23/11/2011

Les nouveaux chiens de garde : la critique féroce et jouissive des médias

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Les nouveaux chiens de garde est adapté de l’ouvrage de Serge Halimi qui s’inscrit lui-même dans le prolongement d’un livre de Paul Nizan intitulé Les chiens de garde . En 1932, Nizan dénonçait les philosophes de son époque complices de la bourgeoisie au pouvoir qui relayait ses idées sous couvert d’autorité intellectuelle ;  pour Halimi, la problématique du pouvoir manipulant les masses s’est déplacée aujourd’hui dans une collusion entre la classe politique, le monde des grands patrons et celui de la presse. Documentaire à charge, le film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat développe la thèse de Halimi en démontrant preuves à l’appui l’imposture de l’objectivité journalistique affichée par les médias.


Avant de traiter la situation actuelle du journalisme, le film a recours à une archive du début des années 60 du ministre de l’Information venu présenter à la télévision française le changement de forme du journal télévisé décidé par le gouvernement : en réaction à ses images, Anne Sinclair et Christine Ockrent présentes sur un plateau de télévision sont les premières à constater le progrès heureux de ce « stalinisme » vers l’indépendance des journalistes, le choix par Ballastre et Kergoat de ces deux intervenantes femmes d’ hommes politiques n’étant évidemment pas innocent. Afin de mieux dénoncer l’hypocrisie du monde journalistique, le film a ainsi recours à un humour satirique qui fonctionne par l’écart  entre le discours des membres de la presse sur leur métier et la réalité des faits : le commentaire off qui reprend le discours les spots publicitaires de la presse qui annonçant des médias incorruptibles rentre en contradiction avec la complaisance montrée du côté des journalistes comme des représentants politiques. Refusant cette langue de bois, Les chiens de garde n’hésite pas à se moquer de ceux qu’il dénonce, quitte à aller jusqu’à la caricature. Les dirigeants des grands groupes sont réduits à des photos découpées collées sur des personnages animés, dans un style naïf qui rend bien la grossièreté du trait : Sarkozy devient le leader d’une horde de motards dont font partie Bolloré ou Lagardère. Ailleurs, le film a recours à la mise en situation fictionnelle afin d’évoquer l’omniprésence de quelques groupes privés à la tête des médias qui nous entoure. Que ce soit par la forme ou le procédé, le film ne se limite donc pas à l’objectivité analytique du film dossier mais opte pour un ton plus décontracté mais aussi plus militant. Si les Chiens de garde a recours à l’outrance, c’est parce qu’il n’est pas neutre, dans un sentiment de révolte par rapport aux pouvoirs qui manipulent le peuple.


On pourra reprocher au film un manque d’objectivité sur le sujet qu’il traite : son choix de faire appel en témoins à deux économistes évincés du cirque médiatique qui leur préfère Alain Minc ou Elie Cohen relève ainsi d’un conflit d’intérêts évident.  Mais ce manque d’objectivité n’est-il  pas un reflet de la fable inventée par les dirigeants et les spécialistes afin de mieux nous endormir ? Dans son aspect militant, Les chiens de garde se fait finalement la voix des absents des médias, cette majorité de la population qui ne fait pas partie de l’élite bourgeoise et parisienne : plus que les millions glanés par une classe de favorisés, c’est la condescendance dont font preuve les journalistes envers un éducateur des cités ou un membre de la CGT porte parole d’un « bossnapping » qui est révoltante. S’il existe en politique un concept d’ «opposition », Les chiens de garde propose simplement d’étendre ce principe au monde des médias, selon le principe de la multiplicité démocratique des points de vue . Le contre-pouvoir des médias dont font partie les auteurs du documentaire existe, via la presse imprimée comme Le Monde Diplomatique ou numérique comme l’association « Acrimed », mais sa visibilité est sans commune mesure avec le réseau d’information audiovisuel. Rétablissant partiellement l’équilibre des temps de parole, Les chiens de garde est un film nécessaire et à voir, dont l’intelligence est de donner à réfléchir tout en proposant un ton et une forme divertissants et non rébarbatifs.

1 commentaire:

  1. Ton enthousiasme au sujet du film et le thème qu'il traite ont achevé de me convaincre d'aller le voir ! C'est important d'aller voir des documentaires de ce type, car trop de gens boivent les paroles des médias sans se poser de questions.
    En ce qui concerne l'objectivité du documentaire, j'ai toujours du mal avec cette notion, car pour moi, un documentaire est avant tout le point de vue d'un réalisateur sur un sujet, et quand ce dernier est en plus à portée politique, il est inévitable que les auteurs prennent parti à un moment donné. Est-ce que le film ne perdrait pas de son impact si la charge était moins violente ? Il doit être très difficile de trouver une demi-mesure, car il faut à la fois provoquer la réactions des spectateurs et éviter de sombrer dans la mauvaise foi et le misérabilisme comme c'est souvent le cas avec Michael Moore.
    On en reparlera quand je l'aurai vu...

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