Sarkozy l'an dernier est la meilleure illustration de cette tendance. Mais mieux vaut en fin de compte un film inspiré sur Gainsbourg et son univers par Joann Sfar qu'une évocation insipide de Margaret Thatcher. Place donc à la folie yéyé et aux strass et paillettes en compagnie de Claude François !


Ne vous attendez pas à pouvoir vous trémousser sur votre siège au son d' "Alexandrie, Alexandra" avant le générique de fin. Le film de Florent Emilio Siri raconte en effet la vie de son "héros" de façon linéaire, il faudra donc attendre un peu plus d'une demi-heure avant de pouvoir retrouver les premiers tubes connus. Dans un premier temps, on a droit comme dans tout "biopic" à la jeunesse du personnage public qui recèle souvent les détails les moins connus de sa vie : ici, l'enfance en Égypte, l'exil forcé au Maroc, la rupture fondatrice avec un père qui renie son fils artiste. Arrivé à paris, Claude galère en étant persuadé qu'il va percer un jour. Toute cette première partie, où le jeune chanteur se retrouve seul contre tous, provoque un léger ennui dans son côté hagiographique. Avec les premiers succès, le film devient plus intéressant : d'abord grâce à une mise en scène dynamique qui retrouve l'énergie innocente des yéyés (série de vignettes sur "Cette année-là") ou celle plus fiévreuse d'un concert d'Otis Redding ; ensuite  parce que l'on découvre petit à petit un Claude François tyrannique, en particulier dans sa relation avec France Gall.


Il y a quelque chose de réjouissant, parfois comique dans la façon dont Cloclo construit un personnage de plus en plus antipathique, égoïste et maniaque. Un moment de grâce un peu cliché où le chanteur compose "Comme d'habitude" au bord de sa piscine est par exemple racheté par une séquence sur la même musique où son obsession pour une jeune femme le rapproche d'un psychopathe de polar, poursuivant sa proie dans un plan séquence avant de se montrer plus agressif pour s'imposer à elle. A la source de ces deux scènes, on trouve la même énergie inépuisable d'un homme qui bouillonne constamment, rendue par un Jérémie Renier hallucinant dont l'interprétation  trouve un équilibre parfait entre la caricature et l'empathie. Le mérite du film de Siri est finalement de reconstituer la "Cloclo fever" tout en montrant habilement sa face noire, la transformation progressive d'un jeune homme plein de rêves en monstre médiatique obsessionnel et solitaire.

17/03/2012

John Carter : life on mars ?

 John Carter : 3 / 5

Alors que la ressortie de Star Wars : la menace fantôme  "augmenté" de la 3D semble confirmer que George Lucas n'est pas prêt de concocter de nouvelles aventures, l'amateur d'épopées galactiques ou de science-fiction n'a pas eu grand chose à se mettre sous la dent depuis Avatar. Ce qui n'est pas nécessairement un mal si l'on se souvient que Star Wars avait engendré dans les années 80 une vague SF peu convaincante, entre un Flash Gordon kitschissime et un Dune pour le moins abscons. La sortie de John Carter n'en reste pas moins un événement, d'autant plus qu'il s'agit de l'adaptation d'une œuvre fondatrice du "planet opera" écrite par le créateur de Tarzan. Mais après  des films comme Star Wars et Avatar qui s'inspiraient largement de cette source littéraire, sa version cinématographique par Andrew Stanton peut-elle échapper à un effet de déjà-vu ?  


John Carter commence en terrain connu, s'ouvrant sur un affrontement entre croiseurs de guerre qu'on croirait tous droit sortis de Star Wars : son équipage est cependant constitué d'un groupe semblant tout droit sorti d'un péplum. Ce curieux mélange entre technologie futuriste et archaïsme aboutit à l'irruption simili-religieuse de trois personnages dans un halo de lumière à la fin de la séquence d'introduction. Après cette ouverture improbable, le récit nous transporte de façon inattendue à la fin du dix-neuvième siècle, entre l'Angleterre et les États-Unis, pour nous présenter son protagoniste principal, ancien militaire sudiste réquisitionné pour combattre dans les guerres indiennes. On se doute évidemment que le héros va vite se retrouver sur la planète Mars qui servait de décor à la première séquence du film. S'ensuivent des aventures avec créatures extraterrestres, princesse en fuite et antagonistes cruels et impitoyables : un récit assez classique finalement et qui réserve peu de surprises, l'originalité résidant davantage dans l'univers décrit par le film.



Dans ce registre, la découverte progressive des civilisations de Mars dans un premier temps renoue avec le plaisir de découvrir un univers original, non sans des touches d'humour bienvenu. Jouant des différences de gravité entre la planète rouge et la planète bleue, le film offre avec son héros bondissant quelques moments réjouissants, dont une première scène d'action impressionnante se déroulant entre ciel et terre. Après ses débuts enthousiasmants, l'intérêt s'émousse hélas un peu, le film alignant de façon mécanique et répétitive des moments de bravoure qui peinent à se renouveler, entrecoupés de dialogues souvent redondants ou trop ouvertement explicatifs. 


L'autre versant du film est la quête d'identité de son héros. Plutôt que de jouer sur l'exotisme pur et simple, le choix des déserts américains pour représenter Mars accentue alors le parallèle entre le monde dont est issu John Carter et la planète sur laquelle il se retrouve exilé : une tribu de créatures à l'allure monstrueuse est alors assimilable aux amérindiens, tandis que le conflit qui oppose les deux cités d'extraterrestres humanoïdes évoque la guerre de Sécession. Si on peut regretter le revirement un peu expéditif de ce héros traumatisé qui retrouve peu à peu sa place sur la planète rouge, ce dernier se déroule dans la scène la plus réussie du film qui met joliment en parallèle le drame qu'il a vécu et l'action au présent. Récit d'une renaissance,  John Carter laisse parfois percer une fragilité et une beauté romantique (notamment dans son épilogue) qui rendent le tout attachant, malgré un rythme mal tenu.

15/03/2012

Etat des lieux du cinéma indépendant US : Martha Marcy May Marlene / Bellflower

 Bellflower : 3 / 5
Martha Marcy May Marlene : 4 / 5

Pour ceux qui feraient encore l'amalgame entre cinéma américain et Hollywood, il est bon de rappeler qu'il existe un cinéma indépendant aux États-Unis. Le festival de Sundance met chaque année sous les projecteurs cette partie moins connue du 7ème art outre-atlantique : après Take Shelter et Another happy day sortis en début d'année, les sorties de Martha Marcy May Marlene il y a deux semaines et de Bellflower le 21 mars sont l'occasion de découvrir la moisson 2011 du festival, un peu plus d'un an après. Réalisés et écrits par des auteurs  relativement jeunes (de 26 à 33 ans), que nous disent ces films sur l'état du cinéma et de la société outre-atlantique ?






A la vision des quatre films arrivés de l'édition 2011 du festival de Sundance, un constat s'impose, celui de l'influence du cinéma américain moderne des années 70. Another happy day de Sam Levinson, avec sa narration éclatée entre une multitude de personnages, utilise une forme de récit dont le représentant le plus significatif reste Robert Altman, avec notamment Un mariage en 1978 : le choix du réalisateur de baigner sa comédie cruelle dans une lumière douce qui "renvo[ie] aux films des années 60 et 70, plus qu'à ceux d'aujourd'hui"[1]  participe de cet héritage formel. Jeff Nichols, réalisateur de Take shelter, est quant à lui régulièrement associé à Terrence Malick : en plus de leur origine commune du Midwest, les deux auteurs font de la nature une composante essentielle de leur cinéma, même si elle est utilisée à des fins bien différentes (les paradis perdus de Malick ont peu à voir avec les éléments menaçants de Take shelter). On pourra citer de la même façon Malick et ses Moissons du ciel (1978) pour la description de la communauté de Martha Marcy May Marlene : à la différence que l'image idyllique d'une vie fermière en harmonie avec la nature cache aujourd'hui la réalité sordide d'une secte qui aliène ses membres, physiquement et psychologiquement. Le rêve de liberté propre au road-movie des années 60-70 (Easy rider ou Badlandsde Malick encore) réalisé dans la première partie de Bellflower trouve quant à lui son pendant obscur dans un retour au réel violent placé sous le signe d'une "muscle car" tout droit sortie de l'apocalyptique Mad Max (1979). Les trois derniers films illustrent bien le pessimisme à l'œuvre dans le cinéma indépendant, reprenant les espaces d'utopies encore possibles dans les années 70 (la nature, la route) pour les pervertir ou les présenter comme des rêves illusoires. 



Quel bilan dresser de ces échos aux années 70 ? Peut-être celui d'une génération désabusée face à une économie en crise comme une autre avait pu l'être au sortir des années 60 dont les espoirs avaient été brisés (assassinats des Kennedy et Luther King, guerre du Vietnam, corruption politique). Le cinéma indépendant américain actuel reflète donc la crise, mais plus largement une difficulté à exister qui se manifeste par le recours narratif à une folie plus ou moins aggravée. Les personnages de Another happy day ne parviennent pas à gérer leurs émotions, allant vers l'hystérie ou la dépression suicidaire ; le héros de Take shelter est hanté par les visions du déluge, symptômes possibles d'une schizophrénie paranoïaque ; Martha ne parvient plus à se situer dans le présent suite à son séjour traumatisant dans une secte ;  Bellflower regarde le monde à travers un prisme déformé, celui d'une "réalité augmentée"[2], avant de plonger finalement le spectateur dans l'esprit torturé d'un personnage brisé. 


Dans ces variations sur le thème de la folie et de l'inadaptation à la normalité, l'originalité tient souvent au style et trop rarement au propos. C'est le reproche que l'on peut faire au Bellflower d' Evan Glodell. Le film est esthétiquement insolite : des caméras bricolées permettent d'obtenir de larges zones de flou et des couleurs saturées, qui produit une impression de flottement sensoriel pour un récit où les affects des personnages sont exacerbés. Malheureusement le tout manque un peu de profondeur et finit par ressembler à un clip poseur, s'enfermant dans la dépression geek et un peu adolescente de ses protagonistes mal dessinés et globalement peu attachants. Glodell propose ça et là de beaux éclats de folie incandescente, entre pyromanie et bolide "customisé", mais ces éléments sont trop minoritaires pour maintenir l'attention du spectateur. En regard de l'aspect créatif bricoleur enthousiasmant de ce film auto-produit au budget infime de 17000 $, on aurait en somme aimé une histoire  qui vaille vraiment la peine d'être racontée.

  
Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin, prix de la réalisation à Sundance, est beaucoup plus convaincant. Sa beauté formelle est au service d'un récit glaçant : la fuite de Martha de la secte au début du film, loin d'apporter le salut attendu, débouche sur une réinsertion douloureuse dans la normalité sociale. Alternant flashbacks de plus en en plus angoissants et mal-être au temps présent, Martha Marcy May Marlene crée une tension constante , portée par la formidable Elizabeth Olsen . Avec une maturité de jeu impressionnante, l'actrice arrive à incarner à merveille dans une partie du film l'aliénation progressive de Martha finalement dépossédé de son identité, et dans l'autre son détachement et sa révolte désespérée en réaction à un monde ordinaire où elle n'a plus sa place. Face à elle, le charismatique John Hawkes est hallucinant en gourou à la silhouette élégante et au look "springsteenien", dont l'autorité calme est un des éléments les plus inquiétants de ce film fascinant.

[1]  Propos de Sam Levinson lors d'un entretien accordé pour e dossier de presse de Another happy day.
[2]  Selon la formule d' Evan Glodell dans le dossier de presse de Bellflower.

12/03/2012

Cheval de guerre : le galop des émotions

Cheval de guerre : 3,5 / 5
  
Avec le premier volet des Aventures de Tintin, Spielberg explorait à fond les possibilités du numérique et du procédé du "motion capture" au service d'un film trépidant à défaut d'être émouvant. Par contraste, Cheval de guerre est un retour aux émotions mélodramatiques et aux formes d'avant les images digitales. Sortie à Noël aux Etats-Unis, cette adaptation d'un roman pour enfants s'adresse en premier lieu à un public jeune. Pour autant, les plus âgés ne peuvent-ils y trouver leur compte ?


On a envie de citer en préambule du film de Spielberg celui de La belle et la bête de Jean Cocteau : "L'enfance croit ce qu'on lui raconte et ne le met pas en doute [...] Elle croit mille [...] choses bien naïves. C'est un peu de cette naïveté que je vous demande [...]". Sur le papier, cette histoire d'un cheval au courage et à la volonté extraordinaires, pris dans le tumulte de la première guerre mondiale, laisse sceptique :  l'anthropomorphisme à l'œuvre pour tous les animaux, du canard de basse cour aux chevaux solidaires dans l'adversité, menace de faire tomber le tout dans la niaiserie. Le talent de Spielberg est de parvenir malgré tout à nous faire nous émouvoir du destin de son héros équidé, à nous emporter dans son récit hyperbolique. Roi des manipulateurs, le réalisateur guide nos émotions comme peu d'autres, aidé par la musique dramatique de John Williams. A quoi tient cette empathie si forte avec le cinéma de Spielberg ? Peut-être avant tout à l'absence totale de cynisme de ce "story teller" qui croit sincèrement en ce qu'il nous raconte. Il est alors peu surprenant qu'un de ses films les plus faibles soit la comédie 1941 où le second degré tombe à plat.


Cheval de guerre n'est pas sans défauts pour autant, faisant se succéder sur deux heures et demie les péripéties d'une fresque aux épisodes plus ou moins inspirés. Malgré la présence de Peter Mullan, Emily Watson et David Thewlis, la première partie (soit près d'une heure) qui se situe dans la campagne du Devon, sans être honteuse, n'arrive pas à intéresser durablement ; Spielberg est plus à l'aise une fois la guerre en action, et le passage du cheval dans les mains d'une compagnie offre une demi-heure admirable, entre un humanisme digne de John Ford et la charge épique d'un camp allemand, véritable morceau de bravoure cinématographique. Au fur et à mesure que le film s'enlise dans la guerre, Spielberg ose une noirceur désespérante pour dire l'horreur de la guerre, jusqu'au décor gothique et hallucinant des tranchées obscurcies par le brouillard, la nuit ou la neige. Perdu au milieu ce décor de désolation, l'animal héros est le vestige d'une noblesse et innocence d'avant la folie de la guerre, un symbole d'espoir vibrant. On peut trouver ce discours pacifiste un peu simpliste après-coup mais le tour de force de Spielberg est de nous y faire croire sur le moment.

11/03/2012

Les infidèles : la monstruosité masculine pour rire

Les infidèles : 3 / 5

Avec Les infidèles, l'intention affichée par Jean Dujardin et Gilles Lelouche est de retrouver la liberté de ton des Monstres de Dino Risi, satire mordante de la société italienne des années 60. Si le film garde de son modèle un format de sketches indépendants les uns des autres, le champ d'action moins ambitieux est ici restreint à l'adultère. La présence d'un collectif de réalisateurs à la tête du projet s'offre alors comme un moyen de sortir de ce carcan thématique en offrant une variété de points de vue sur le sujet. Se pose alors la question de la cohérence du tout, comme dans l'inégal Paris je t'aime où des épisodes brillants en côtoyaient d'autres beaucoup moins inspirés. 


Vendu comme une comédie, Les infidèles l'est-il vraiment ? Oui, en partie. Les courts intermèdes entre les six parties les plus conséquentes du film sont des saynètes explicitement comiques qui trouvent leur prolongement dans un avant-dernier sketch grotesque : dans cette parodie d'une réunion d'alcooliques anonymes, les acteurs s'en donnent à cœur joie dans le registre de la caricature  (mention spéciale au look improbable de Guillaume Canet). Dans la même catégorie, on retrouve une ton grinçant et un verbe fleuri qui rappellent Bertrand Blier pour le prologue, puis Dujardin en héritier du Jean-Claude Duss des Bronzés à la recherche d'une partenaire dans un séminaire et une escapade finale à Las Vegas dans la lignée de Very bad trip. On sourit, on rit même parfois devant ces sketches inégaux mais par moments réjouissants. 


Les deux autres épisodes, placés judicieusement l'un à la suite au centre du film, prêtent nettement moins à rire : tandis qu' Eric Lartigau décrit la relation illusoire entre un quarantenaire (Lellouche, convaincant) et une "Lolita" pleine de vie, Emmanuelle Bercot ouvre sur un contrechamp féminin en faisant participer le couple Dujardin / Alexandra Lamy à un jeu de la vérité. On est alors nettement plus du côté d' Eyes wide shut, auquel on pense dans un échange de regards final, que de la légèreté d' "Un gars, une fille". Au jeu du sketch le plus réussi, Bercot remporte la palme en parvenant à s'affranchir le plus efficacement des lieux communs sur l'adultère dans un film dont le défaut est de rester trop souvent à la surface de son sujet.


Si les épisodes proposés sont d'une qualité relativement homogène, il se dégage en effet quelque chose d'un peu superficiel de l'ensemble. La limite du film est de faire se succéder des vignettes amusantes ou graves sans en creuser réellement le sens : la crise de la quarantaine bien présente n'est qu'effleurée dans le sketch de Lartigau, les raisons qui poussent un personnage lourdeau à tromper une femme aimante ne sont jamais éclaircies dans le sketch de Hazanavicius. Le plaisir que Dujardin et Lellouche ont pris à la conception des Infidèles est palpable, leur ambition de mêler les genres louable ; le film n'ébranle cependant aucun statu quo durablement, et ce n'est pas une pirouette finale "gagesque" qui changera la donne.

07/03/2012

Something for the week : Oslo, 31 août / Ce qui restera de nous

Oslo, 31 août : 4 / 5
Ce qui restera de nous : 3,5 / 5




Libre adaptation du Feu follet de Pierre Drieu de la Rochelle, Oslo, 31 août de Joachim Trier remplace le Paris du roman par la capitale norvégienne. Le film de Trier s'ouvre un montage de plans hétérogènes où se mêlent vues de Oslo désert, vidéos amateur et images d'archives, associé à des témoignages divers en voix off : on ressent l'impression d'un décor habité par les souvenirs de présences désincarnées. Une absence, un détachement du monde au présent est palpable dans cette introduction qui annonce celui du personnage principal. Anders, trentenaire en fin de cure de désintoxication, retourne pour un entretien d'embauche à Oslo où il a brulé ses vingt ans ; il profite de l'occasion pour renouer avec ses connaissances passées, seul lien avec un monde dans lequel il ne trouve plus sa place. Jouant de faibles profondeurs de champ et de la profondeur apportée par le 35 mm, la mise en scène crée des espaces flous qui traduisent l'impossibilité de Anders de s'intégrer à son environnement. Cet état trouve sa plus belle expression dans une scène de restaurant où le personnage seul observe le monde et les vies d'inconnus alentours, décrochage virtuose du récit où se dessine la beauté tragique des solitudes. Si le film peut s'avérer un peu trop bavard par moments, explicitant et soulignant inutilement ses thèmes, il produit souvent un sentiment d'exaltation dans sa captation de la fragilité de la vie.


Le film de Joachim Trier aurait pu tout aussi bien s'appeler Ce qui restera de nous, comme le premier film de Vincent Macaigne. Après son arrivée au premier plan cinématographique dans les deux films de Guillaume Brac (Le naufragé et Un monde sans femmes), le metteur en scène de théâtre a donc lui aussi l'honneur de voir son court métrage, grand prix du festival de Clermont-Ferrand, sortir sur grand écran. C'est l'occasion de découvrir un étrange objet que le réalisateur décrit lui-même comme "un brouillon [...] pour apprendre"[1]. Macaigne fait le choix d'assurer tous les postes à la conception du film, et le résultat technique s'en ressent un peu : l'image et le son y sont bruts, les cadrages un peu trop travaillés. La relative absence de découpage au profit de longs plans d'ensemble où les acteurs jouent sans interruption trahit quant à elle les origines théâtrales de Macaigne. Et pourtant une énergie indéniable se dégage de l'ensemble. Enfin, Ce qui restera de nous n'hésite pas à aller dans la cruauté pour conter le sort de deux frères que tout oppose, et son film parvient à provoquer des réactions aussi contrastées que le rire et l'effroi : le rire dans le regard sarcastique que le frère cadet pose sur le monde, l'effroi lors d'une scène hystérique et terrifiante de récriminations conjugales. Ces deux aspects témoignent de la force du film, sa capacité récurrente à surprendre et à interpeller. Ajoutons à cela une certaine grandeur mythique inattendue dans les personnages (le frère cadet à la fois fou lucide et roi fou, une femme effacée qui se transforme en Furie), et on est impatient de voir le prochain essai cinématographique de Macaigne.

[1] Propos cités dans le numéro de février des Cahiers du cinéma, pour l'article "Vincent Macaigne, pour un art vivant".

03/03/2012

Something for the weekend : Bullhead, Extrêmement fort et incroyablement près

Bullhead :  4,5 / 5
Extrêmement fort et incroyablement près : 3 / 5


Premier film du cinéaste belge Michaël R. Roskam, Bullhead impressionne par sa maîtrise. La bande-annonce faisait attendre un polar formellement brillant , dans la lignée de Drive, mais le film dépasse largement le simple exercice de style en proposant la richesse d'un  "background" à ses personnages, ce qui manquait selon moi dans le film de Winding Refn. Roskam décrit son œuvre comme "une tragédie d'inspiration shakespearienne"[1] et si la référence au barde d'Avon est un lieu commun dans le genre du film noir, l'exploit réalisé est d’être à la hauteur de cette ambition. Comme dans le théâtre shakespearien, le réalisateur-scénariste a l'audace de commencer son film "in medias res", sans réelle exposition : le spectateur comprend assez vite que l'action se déroule dans le milieu de la mafia des hormones bovines, mais l'identification de tous les protagonistes et de leurs rôles prend un certain temps. Le récit ne dévoile d'abord pas tout, cultive le non-dit, et ce n'est qu'après les retrouvailles entre Jacky et Diederik autour desquels s'articule l'intrigue complexe que le voile commence à se lever sur les personnages nimbés de mystère. 

Une fois les enjeux intimes mis en place le récit se déroule de façon admirable, créant une tension constante tout en prenant des détours inattendus dont le sens n'apparaîtra que plus tard. Quelque chose dépasse les spectateurs mais aussi les personnages, une mécanique liée à l'ordre du monde propre aux tragédies. La réussite de Bullhead tient aussi à une compréhension de la présence essentielle de ressorts comiques dans les tragédies shakespeariennes : deux garagistes deviennent alors les dignes successeurs des fossoyeurs de Hamlet. Bullhead procure le plaisir rare d'un film aussi réussi sur la forme que sur le fonds, avec en prime deux acteurs exceptionnels : l'impressionnant Matthias Schoenarts, hybride entre Tom Hardy et Mads Mikkelsen, et Jeroen Perceval, qui s'impose en antihéros ordinaire.


Une autre tragédie, cette fois-ci bien réelle, celle des attentats du 11 septembre 2001, est au centre de Extrêmement fort et incroyablement près. Le film, adaptation d'un roman à succès, traite du deuil impossible par Oskar, un enfant original aux tendances surdouées, de la mort d'un père piégé dans les tours jumelles : on suit alors les déambulations de ce personnage narrateur à travers New York, à la recherche du secret qui se cache derrière une mystérieuse clef laissée par son père. Si la limite du film est un certain pathos obligé mais parfois lassant, l'investissement sans concession que l'on ressent de la part d'interprètes remarquables (Tom Hanks, Viola Davis, Sandra Bullock, le jeune mais prometteur Thomas Horn) laisse une impression globale positive. Et puis pour ceux qui n'auraient jamais vu à l’œuvre l'excellent Max Von Sydow, le film est à ne pas manquer : habitué d' Ingmar Bergman, le Suédois souvent présent dans des seconds rôles trouve enfin l'occasion de donner la pleine mesure de son talent en incarnant un vieil homme meurtri qui accompagne Oskar dans ses recherches. La relation qui se noue entre les deux personnages est un des éléments les plus beaux de ce film sensible.



[1] Propos tenus par Michaël R. Roskam dans un entretien accordé à Positif et publié dans le numéro de mars de la revue.

02/03/2012

La mer à boire / L'hiver dernier : combats solitaires du quotidien

La mer à boire : 2,5 / 5
L'hiver dernier : 2,5 / 5

Après le héros endetté d'Une vie meilleure qui était contraint d'abandonner, La mer à boire et L'hiver dernier sortis ces jours-ci mettent à leur tour au premier plan des protagonistes combattifs qui luttent pour survivre dans une situation économique hostile. Pour George Pierret (Daniel Auteuil) dans le film de Jacques Maillot et Johann (Vincent Rottiers) dans celui de John Shank, c'est un espace professionnel mais aussi affectif qui est menacé : un chantier naval de luxe dans le premier cas, une ferme dans l'Aveyron laissée en héritage dans le deuxième. Bien qu'aucun des deux films ne soit totalement convaincants, leur rapprochement permet de préciser un certain archétype du héros  du quotidien confronté à un monde contemporain capitaliste et impitoyable.




Pierret et Johann trouvent tous les deux leur identité dans le travail. Le plan séquence qui ouvre La mer à boire dévoile un patron inscrit dans le monde de son chantier naval qu'il surveille et parcourt avec autorité et bienveillance, saluant ses employés à l'œuvre ; le jeune homme de L'hiver dernier se dessine peu à peu dans le brouillard, silhouette indistincte qui trouve son identité dans un lien à la terre et aux animaux d'élevage. Les premières minutes décrivent son travail mutique et solitaire dans le cadre idyllique d'une journée ensoleillée. Par des espaces immenses à ciels ouverts, le réalisateur décrit un "monde qui dépasse les personnages" mais qui "peut porter les personnages plutôt que de les écraser"[1]. Johann vit sans attaches, cherchant la compagnie nocturne d'une jeune femme (Anaïs Demoustier) que l'on devine amie d'enfance, avant de s'éclipser au petit matin : il se définit en fait dans la succession d'un père, poursuivant l'œuvre familiale. George Pierret est quant à lui hanté par le souvenir de sa femme défunte qui le renvoie à sa solitude au présent, un vide qu'il comble par une entreprise choyée comme une famille.



Au-delà de leur attachement familial à leur travail, les deux héros portent des valeurs, traditionnelles pour Johann, éthiques pour Pierret. Leur solitude leur permet de faire le choix de ne pas céder, de toujours croire à un combat pourtant perdu d'avance. Car que peuvent ses individualités face à des forces abstraites désincarnées, groupes financiers (dans La mer à boire) ou agricoles (dans L'hiver dernier) ? S'il y a un mouvement de groupe, il se fait toujours contre eux, qu'il s'agisse d'un blocage décidé par un personnel licencié ou d'un vote pour sortir d'un système de coopérative et se vendre à des gros producteurs. [spoiler] Leur isolement les conduit logiquement à un point de non retour, aux marges de l'humanité : tandis que Johann se cache dans l'étable en compagnie de son bétail, l'ancien patron finit par se décharger de la violence qu'il a subie dans un final inattendu [fin du spoiler].



Si Daniel Auteuil et Vincent Rottiers incarnent à merveille ces deux héros idéalistes,  les films ne sont pas toujours à la hauteur de leurs combats. La mer à boire choisit certes un point de vue original pour traiter de la crise qui traverse une PME, mais l'abandon de certains personnages en cours de route au profit du personnage central (notamment lors d'une escapade en Russie improbable) et quelques choix discutables (un banquier aux dents longues, un personnage d'ouvrier colérique d'abord intriguant puis caricatural) nuisent à la crédibilité du film. Quant à L'hiver dernier, un certain ascétisme "bressonien" dont le réalisateur se revendique en fait une œuvre souvent trop exigeante : faute d'un minimum de rebondissements le film en devient répétitif dans sa sécheresse monocorde, bien que toujours formellement intéressant.

[1] Propos tenus par John Shank dans le dossier de presse du film.