17/02/2016

Spotlight : l'engagement du journalisme

4 / 5

En 2001, les journalistes du Boston Globe sont dans l’expectative avant l’arrivée imminente de leur nouveau patron originaire de Floride, Martin Baron (Liev Schreiber). Robby Robinson (Michael Keaton) et son équipe de « Spotlight » semblent devoir être les premiers concernés par ce changement. Alors qu’ils avancent à tâtons sur une enquête au long cours, Baron leur demande de reconcentrer tous leurs efforts sur la suite d’un article accusant le cardinal de Boston d’avoir étouffé une histoire de pédophilie impliquant un prêtre. Commence alors une investigation dont les répercussions se feront sentir à l’échelle nationale et mondiale.


Dans la course aux Oscars, Spotlight fait un peu figure d’ « outsider », après être reparti bredouille des Golden Globes. Pourtant il s’agit bien là de ce que le cinéma américain peut offrir de meilleur, alliant une richesse de fond à un art du récit subjuguant. Tom McCarthy et son co-scénariste Josh Singer tirent le meilleur parti de la multitude de détails ayant entouré l’enquête de Spotlight pour offrir l’expérience d’immersion la plus complète pour le spectateur. On peut donc en premier lieu admirer le travail impressionnant de documentation des auteurs qui sont allés à la rencontre des différentes personnes impliquées dans l’affaire, journalistes mais aussi victimes ou avocats. Cette matière est ensuite sublimée par un sens de la synthèse et de l’organisation narrative exceptionnels. Rythmé par des dialogues à la précision virtuose et de discrets mouvements de mise en scène qui insufflent un véritable dynamisme, Spotlight enchaîne les séquences harmonieusement, passant d’un personnage à l’autre sans que le spectateur perde jamais le fil du récit.


Si le film passionne de bout en bout, c’est parce qu’il met bien en valeur tout ce que l’affaire de Boston contient de complexité. Très active socialement, venant en aide aux plus démunis, l’église catholique était bien implantée dans la ville et sa culpabilité impliquait une profonde remise en cause, ce qui peut expliquer le silence qui entourait les crimes perpétrés par ses prêtres. A partir de cette situation, McCarthy crée une tension dramatique constante dans une atmosphère de méfiance et de paranoïa. Le suspens est d’autant plus intense qu’au-delà des obstacles politiques on assiste aux difficultés de mise en place d’un article de journal, allant de la vérification laborieuse des faits et des sources aux décisions de plannings éditoriaux. Spotlight nous rappelle que faire éclater la vérité au grand jour a beau être nécessaire d’un point de vue éthique, c’est loin d’être une entreprise aisée.



Raison de plus pour rendre hommage au travail des journalistes de « Spotlight » mis à l’honneur par des acteurs au sommet de leur art. Ayant souvent rencontré et étudié ceux qu’ils incarnent, les interprètes livrent des prestations soufflantes de vérité, débarrassées de tout glamour hollywoodien et débordant d’autant plus d’humanité. McCarthy et Singer ne jugent quant à eux jamais les intervenants de l’affaire, chacun étant en proie à ses propres conflits et doutes. Leur choix d’éviter une quelconque reconstitution de scènes de crimes illustre bien la rigueur morale de Spotlight. On ne connaîtra au final les faits que par les récits bouleversants des victimes, à l’exception d’une brève rencontre troublante avec un des prêtres coupables d’attouchements. Evidemment cette violence nous révolte à juste titre, mais s’en prendre directement à leurs auteurs individuels est moins important que la remise en cause du système qui la dissimule et la protège. Spotlight nous parle d’un journalisme qui sait prendre de la distance et de la hauteur, qui ne se contente pas de relayer les informations sans regard analytique. A l’heure où domine dans les médias et sur internet la course aux gros titres tapageurs et au "buzz", il y a là beaucoup à méditer.

12/02/2016

Chocolat : un artiste exceptionnel sorti de l'oubli

3 / 5

En France, à la fin du dix-neuvième siècle. Le clown George Footit a bien du mal à convaincre. Après que son numéro ait été refusé par un cirque, il découvre parmi la troupe de ce dernier un artiste noir qui joue les cannibales. Impressionné par sa présence physique et son jeu, George lui propose de former un duo comique. Footit et Chocolat rencontrent vite le succès, et emmènent jusqu’à Paris leurs numéros innovants de clown blanc et Auguste noir.


L’acteur Roschdy Zem s’était lancé dans la réalisation en 2006 avec Mauvaise Foi, comédie modeste mais réussie qui traitait avec justesse de l’union à mixité religieuse. Plus ambitieux, son deuxième métrage Omar m’a tuer proposait une reconstitution efficace de l’affaire Omar Raddad portée par l’interprétation puissante de Sami Bouajila. Production encore plus ample, Chocolat impose finalement Zem comme un représentant du cinéma français populaire de qualité.



On peut rapprocher la réussite artistique du métrage de celle du Marguerite de Xavier Gianolli sorti l’année dernière. Ces deux portraits d’artistes méconnus (un peu à raison il est vrai pour l’aristocrate incarnée par Catherine Frot) procurent le même plaisir du romanesque propre au film d’époque en même temps  qu’ils offrent des pistes de réflexion sur l’art et son rapport avec la société. La clef des destins tragiques décrits par les deux films tient finalement au décalage de perception entre les interprètes et leur public. Alors qu’elle s’imagine avoir un réel talent de chanteuse lyrique, Marguerite est en réalité la risée des milieux bourgeois ; Chocolat, de son vrai nom Rafael Padilla, se fait des illusions en pensant pouvoir s’élever au dessus de son rôle de clown souffre-douleur pour devenir un acteur de théâtre respectable. Chocolat a d’abord pour belle vocation de rappeler l’existence de ce premier artiste noir à avoir connu le succès en France, à une époque où le racisme ordinaire et colonialiste s’affichait encore dans les expositions universelles.



Attaché au projet du film dès ses premières phases de production, Omar Sy se montre à la hauteur de son rôle le plus complexe à ce jour, faisant aussi bien appel à son énergie comique qu’à un registre dramatique nuancé. A ses côtés James Thierrée, homme de théâtre et circassien, livre une prestation saisissante : il campe un Footit austère et  ambigu qui garde jusqu’à la fin du métrage une part de mystère fascinant. Le duo d’acteurs fait des étincelles lors des séquences de représentation mises en scènes par Thierrée, où le film prend son envol. On est souvent ravis par leur virtuosité burlesque, mais c’est aussi au détour de ces divertissements d’apparence anodine que peuvent se jouer en quelques regards et gestes la naissance du succès ou le début de la chute.