30/11/2011

Donoma : faire-part du cinéma indépendant français

3,5 / 5

Pour son premier long métrage Donoma, Djinn Carrénard est passé par un mode de création atypique, où indépendance rime avec omniprésence : le réalisateur-scénariste y occupe également le poste de chef opérateur, preneur de son et monteur, et trouve encore la place pour faire l’acteur. Et il ne s’agit que de la production et de la post-production du film, Carrénard ayant assuré ensuite sa promotion via facebook, un site internet, les « flash mobs » ou la distribution de « flyers », et accompagnant actuellement son film en tournée dans toute la France à bord d’un bus.  Le budget emblématique et modique de Donoma de 150 euros, pour l’achat d’un costume qui n’a pas été utilisé dans le film selon son réalisateur, trouve sa contrepartie dans l’investissement personnel intense lié à ce système D. La présence de Donoma sur les grands écrans, même le si nombre de copies  est réduit (deux salles le passent sur Paris), constitue déjà en soi la réussite du projet de Carrénard de s’imposer dans le paysage cinématographique français sans passer par les circuits traditionnels.  Pour autant, le film laisse-t-il comme le suggère Abdellatif Kechiche (L’esquive, La graine et le mulet) « présager une nouvelle ère pour le cinéma français »[1] ?


L’enthousiasme de Kechiche pour Donoma est prévisible dans ce que le film suit en grande partie la voie d’un cinéma social et actuel qu’il avait inaugurée avec L’esquive. On y retrouve le même langage contemporain où se mêlent français et « verlan », la même énergie stimulante dans la tchatche produite par des dialogues largement improvisés. Sauf que là où L’esquive s’inscrivait explicitement dans le marivaudage, la description des rapports amoureux faite par Carrénard est plus brutale, axée sur la domination plus que sur le partage, reflet du désœuvrement d’une société individualiste. Par sa matière filmique, son esthétique de coupes brutales, ses mouvements de caméra inopinés et ses mises au point du flou au net en direct, Donova évoque plutôt le magma cinématographique caractéristique du père du cinéma indépendant américain, John Cassavetes. C’est dans la violence de cette forme esthétique instable que les rapports conflictuels de désir entre un élève et son enseignante trouvent leur  pleine mesure, le réalisme cru de l’issue de leur confrontation inaugurale neutralisant toute possibilité d’élévation romantique. Comme le cinéma de Cassavetes, le film joue sur les ruptures de ton à l’intérieur des scènes et l’imprévu : la scène où une jeune femme entraîne son amant dans une danse frénétique avant de le jeter à la porte de chez elle évoque les moments d’ébriété de Faces ou les sautes d’humeur de l’héroïne d’ Une femme sous influence. Dans cette fougue incandescente des conflits captés sur le vif, Donova se montre efficace.

         
Il l’est beaucoup moins lorsqu’il essaie de prendre de la hauteur formellement, ou d’atteindre un lyrisme : l’intrigue mise en abyme d’une photographe amateur qui décide de vivre une histoire d’amour mutique avec le premier venu devient vite une pose artistique irritante, tandis que la rencontre finale entre une athée et un skinhead repenti dans une église fantasmée frise la caricature. On lui préférera d’autres moments à la mise en scène plus simple et directe, tels que l’échange philosophique informel qu’a la même athée avec un de ses amis chrétiens, en réclamant son droit à l’athéisme comme une conviction anti-religieuse aussi puissante que la foi. 


Film en marge, Donoma donne à voir sans fard le hors-champ habituel du cinéma politiquement correct : les problèmes de logement, la maladie sans pathos, le désarroi adolescent … Malgré les quelques réserves que l’on peut émettre devant ce premier film excessif (par sa durée et son ambition), Djin Carrénard est un jeune réalisateur (30 ans, le même âge que Cassavetes à la sortie de son premier film Shadows) d’un enthousiasme et d’une énergie communicatifs. On lui souhaite de transformer son essai et de garder sa personnalité tout en s’intégrant dans le circuit traditionnel pour son prochain film dont la production est déjà lancée. Rappelons que Cassavetes avait répondu aux sirènes d’Hollywood  après Shadows, pour déchanter ensuite après deux échecs commerciaux et revenir avec réussite et de façon définitive à un mode de production indépendant à partir de Faces. La nouvelle ère qu’ouvre Donova est peut-être celle d’un choix similaire devenu possible en France entre deux modes de production. Gageons que cette nouvelle donne ouvrira la voie à d'autres créateurs de talents.


[1] Dans le dossier de presse du film édité par l’Acid (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion)

26/11/2011

something for the weekend (1) : Il était une fois en Anatolie, 50/50 et Les neiges du Kilimandjaro

Le but de cette rubrique hebdomadaire et informelle est d’offrir des avis plus concis sur certains films que j’ai vus et qui ne bénéficient pas d’un traitement en article plus approfondi (ce qui ne présage en rien de leur qualité).

Il était une fois en Anatolie : 5 / 5 
50/50 : 3 / 5
Les neiges du Kilimandjaro : 4 / 5




La critique française de cinéma, consciente de ses goûts parfois élitistes, prévient régulièrement le public de l’exigence de certaines œuvres qu’elle défend avec enthousiasme. C’est le cas pour Il était une fois en Anatolie, film du turc Nuri Bilge Ceylan qui a partagé le Grand Prix du dernier festival de Cannes avec Le Gamin au vélo : les louanges se mêlent à une mise en garde du spectateur par rapport à la lenteur et la longueur du film qui dépasse les 2 H 30. Cette durée excessive constitue certes un obstacle a priori, mais il convient de constater qu’il y a dans les « blockbusters » américains à succès une tendance actuelle à dépasser allègrement le cap de la deuxième heure, qu’il s’agisse d’Avatar, The dark knight, Inception ou de chacune des deux parties du diptyque qui conclut la saga Harry Potter : si le cinéma grand public fait fi des problèmes de durée, pourquoi le cinéma d’auteur devrait-il s’en soucier ? Il était une fois en Anatolie demande assurément que l’on se laisse porter par son récit d’une errance dans la campagne turque, mais il s’agit surtout d’une œuvre forte à la portée universelle. 

Sa mise en scène précise et originale, la beauté sidérante de ses plans nocturnes et son intrigue dépouillée devenue drame existentiel en font un chef d’œuvre d’une évidence mystérieuse. Déroutant, déjouant les attentes du spectateur en délaissant les plaisirs de son récit policier qui piétine (rappelant par instants le formidable Memories of murder), le film de Nuri Bilge Ceylan est peuplé de personnages passionnants car profondément humains, incarnés avec subtilité par des acteurs extraordinaires. Pour résumer en reprenant les propos de son réalisateur, Il était une fois en Anatolie exige de son spectateur une disponibilité proche de l’immersion dans la lecture, hélas devenue rare en cette époque de loisirs multiples et immédiats. Véritable expérience de cinéma, le film provoquera au choix l’ennui interminable ou l’adhésion la plus totale mais ne laissera personne indifférent. 


Pour ceux en recherche de plaisirs cinématographiques plus accessibles, 50/50 est à recommander. Cette comédie dramatique sensible où un jeune homme est confronté à un cancer bénéficie du vécu de son scénariste, qui lui permet de trouver le ton juste dans les situations dramatiques comme peut le faire  Intouchables. Avec toutefois une mise à distance par l’humour moins systématique, malgré l’efficacité comique de  Seth Rogen en pote un peu lourdaud. Entre comédie et drame, la finesse du film est de se faire suivre une scène politiquement incorrecte où Adam (Joseph Gordon-Levitt, convaincant) plane après avoir fumé un pétard et est hilare devant les signes de la tragédie intime du cancer vécue par les proches d’un mort, et une scène de souffrance de nuit où il se réveille pour vomir. En dehors d’Adam, il y a chez tous les personnages de 50/50 une vraie fragilité qui les rend attachants et permet de faire poindre l’émotion. En plus de son caractère touchant, le film de Jonathan Levine permet de retrouver la trop rare Angelica Huston et de confirmer qu’ Anna Kendrick mérite mieux que les quelques plans de coupe où on la retrouve dans Twilight : Révélation. Dans la lignée de Judd Apatow,  50/50 est donc un film sympathique qui a le mérite de traiter de front la maladie qui fait partie de son sujet.


Enfin, pour ceux à la recherche d’un « feel good movie » et d’une atmosphère ensoleillée, Les neiges du Kilimandjaro est vivement conseillé. Contrairement à ce que laisserait entendre le titre du film, on n’y retrouvera cependant pas de paysages africains exotiques mais Marseille, ville d’origine et donc décor de prédilection du réalisateur Robert Guédiguian. A partir de la noirceur d’un fait divers, l’auteur livre une fable sociale euphorique et chaleureuse où l’ héroïsme trouve sa place dans la simplicité du quotidien. Le film se situe au croisement idéal de Marcel Pagnol, pour le regard sympathique posé sur les personnages et l’accent chantant du Sud, et de Frank Capra, pour la foi qu’il affirme dans une générosité et solidarité entre les hommes. L’absence de cynisme du film le fera passer pour naïf et peu crédible auprès de certains, mais elle constitue une bouffée d’air frais dans le contexte social morose. D’une écriture simple et belle, incarné par des acteurs convaincus et convaincants, Les neiges du Kilimandjaro, encore plus qu’ Intouchables à mon sens, prouve qu’un cinéma populaire sincère et de qualité est possible.

24/11/2011

Twilight Révélation : un film sans mordant

0,5 / 5

Phénomène littéraire puis cinématographique, la saga Twilight demande que l'on s'attarde sur son cas. N'ayant pas lu les romans de Stephanie Meyer, je ne jugerai ici qu'à partir de leur adaptation, sa présence en tant que productrice laissant entendre qu'elle cautionne la vision de son œuvre qui y est proposée. Le report de la conclusion de la licence lucrative à la fin de l'année prochaine amène à se demander si, en dehors de l'argument mercantile, le chapitre final de la saga Twilight nécessitait un découpage en deux films. Surprise, à la clôture de la première partie de Révélation, cette coupure se justifie dans ce qu'un retournement de situation crée un « avant » et un « après ». Pour autant, le spectateur ressort-il satisfait du film de Bill Condon ?


La satisfaction dépendant en grande partie des attentes que l'on place dans un film, il convient de rappeler que Twilight, malgré la présence de vampires et loup-garous, n'est pas une série d'épouvante, mais lorgne davantage vers le drame sentimental pour adolescents. Finalement, l'utilisation des créatures fantastiques est surtout le prétexte à une intrigue qui fait s'affronter des clans rivaux, au milieu desquels évolue l'héroïne tiraillée, Bella, sur un schéma narratif qui emprunte à Roméo et Juliette plus qu'à Bram Stocker. Sauf qu'en lieu et place de la tragédie implacable shakespearienne, le film souffre d'une narration dont la tension se dilue au fur et à mesure que les conflits éclatent tels des pétards mouillés. Il faut assister  pour y croire à la scène d’action qui vient vaguement réveiller le spectateur somnolent en bout de séance, d'une laideur numérique incompréhensible étant donné le budget de 127 millions de dollars. Le chaos du montage de ces scènes ferait quant à lui passer Michael Bay pour un orfèvre minutieux du cinéma d'action. L'aspect fantastique secondaire est en fait globalement négligé, aboutissant sur une scène improbable et risible où des loups en image de synthèse communiquent par télépathie. En tant que film fantastique porteur d'une promesse de spectacle, Révélation échoue donc lamentablement.


L’accent de Révélation est alors logiquement porté sur l’intrigue sentimentale et le triangle amoureux formé par ces trois personnages principaux. D’un côté, l’amour noble des âmes sœurs que propose Jacob par l’intermédiaire d’un rituel naturel de dévotion appelé « imprégnation » (sic) ; tandis qu’Edward Cullen offre la voix d’une passion destructrice finalement choisie par Bella. Il y a sur le papier un romantisme brûlant et tourmenté dans le couple entre l’humaine et le vampire, qu’illustrent les hématomes, marques de la violence d’une nuit de noces ou une grossesse monstrueuse qui fait prendre à celle qui la subit une allure de cadavre. Sauf que l’on n’est ni chez Polanski, ni chez Cronenberg et que ces belles idées sauvages et noires tombent à l’eau dans un film qui ne veut pas se priver du public des jeunes adolescents. La violence non intentionnelle d’Edward lors de ses transports l’amène donc à fuir les avances de Bella, le couple substituant le jeu d’échecs aux jeux de chambre (sic) ; et l’accouchement brutal autour duquel a plané la menace d’une restriction sévère par les censeurs se déroule dans une débauche de style épileptique qui ne traumatisera personne. 


Atténuant ses possibles aspérités, Twilight serait donc simplement un film insipide d’une grande platitude s’il ne proposait pas au détour d’une de ses première scènes une morale douteuse qui le rend détestable. À la veille de leur mariage, Edward confesse à Bella le fait d’avoir tué par le passé, poussé par ses instincts de vampire, avant de préciser qu’il ne s’agissait d’individus aux intentions louches ; la future mariée rassurée lui explique qu’il a certainement plus sauvé de vies par ces actes qu’il n’en a ôtées. Le cas de conscience réglé, le film ne fera plus référence à ce bref épisode. Belle façon de justifier la peine de mort, vraiment…

23/11/2011

Les nouveaux chiens de garde : la critique féroce et jouissive des médias

 4 / 5
           
Les nouveaux chiens de garde est adapté de l’ouvrage de Serge Halimi qui s’inscrit lui-même dans le prolongement d’un livre de Paul Nizan intitulé Les chiens de garde . En 1932, Nizan dénonçait les philosophes de son époque complices de la bourgeoisie au pouvoir qui relayait ses idées sous couvert d’autorité intellectuelle ;  pour Halimi, la problématique du pouvoir manipulant les masses s’est déplacée aujourd’hui dans une collusion entre la classe politique, le monde des grands patrons et celui de la presse. Documentaire à charge, le film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat développe la thèse de Halimi en démontrant preuves à l’appui l’imposture de l’objectivité journalistique affichée par les médias.


Avant de traiter la situation actuelle du journalisme, le film a recours à une archive du début des années 60 du ministre de l’Information venu présenter à la télévision française le changement de forme du journal télévisé décidé par le gouvernement : en réaction à ses images, Anne Sinclair et Christine Ockrent présentes sur un plateau de télévision sont les premières à constater le progrès heureux de ce « stalinisme » vers l’indépendance des journalistes, le choix par Ballastre et Kergoat de ces deux intervenantes femmes d’ hommes politiques n’étant évidemment pas innocent. Afin de mieux dénoncer l’hypocrisie du monde journalistique, le film a ainsi recours à un humour satirique qui fonctionne par l’écart  entre le discours des membres de la presse sur leur métier et la réalité des faits : le commentaire off qui reprend le discours les spots publicitaires de la presse qui annonçant des médias incorruptibles rentre en contradiction avec la complaisance montrée du côté des journalistes comme des représentants politiques. Refusant cette langue de bois, Les chiens de garde n’hésite pas à se moquer de ceux qu’il dénonce, quitte à aller jusqu’à la caricature. Les dirigeants des grands groupes sont réduits à des photos découpées collées sur des personnages animés, dans un style naïf qui rend bien la grossièreté du trait : Sarkozy devient le leader d’une horde de motards dont font partie Bolloré ou Lagardère. Ailleurs, le film a recours à la mise en situation fictionnelle afin d’évoquer l’omniprésence de quelques groupes privés à la tête des médias qui nous entoure. Que ce soit par la forme ou le procédé, le film ne se limite donc pas à l’objectivité analytique du film dossier mais opte pour un ton plus décontracté mais aussi plus militant. Si les Chiens de garde a recours à l’outrance, c’est parce qu’il n’est pas neutre, dans un sentiment de révolte par rapport aux pouvoirs qui manipulent le peuple.


On pourra reprocher au film un manque d’objectivité sur le sujet qu’il traite : son choix de faire appel en témoins à deux économistes évincés du cirque médiatique qui leur préfère Alain Minc ou Elie Cohen relève ainsi d’un conflit d’intérêts évident.  Mais ce manque d’objectivité n’est-il  pas un reflet de la fable inventée par les dirigeants et les spécialistes afin de mieux nous endormir ? Dans son aspect militant, Les chiens de garde se fait finalement la voix des absents des médias, cette majorité de la population qui ne fait pas partie de l’élite bourgeoise et parisienne : plus que les millions glanés par une classe de favorisés, c’est la condescendance dont font preuve les journalistes envers un éducateur des cités ou un membre de la CGT porte parole d’un « bossnapping » qui est révoltante. S’il existe en politique un concept d’ «opposition », Les chiens de garde propose simplement d’étendre ce principe au monde des médias, selon le principe de la multiplicité démocratique des points de vue . Le contre-pouvoir des médias dont font partie les auteurs du documentaire existe, via la presse imprimée comme Le Monde Diplomatique ou numérique comme l’association « Acrimed », mais sa visibilité est sans commune mesure avec le réseau d’information audiovisuel. Rétablissant partiellement l’équilibre des temps de parole, Les chiens de garde est un film nécessaire et à voir, dont l’intelligence est de donner à réfléchir tout en proposant un ton et une forme divertissants et non rébarbatifs.

19/11/2011

Contagion : un cinéma au réalisme distant et peu réjouissant

2 / 5    


Bien qu’il annonce son intention d’abandonner la réalisation pour se consacrer à la peinture, Steven Soderbergh semble pour autant ne pas être prêt à renoncer à son rythme de production stakhanoviste : alors que Contagion vient d’arriver sur nos écrans, et en plus de la sortie de Haywire prévue pour début 2012, le réalisateur indépendant travaille actuellement sur trois autres projets. Sa filmographie foisonnante a produit le meilleur comme le pire : la maîtrise de L’Anglais, Hors d’atteinte ou Ocean’s eleven y côtoient le désordre esthétique et narratif de Full Frontal ou Ocean’s twelve. On pourra néanmoins reconnaître l’intégrité d’ un cinéaste qui s’il s’entoure de stars a su contourner les système hollywoodien pour aboutir par exemple à la beauté hypnotisante de Solaris. En chercheur de formes originales et touche-à-tout, Soderbergh peut parfois s’égarer mais ses trouvailles sont à ce prix. Dans une logique d’exploration des genres divers, Contagion est une nouvelle expérience pour le réalisateur qui se lance ici le défi du film catastrophe.


Aux antipodes du grand spectacle hollywoodien caractéristique du film catastrophe établi depuis ses représentants des années 70 (L’aventure du Poséidon, Tremblement de terre, La tour infernale), Soderbergh opte pour une approche sobre et réaliste. En utilisant comme point de départ l’épidémie de SRAS de 2003 restée majoritairement confinée à l’Asie, Contagion imagine le pire et propose par la fiction la simulation crédible d’ une situation de crise sanitaire à l’échelle mondiale. Les principaux acteurs du film, plus que les personnages, sont le département de la santé américaine, l’ OMS et les médias.. Malgré son casting de luxe, le film de Soderbergh offre en fait peu d’occasions à ses acteurs de briller. L’ effacement du « star system » face au récit documentaire à échelle mondiale est annoncé dès les premières minutes et la mort de Beth Emhoff, pourtant incarnée par Gwyneth Paltrow et donc devenue personnage de premier plan éventuel. Son autopsie détaillée avec crâne ouvert achève de la dépouiller du glamour hollywoodien protecteur. 

En dehors des conventions du cinéma classique empathique, Contagion instaure un point de vue distancié envers ses personnages pour mieux embrasser une narration de grande ampleur, sans héros. Cependant, le film présente curieusement la limite de cette esthétique : alors qu’une membre de l’OMS (Marion Cotillard) observe des enregistrements de caméras de surveillance, le spectateur assiste quant à lui à une reconstitution des scènes visionnées avec un découpage classique à plans multiples type flash-back. Ce parti pris pourrait passer inaperçu si la présence de Gwyneth Paltrow dans ces scènes n’en devenait pas suspecte, comme un droit de temps de présence à l’écran rattrapé post mortem, lié à la présence de l’actrice en tête d’affiche.

  
L’ objectivité du récit de Contagion peut être mise en doute, une fois son montage inaugural qui suit les premières victimes aux quatre coins du globe passé. La présentation d’un monde scientifique occidental performant tandis que les pays asiatiques semblent dépendre de l’avancée de leur recherche de vaccin tombe dans les schémas manichéens du cinéma hollywoodien. La scientifique américaine qui découvre le remède à l’épidémie a beau refusé les lauriers, son supérieur lui rappelle qu’elle est malgré tout une héroïne des temps modernes qui a sauvé des millions de gens. Et cette référence finale aux vies innombrables sauvées est le signe de l’abstraction du film qui fait progressivement grossir le nombre de victimes de l’ épidémie sans que leur réalité soit jamais tangible.

Sous couvert de narration objective, Soderbergh choisit en fait majoritairement le point de vue des médias ou des autorités scientifiques, l’ épidémie existant par des discours de bureaux ou des échanges téléphoniques plus souvent qu’elle n’est montrée. A ces scènes dont le caractère répétitif se fait peu à peu sentir, on préférera la partie du récit plus concrète qui suit le veuf de Beth (Matt Damon) et aborde la déshumanisation d’une société où le maître mot devient la survie : entre film de zombie jouant sur la peur de la contamination et film de science-fiction mettant en scène un monde aux rues et centres commerciaux déserts, le film tenait là une vraie tension dramatique avec des enjeux plus concrets. A prendre de la distance pour mieux traiter son vaste sujet, Soderbergh en oublie hélas le plaisir simple du spectacle.

16/11/2011

Intouchables / Mon pire cauchemar : que demande le peuple ?

Intouchables : 3 / 5
Mon pire cauchemar : 2 / 5





Intouchables et Mon pire cauchemar, sortis à une semaine d’intervalle, ont recours à un même schéma classique de la comédie : la rencontre de deux personnages que tout oppose et qui deviennent finalement complices. Les deux films, plus que de proposer une simple opposition de caractères, placent leurs protagonistes dans des catégories socioculturelles éloignées. Selon la formule d’un ancien premier ministre, la France d’en haut rencontre celle d’en bas  dans le film d’ Anne Fontaine ; tandis que Olivier Nakache et Eric Toledano font se rencontrer 16ème arrondissement et cité de la banlieue parisienne. Dans les deux cas, c’est l’idéal du « vivre ensemble » cher à la société française contemporaine qui est réalisé par l’intermédiaire de la fiction. Le fait qu’ Intouchables soit inspiré d’une histoire vraie n’est certainement pas innocent dans son triomphe en salles, l’utopie de solidarité devenue réalité faisant rêver dans un contexte économique morose. Mon pire cauchemar joue quant à lui nettement moins la carte de la contemporanéité et se situe davantage dans la tradition de la comédie française, et malgré de bons résultats au box office on le voit mal atteindre les 5 millions d’entrées déjà enregistrés par le film de Nakache et Toledano.


Après deux films inspirés de leur expérience en tant qu’animateurs de colonies de vacances et pères de famille, Nos jours heureux et Tellement proches, Nakache et Toledano se sont inspirés de l’ histoire vécue et racontée par l’ écrivain Philippe Pozzo di Borgo pour Intouchables. Chez les cinéastes, la recherche de l’authenticité du vécu tient à ce que leur film ne se réduit pas à une simple comédie. Le duo choisit certes de traiter le thème du handicap, physique pour Philippe tétraplégique (François Cluzet) et social pour Driss (Omar Sy), sur un mode léger qui correspond au choix de ses personnages de ne pas tomber dans l’auto apitoiement, mais la description du quotidien des deux personnages ne peut passer outre les difficultés qu’ils ont à surmonter. 

Le recours au vécu permet au film de trouver le ton juste, dans les scènes où Philippe est réveillé par des douleurs fantômes insupportables ou lorsqu’il fait part de sa détresse affective. Du côté du personnage de Driss, si la situation de misère sociale vécue dans les banlieues est traitée avec sérieux, il est à tout l’honneur du film de se servir brièvement du problème des familles nombreuses entassées dans les HLM comme un ressort comique : alors que le protagoniste prend un bain, les enfants vont et viennent autour de lui malgré ses protestations. A partir de sa double situation dramatique lourde, la force d’Intouchables est bien de proposer une issue optimiste et crédible. On pourra lui reprocher de verser par moments dans la démagogie et la facilité (la critique de la musique classique des riches coincés alors que le funk c’est beaucoup mieux, quelques vannes pas très recherchées), mais il bénéficie de l’interprétation remarquable de son duo de héros. 


De la même façon le meilleur atout de Mon pire cauchemar est le couple Isabelle Huppert – Benoît Poelvoorde. Sauf que là où Intouchables s’attaquait aux clichés, Anne Fontaine fait de ses personnages des caricatures. Agathe (Huppert), exposant d’art en couple avec un éditeur, incarne donc la haute culture et le bon goût tandis que Patrick (Poelvoorde), est le représentant d’une classe ouvrière vulgaire. Si le fils issu de la famille bourgeoise est un cancre tandis que celui de l’ ouvrier est un intellectuel, il s’agit là d’une anomalie pour laquelle le film ne proposera aucune explication. On assiste donc à la rencontre entre la sophistication et la vulgarité, et après un premier quart d’heure aux dialogues savoureux on est un peu embarrassés par la direction que prend le film. 

Car Anne Fontaine explore l’esthétique de la vulgarité jusqu’à très (trop ?) loin : entre la passion de Patrick pour les « grosses cochonnes », une scène où surpris en plein ébats il tente de regarder sous la jupe d’Agathe, son car-wash aux filles dénudée, Mon pire cauchemar semble se complaire dans le mauvais goût. S’il y a rapprochement d’un personnage vers l’autre, c’est d’Agathe vers Patrick par la voie de l’ébriété. La sophistication conceptuelle de l’art moderne n’est qu’une pose, semble nous dire Anne Fontaine dans une scène de dîner où un artiste japonais aligne des banalités pétries de prétention sur le nom des couleurs. Au-delà de ce discours qui manque de finesse, le rythme du film tombe une fois un premier terrain d’entente entre ses deux  protagonistes trouvés, enchaînant les faux retournements de situation inutiles et lassants jusqu’aux dernières minutes. 


  
Mon pire cauchemar se clôt sur une glorification simpliste et douteuse de l’art populaire, par le biais d’ un dessin grossier défigurant l’écran blanc d’une photo artistique. Intouchables se montre plus fin dans son discours sur la culture, le tableau abstrait de Driss devenant un objet d’art de valeur par l’intermédiaire de Philippe qui le vend à un de ses amis comme l’œuvre d’un artiste reconnu : l’élitisme culturel est alors fustigé dans son caractère arbitraire. Le film, tout en dénonçant une certaine forme de snobisme, n’en oublie pas de proposer une forme élégante dont l’un des atouts est la musique minimaliste de Ludovico Einaudi qui correspond aussi bien à l’univers urbain des cités qu’aux salons fortunés de Paris. Le succès populaire du film de Toledano et Nakache tient beaucoup à son absence totale de cynisme qui attire la sympathie ; alors qu’ Anne Fontaine semble quant à elle faire le choix d’une distance, ridiculisant ses personnages davantage qu’elle n’offre aux spectateurs l’occasion de s’attacher à eux. 

11/11/2011

Les Lyonnais : un sujet alléchant, un polar très poussif

1 / 5



Avec Les Lyonnais, Olivier Marchal passe de l’autre côté de la loi après un début de filmographie qui avait pour protagonistes les membres de la police française dont il a fait un temps partie. Le film est centré sur Edmond Vidal, un des chefs du fameux gang de braqueurs de Lyon ; après Alain Delon engagé sur le projet à l’origine, c’est finalement Gérard Lanvin qui l’incarne trente après avoir déjà tenu son rôle dans le feuilleton télévisé La traque. Le rapport de confiance qui s’est noué entre l’ acteur et le gangster à la suite de ce premier tournage [1], ainsi que l’expertise apportée par Michel Neyret, numéro deux de la PJ de Lyon à l’époque des faits relatés, laissaient présager un film authentique et documenté qui avait l’envergure d’un « grand polar » [2].


À l’arrivée le film est très loin de ces attentes et se révèle un polar franchouillard fade et sans rythme. Il y a pourtant un beau casting de « gueules » : du côté des malfrats dirigés par Lanvin, on retrouve Tchéky Karyo, Daniel Duval ou Lionnel Astier tandis que Patrick Catalifo en chef de la brigade anti-gang est inspiré du super-flic Michel Neyret. Entre charisme viril et cliché macho, il y a cependant une frontière assez lâche que le film franchit hélas. Tous ces personnages aux expressions fermées sont des caricatures pour lesquelles on a du mal à se passionner. Si les flash-backs  sont censés apporter de la densité aux personnages hermétiques, leur jeunesse passionnée et mouvementée n’apporte quasiment aucun éclairage : la durée trop brève des scènes ne permet d’installer aucune émotion et empêche ainsi toute empathie pour les malfaiteurs. La relation d’amitié entre Edmond Vidal et son complice d’antan incarné par Karyo, moteur du drame au présent, n’est jamais crédible, et par voie de conséquence le dilemme auquel le personnage de Lanvin doit faire face dans des gros plans ou des postures silencieuses signifiantes devient une pose lassante.


Ce manque d’incarnation du film produit une impression de survol de son sujet par Marchal. La promesse d’immersion dans le milieu du banditisme tourne vite court : alors que Edmond se retrouve jeune à préparer des braquages, la séquence qui suit les présente tous de loin, sans transmettre l’ adrénaline et la tension qui les entoure. Le point de vue de l’ extérieur  aboutit à les situations  rebattues des films de mafia : le baptême inaugural du film ou la scène où la famille Vidal se fait tirer dessus par une voiture qui passe évoquent des scènes similaires du Parrain, mais sans le brio de Coppola. Car la mise en scène de Marchal est ici d’une grande platitude, manquant cruellement de rythme et d’idées. Le générique de début des Lyonnais type série TV, montage rapide d’images du film à venir sur une musique punk, a ainsi valeur de gadget visuel tentant de dynamiser dès les premières minutes un film qui ne décollera jamais. Les scènes spectaculaires, qui auraient pu extraire par instants le film de la torpeur dans laquelle il s’installe, y sont à moitié abouties :  la séquence de récupération du personnage de Karyo à l’hôpital manque de souffle et de cohérence de point de vue, et une descente de policiers est expédiée en quelques plans malgré la promesse d’un affrontement musclé. 

On en vient à se demander si le réalisateur des Lyonnais est bien l’ auteur de Braquo, série policière autrement plus dynamique et cinématographique. Et devant la pointe d’intérêt qu’éveillent des scènes où l’on voit des policiers attablés pour déjeuner témoigner leur admiration au gangster qu’ils viennent d’arrêter, on se prend à rêver à un autre film, un beau polar sur les rapports ambigus entre flics et voyous, tels que mis à jour par l’affaire Michel Neyret  ; un film qui bousculerait le spectateur au lieu d’aligner des clichés mis en scène sans relief.



[1] Gérard Lanvin évoque sa rencontre et ses rapports avec Edmond Vidal dans une interview accordée à Allociné pour la sortie des Lyonnais.
[2]  Olivier Marchal dans la même double interview accordée à Allociné.

09/11/2011

On the ice : une tragédie en Alaska

3,5 / 5



On the ice est le premier film d’Andrew O. MacLean, cinéaste originaire d’ Alaska. Le film, lui-même le développement d’un court-métrage du réalisateur récompensé au festival de Sundance 2008, s’est vu décerner la récompense du meilleur premier film à la Berlinale de 2011. On peut s’étonner de ses récompenses au vu de l’ intrigue pour le moins classique du film : deux jeunes doivent cacher leur responsabilité dans la mort accidentelle d’un de leurs amis. Mais c’est que l’originalité provient plutôt du cadre où se déroule le drame et des membres de la population inuit qui en sont les protagonistes.


Suivant le désir de MacLean de « faire un film très contemporain pour raconter l’Arctique d’ aujourd’hui »[1], On the ice prend d’abord la forme d’une fiction documentaire sur les jeunes de la région. Le spectateur découvre les personnages par le biais de l’exotisme : la première scène est ainsi un spectacle musical de danse en costume chargé de culture, proche du rite communautaire. Mais très vite  le film associe à ces différences culturelles (la chasse aux phoques, le « vrai » repas de viande crue) la modernité de l’anglais américanisé parlé par les jeunes, leurs démarches et codes vestimentaires familiers. La synthèse entre proximité et éloignement s’opère via le hip hop, où les jeunes s’approprient des codes musicaux contemporains tout en évoquant leur environnement atypique, le désert de glace qui les entoure. 

Les protagonistes de cette fiction documentaire sont interprétés par des jeunes Inuits non professionnels, choix qui s’avère payant dans le naturel dont ils font preuve en évoluant dans un environnement connu. Une fois ce cadre réaliste posé, l’extraordinaire de la fiction se produit en dehors dans l’espace sauvage, l’immensité déserte qui entoure l’espace réduit de la civilisation connue. Le héros, Qalli, assiste d’abord à une dispute entre deux de ses amis de loin, comme un mirage dans un espace de blanc immaculé. Les éléments s’enchaînent alors, jusqu’ à la mort de l’un deux dans une bagarre chaotique sans que l’origine du conflit soit jamais découverte. A partir de la tâche rouge sang laissée par le corps, le film prend le virage d’une tragédie, l’étendue  glacée qui s’étend à perte de vue devenant aussi menaçante qu’une communauté étroite et solidaire.


Le film suit ensuite un schéma narratif classique, le suspens provenant des secrets gardés par Qalli qui est le seul à savoir comment les incidents se sont réellement produits. La tension attendue qui se joue entre lui et son entourage, dont un père suspicieux qui mène l’enquête et Aivaaq, son ami qui est lui aussi impliqué dans la mort accidentelle, est néanmoins portée par des acteurs convaincants dans leurs personnages. Le réalisateur joue avec bonheur des conflits, du contraste entre le héros manipulateur et taciturne et son ami surexcité, rongé par la culpabilité, l’ alcool et la drogue. Le cadre isolé de l’Alaska exacerbe la solitude des personnages face à leur conscience, ne proposant aucune échappatoire. Même avant le drame, Aivaaq se sent piégé dans cet environnement, ne voit comme solution pour subvenir aux besoins de son futur enfant que de travailler pour les « dealers » du village. Qalli représente quant à lui un futur plus optimiste pour la jeunesse inuit, avec un espoir de réalisation hors de la communauté tout en conservant ses valeurs traditionnelles et morales. 

En confrontant ses deux jeunes protagonistes à un dilemme moral, On the ice les révèle et renverse leurs rôles pour aboutir sur le constat assez pessimiste de l’errance solitaire d’une silhouette fantomatique dans un paysage enneigé. La musique "ambient" à bases de percussions et de violons résume bien l’atmosphère doucement oppressante du film d’ Andrew O. MacLean, implacable dans son récit d’une tragédie tout en ayant recours à des images de paysages d’une grande beauté calme.



[1]  Propos recueillis dans l’entretien du dossier de presse du film.

07/11/2011

Les aventures de Tintin : un rêve de grand enfant devenu réalité

 4 / 5
         



Après les œuvres sombres, presque pessimistes qu’étaient La guerre des mondes et Munich, où Spielberg explorait respectivement l’horreur de l’invasion extraterrestre et du cycle de la violence,  Indiana Jones et le crâne de cristal s’annonçait comme un retour à un cinéma d’aventures plus léger. Au regard des trois premiers volets de la célèbre tétralogie, force est de constater que ce quatrième opus laissait une impression de film essoufflé, offrant également des images retouchées numériquement d’une rare laideur, contre toute attente (une poursuite de voitures hideuse au bord d’une falaise et un Shia Labeouf qui jouait à Tarzan avec les singes !). C’est donc avec un brin d’inquiétude que l’on apprenait la mise en chantier des aventures de Tintin. Si la sincérité du réalisateur, sa réelle passion pour le divertissement, n’est pas à remettre en cause, l’adaptation des aventures du héros de Hergé ne souffrirait-elle pas elle aussi d’un manque d’énergie ? Auquel cas Spielberg perdrait définitivement son statut d’ « entertainer » de génie.


En sortant de la projection des Aventures de Tintin : le secret de la Licorne, on pardonne avec soulagement le faux pas du dernier Indiana Jones. A la laideur numérique succèdent les images sublimes que propose le procédé de « performance capture » en animation 3D. Ce parti pris esthétique convient parfaitement à la retranscription d’un univers de bande dessinée réaliste tel que celui de Tintin : la prise de vue réelle ne permettrait pas de rendre aussi efficacement le monde fictionnel exploré par le jeune reporter, tandis que les expressions et postures humaines qui percent derrière l’animation donnent de la chair à des personnages que Hergé n’a jamais voulu des caricatures. C’est sans doute en partie l’attente de cette forme idéale pour rendre ses impressions de lecteur qui a amené Spielberg à remettre à plus tard un projet  qu’il porte depuis plus de 20 ans. Le film bénéficie en tout cas de son expérience de metteur en scène, en plus d’un enthousiasme juvénile toujours intact. 

En multipliant les références à sa filmographie dans Tintin, le réalisateur s’approprie l’œuvre de Hergé, parfois par le détournement le plus incongru : alors que deux malfrats ont été forcés d’amerrir, la houppette du héros caché sous l’eau s’approche d’eux, tel le fameux aileron de Jaws. Mais cette appropriation est aussi celle d’un hommage rendu à une source qui a nourri son imaginaire : ainsi le capitaine Haddock arbore étrangement sur certains plans les traits d’un Harrison Ford vieillissant, et Indiana Jones se dévoile alors comme la synthèse entre la fougue du reporter belge intrépide et la rugosité de son compagnon. 


On se retrouve donc en terrain connu mais la nouveauté apportée par la « performance capture » pour Spielberg amène à poser plus largement la question : que permet l’animation telle qu’ il l’ envisage? En premier lieu de donner  libre cours à une imagination débridée dans les scènes d’action impressionnantes. On assiste ainsi à un atterrissage mouvementé et comique au sortir d’une tempête ou à une séquence surréaliste d’abordage où les deux navires se retrouvent emmêlés par les cordages de leurs mâts. C’est aussi par l’animation que s’opèrent les transitions sublimes d’un récit au passé : des fondus font se réaliser des mirages de bateaux en mer agitée en plein désert, l’eau des vagues engloutissant avec violence les dunes de sable, ou font se succéder sans coupe l’image d’ Haddock et de son ancêtre, comme dans la bande dessinée originale. Le mouvement de l’œil qui établit la continuité temporelle de case à case à la lecture devient la continuité sans faille des images animées. 

C’est dans la combinaison entre le souffle d’une scène d’action  et le mouvement continu que se déroule la scène climax du film, une course-poursuite haletante en un plan, des hauteur surplombant une ville à son port. Les cadres et les points de vue changent, comme autant de cases se succédant avec comme point focal des objets dont les personnages essaient de s’ emparer. La scène, inventée par le réalisateur et ses scénaristes, allie la virtuosité graphique de la bande dessinée au dynamisme du cinéma, dans un élan créatif stupéfiant. A elle seule, elle parviendrait à couronner Spielberg comme le meilleur « entertainer » de Hollywood. Mais la qualité de Tintin est de proposer un rythme irréprochable, même entre ses moments de bravoure. Et de nous laisser satisfaits, le sourire aux lèvres, malgré notre soif d’aventures insatiable.

03/11/2011

Barton Fink, We need to talk about Kevin, Hors Satan : l'horreur hors du genre

Barton Fink : 4,5 / 5   
We need to talk about Kevin : 4 / 5 
Hors Satan :  3,5 / 5








Au lendemain d’ Halloween et des soirées à thématique films d’épouvante ou fantastiques, la ressortie de Barton Fink fin septembre (toujours à l’affiche au Champo) et les sorties en septembre et octobre de We need to talk about Kevin et de Hors Satan, dans leur utilisation d’éléments fantastiques et horrifiques, permettent de se pencher plus largement sur la question de l’étrange au cinéma. Sans avoir recours à des monstres extraordinaires et à des effets spéciaux, ces trois films trouvent leur tension dramatique dans un réel devenu inquiétant, proposant des modalités différentes dans l’horreur tout en ayant recours à des thèmes similaires.



L’étrangeté est d’abord instaurée par le décor où se déroulent Barton Fink et Hors Satan. Le hall d’entrée de l’ hôtel où arrive Barton, jeune auteur à succès recruté par Hollywood, baigne dans une obscurité qui n’est éclairée que par un rai de lumière. Le bruit aigu et strident de la sonnette au comptoir résonne dans un silence de mort jusqu’à l’arrivée d’un groom qui sort d’une trappe. Le décor gothique de l’hôtel Earle, aux couloirs immenses et déserts, évoque celui gardé par la famille Torrance dans The shining. Le même principe d’ immensité solitaire se retrouve dans l’espace sauvage des dunes qui entourent le village du film de Bruno Dumont, dans une esthétique proche du western. Les personnages qui marchent en silence sont bientôt réduits à l’état de silhouettes dans des plans larges, écrasés par le ciel qui les domine. 

We need to talk about Kevin s’ouvre quant à lui sur une scène surréaliste où une foule est couverte du rouge de fruits écrasés : la séquence évoque un rituel religieux alors qu’une femme est portée comme le Christ sur sa croix. A l’issue de cette ouverture hallucinatoire, l’espace au présent du réel qui nous est présenté est celui d’une chambre baignée d’une lumière rouge, les fenêtres de la maison étant couvertes de peinture. Ce rouge sang symbolise l’espace mental d’ Eva, son traumatisme découvert peu à peu par le spectateur présent à ses côtés. Si l’environnement prend une dimension angoissante dans  We need to talk about Kevin,  cela ne provient pas de sa nature inquiétante comme dans  Barton Fink et Hors Satan, mais de la position occupée par l’héroïne dans ce dernier. Alors qu’elle circule en voiture le soir d’Halloween, les enfants déguisés éclairés par les phares de son véhicule deviennent terrifiants et menaçants, sortant de la pénombre pour la fixer avant d’encercler sa maison ; leur présence hors champ alors représentée par des rais de lampe de poche qui envahissent le hall d’entrée et des cris les associe à des spectres venus la tourmenter.


Si l’ angoisse latente que produit la perception déformée du monde par un esprit tourmenté est explicite dans le film de Lynne Ramsay, Barton Fink et Hors Satan utilisent le même procédé de réduction de la frontière entre monde extérieur et psyché de ses protagonistes. Le souffle des personnages du film de Dumont perdus dans les paysages immenses se mêlent ainsi au bruit du vent, malgré la distance qui les sépare physiquement du spectateur : la nature devenue le reflet de l’esprit d’un mystérieux vagabond est un monde où le mal qui rode doit être exorcisé par une violence parfois insoutenable, comme lorsqu’ il décide de prendre une pierre pour fracasser le crâne d’une biche. Alors que le héros trouve la justification de ses actes dans une ferveur religieuse, le film laisse entrevoir l’ambiguïté de sa logique mystique : ainsi, l’exécution brutale d’un villageois après qu’il ait tenté d’embrasser la jeune femme qui partage ses errances tient autant de l’exorcisme que de la jalousie. Et que penser de la variation des rites d’exorcisme, de l’exécution froide des animaux et des hommes aux baisers guérisseurs pour les femmes ? 


Si le vagabond solitaire se place au-dessus de ses congénères et d’un monde corrompu, l’absence de passions qu’il affiche est suspecte. En d’autres termes, est-il réellement immunisé contre le mal contagieux qu’il aspire des victimes possédées? Le principe de contamination est également à l’œuvre dans Barton Fink : face à la page blanche, l’auteur est obsédé par l’environnement inquiétant de sa chambre, des rires/pleurs angoissants de son voisin aux papiers peints dont la colle visqueuse suinte des murs. Si l’inspiration lui vient finalement, ce n’est qu’après un sacrifice voilé de mystère, après une ellipse annoncée par un plan lynchien qui s’engouffre dans la canalisation d’un lavabo. Ce trou noir narratif, l’ horreur hors-champ refoulée et emballée dans un paquet, est le moteur qui déclenche l’écriture dans un flot ininterrompu d’un écrivain au bord de la folie, possédé par cette voix de l’homme de la rue qu’il a recherchée tout au long du film. En guise d’exorcisme final, le film des Coen offre un climax infernal surréaliste, chaotique et destructeur.
 
         
Mais c’est le récit de We need to walk about Kevin qui s’apparente encore le plus à la forme classique du film d’épouvante, en explorant l’ horreur ordinaire du fait divers. En sortant de chez elle, Eva s’expose à une horreur quotidienne de violences verbales ou physiques que lui infligent une population hostile. La tension dramatique de son martyr vécu au présent, qui crée un effet de paranoïa, est le prolongement du calvaire intime de sa relation avec son fils Kevin racontée en flash-backs.  Lorsqu’il fixe sa mère impassible alors qu’elle lui lance un ballon, on pense à La malédiction : cependant aucune explication, fantastique ou psychologique, ne vient ici rassurer le spectateur. 

Kevin est perçu comme un monstre incompréhensible par sa mère, un être qui lui fait subir une série de drames de plus en plus violents jusqu’à ce que la tragédie finale se réalise. La passivité de l’exorciste de Hors Satan trouve son double dans l’insensibilité apparente du fils d’Eva, dont la monstruosité se manifeste par des détails quotidiens comme un lychee dévoré devenu symbole de l’œil manquant de sa sœur éborgnée. L’aspect puzzle du film de Lynne Ramsay, miroir de la psyché brisée de Eva, tient à l’hypothèse la plus glaçante du film : Kevin, tout monstre qu’il est, est  le fruit du rejet de sa mère d’ un être qui lui a toujours été étranger malgré le lien d’enfantement qui les unit. L’ enfant ne fait qu’extérioriser les pulsions agressives que Eva s’efforce de contrôler, il devient le reflet insoutenable de son inconscient alors que leurs deux visages plongés dans l’eau se superposent.