14/07/2014

Albert à l'Ouest : une parodie de western paresseuse

2 / 5

Créateur des Griffins et de American Dad, Seth McFarlane avait avec Ted importé le concept de ses séries sur grand écran : l’ours en peluche animé éponyme du film était le descendant du chien Bryan des Griffins ou de l’extraterrestre Roger de American Dad. Albert à l’Ouest se distingue de ce premier long métrage en laissant de côté l’animation pour le film intégralement « live ». A l’origine du projet, il y a sans doute un réel désir de l’auteur de rendre hommage et de se confronter à un genre qui l’a fait rêver, un peu à la manière des remakes parodiques des films de la première trilogie Star Wars qu’il avait réalisés dans le cadre des Griffins. Hélas, malgré les louables intentions de McFarlane, le film qui en a résulté est une comédie bancale.


Le synopsis du film de McFarlane partait pourtant d’une bonne idée. Albert est un gardien de moutons non violent qui peine à trouver sa place dans un Ouest américain impitoyable : le décallage du héros avec l’époque dans laquelle il vit aurait pu être la source de gags multiples. Malheureusement, McFarlane se contente d’une comédie romantique aux ficelles visibles, sans imagination, avec une grosse part d’ego trip (il interprère le héros). Le problème tient peut-être à un refus de l’auteur de subvertir les codes du western, comme l’annonce le générique  d’ouverture : loin de jouer d’un quelconque décallage comique, McFarlane se contente de plaquer des titres à la police rétro sur des plans iconiques de la vallée de la Mort.

L’humour trouve alors sa place dans les marges de l’intrigue, et sa gratuité lui fait perdre une grande partie de son efficacité. Le scénario d’Albert à l’Ouest contient quelques idées intéressantes, par exemple celle d’un personnage secondaire fiancé à une prostituée qui se refuse à lui avant la nuit de noces, mais plutôt que de les exploiter le film a hélas souvent recours à la facilité. Le personnage de Charlize Theron a beau être prise de fous rires à plusieurs reprises à l’écran, sous le charme d’Albert / MacFarlane, son rôle de chauffeuse de salle accentue le malaise devant un film pas franchement drôle.



La face comique d’Albert à L’Ouest fonctionne sur des gags ponctuels de deux ordres. Soit le spectateur a droit à un humour scatologique ne brillant ni par son intelligence ni par son originalité (on a droit au coup du laxatif vu et revu mille fois) ; soit il subit des digressions faisant référence à des éléments de pop culture, à base de caméos mal intégrés. Ted faisait au moins l’effort d’intégrer Flash Gordon dans son intrigue ; dans Albert à l’Ouest, la référence à une saga culte des années 80/90 donne plutôt envie de laisser là cette comédie poussive pour nous replonger dans des divertissements bien mieux conçus.

11/07/2014

Duo d'escrocs : le charme de l'escroquerie à l'anglaise

3 / 5

Coproduction franco-britannique, Duo d’escrocs n’a pas franchement de quoi enthousiasmer sur le papier. D’abord, les deux genres auxquels on peut associer le métrage ne sont pas porteurs de grandes promesses, voire font naître une certaine appréhension. D’un côté le genre du « caper », comprendre film de casse avec éléments comiques prononcés, et la comédie est assurément un genre assez risqué ; le spectateur pardonnera difficilement à une comédie de ne pas le faire rire, et la science du comique est tout sauf simple.  L’autre genre auquel le film se réfère, celui de la comédie de remariage, implique un programme dramatique attendu avec passages obligés, à l’instar de la comédie romantique dont il est dérivé. 


A ces deux cadres, il faut ajouter l’élément sans doute le plus inquiétant, celui de choisir la France comme décor de l’action, entre Paris et la Côte d’Azur, avec tout ce que cela implique d’imagerie carte postale et clichés divers. Même un grand réalisateur comme Alfred Hitchcock s’y est cassé les dents avec La main au collet, « caper » kitsch assez embarassant, et Joel Hopkins (Last Chance for Love) est loin d’avoir le génie de son illustre compatriote. Pour toute ses raisons, on entre à une séance de Duo d’escrocs en se disant qu’au pire on ne sera pas vraiment volé sur la marchandise ; et on en ressort le sourire aux lèvres, satisfait d’avoir plutôt passé un agréable moment de cinéma.


Bon, pour dire la vérité, les inquiétudes se confirment d’abord. Le premier plan essaie de vendre la fraicheur et le dynamisme de ce que nous allons voir en s’ouvrant sur un « shaker », mais l’alchimie ne saute pas aux yeux entre Emma Thompson et Pierce Brosnan. Emma Thompson roule des yeux et est allergique au bouquet de fleurs que lui offre un prétendant, on sourit timidement mais sans plus. Après la scène d’introduction, le générique rétro type années 60 débarque, sympathique mais un peu fait sans réelle conviction. A l’arrivée à Paris, sur le rond point de l’Arc de Triomphe, on a même peur en reconnaissant le truc de La fureur du dragon et ses stock shots de Rome : une voiture filmée en forte plongée roule avec les dialogues des personnages en off, essayant de nous faire croire qu’ils sont à bord. Emma Thompson et Pierce brosnan se sont-ils bien rendus à Paris ? Manifestement oui, pourtant, comme l’attestent l’Arc de Triomphe ou la tour Eiffel aperçus en arrière-plans dans les extérieurs avec les acteurs. On est un peu rassurés, mais l’imagerie carte postale redoutée est bel et bien présente…La mise en scène de Joel Hopkins, globalement correcte, est alourdie quant à elle de quelques effets comiques un peu faciles de ralentis ou accélérés, répétés inutilement.


Qu’est-ce qui fait décoller le film alors, et que l’on y passe un bon moment malgré ses défauts évidents ? D’abord, le scénario de Joel Hopkins qui ne manque pas de quelques idées bien trouvées : la scène de vol obligée du « caper », notamment,  est assez finement écrite pour prendre un peu le spectateur au dépourvu. Le rire tient souvent à un effet de suprise, et Duo d’escrocs sait en réserver quelques-unes. Et surtout, c’est le casting qui emmène le film. Pas les « frenchies » malheureusement : Laurent Lafitte a finalement assez peu d’occasions de briller et Louise Bourgoin manque étonnament de justesse dans son rôle, comme si elle était impressionnée par les acteurs au côté desquels elle se retrouve à jouer. 

Le quatuor de britanniques quinquagénaires s’en donne par contre à cœur joie, faisant preuve d’une fantaisie réjouissante. On s’attache au couple d’acteurs principaux finalement assez convaincant, mais c’est au bout du compte avant tout Emma Thompson qui illumine Duo d’escrocs. Le charme de l’actrice britannique tient à la fois à un naturel et à une classe qui lui permet de traverser toutes les situations avec une grâce éblouissante, qu’elle se déguise en américaine vulgaire ou se réveille nue auprès d’un amant deux fois plus jeune qu’elle. Il faut toujours aux bonnes comédies quelque chose d’enchanteur, et c’est Emma Thompson qui assure la modeste réussite de Duo d’escrocs.

03/07/2014

Zero Theorem : un retour aux sources prometteur

3,5 / 5

Il fut un temps où la critique prenait fait et cause pour Terry Gilliam, le soutenant lors du fameux bras de fer avec Universal qui refusait de sortir Brazil. 30 ans plus tard, Zero Theorem est selon une bonne partie de la presse l’œuvre hideuse d’un artiste fatigué qui n’a plus rien à dire. Au contraire, le dernier film de Gilliam confirme selon moi, après la réussite de L’  Imaginarium du docteur Parnassus, un retour du réalisateur au meilleur de sa forme, prêt à se lancer à nouveau dans la production de son projet maudit, L’homme qui tua Don Quichotte.


Il y a un air de famille évident entre Brazil et The Zero Theorem, qui traitent tous deux du destin d’un individu dans une dystopie policière orwellienne : la paperasserie et la bureaucratie ont simplement laissé la place à la surveillance via les réseaux numériques et les caméras omniprésentes. Sam Lowry s’échappait en rêvant, Qohen Leth (Christoph Waltz) se connecte dans des mondes artificiels. Probablement conscient des similitudes des deux récits, Gilliam s’autocite dans des saynètes, qu’il s’agisse d’un duo d’hommes de main qui débarquent chez notre antihéros tels les employés envahissants de Central Services, ou de l’irruption d’une livreuse de pizzas qui rappelle celle d’une livreuse de messages dans  Brazil. La fixation sur ses ressemblances n’est pas à l’avantage de Zero Theorem, qui n’arrive pas à la cheville de son illustre prédécesseur, chef d’œuvre de la science-fiction et plus grande réussite de son auteur.

Sur le fond, Zero Theorem peut donc se lire comme un remake non officiel disant l’épuisement de l’inspiration de Gilliam, mais ce ne serait ne pas prendre en compte sa forme. On retrouve l’esthétique baroque et kitsch propre au cinéaste, qui a fait dire à beaucoup que le film est laid ; Gilliam n’hésite pas encore une fois à commettre des fautes de goût, mais on est très loin de la laideur fade qu’a pu proposé Cronenberg dans Maps to the Stars. Le bric à brac visuel a ici l’avantage d’être assumé et de s’inscrire dans un style cohérent, à même de rendre aussi bien l’effervescence colorée d’une fête vulgaire que la tristesse du sanctuaire dans lequel se retranche Qohen, ou l’artificialité de carte postale d’un monde virtuel. Zero Theorem est même l’un des films les plus maîtrisés de Gilliam, le budget restreint alloué au film ayant poussé l’auteur à aller à l’essentiel : des films comme Le baron de Munchausen ou Las Vegas Parano, s’ils étaient l’occasion pour le réalisateur de laisser libre court à sa créativité visuelle débordante, échouaient en terme de récit construit là où le recentrage sur la trajectoire individuelle de Qohen structure efficacement Zero Theorem.

Emprunt de la noirceur et du pessimisme caractéristique de l’œuvre de Terry Gilliam, Zero Theorem pourra être resenti comme un récit déprimant à la conclusion frustrante. Il convient malgré tout de noter la légéreté bienvenue qu’amène chaque apparition de Mélanie Thierry, au jeu naturel atypique dans le cinéma  de Gilliam. Alors que l’énergie des films de l’auteur tenait jusqu’à maintenant de l’hystérie cartoonesque, le vent de fraicheur inattendu apporté par l’actrice revitalise son cinéma et offre l’espoir que le soleil ne s’est pas encore couché sur la carrière (profondément inégale, mais qui force aussi l’admiration) d’un artiste intègre.

01/07/2014

Le procès de Viviane Amsalem : femmes à libérer

3,5 / 5

Présenté au dernier festival de Cannes à la quinzaine des réalisateurs, l’israëlien Procès de Viviane Amsalem est un pavé jeté dans la mare. Les frères et sœurs Ronit et Shlomi Elkabetz y dénoncent une situation subie par les femmes vivant dans le pays : le divorce, « gett », n’est possible en Israël qu’avec le consentement du mari, qui doit répudier sa femme. Film éminément politique, ce Procès est un plaidoyer imparable qui illustre l’injustice d’une loi archaïque à travers un destin individuel.


Viviane (interprétée par la co-auteure du film Ronit Elkabetz) veut divorcer, son mari Elisha ne le veut pas. Ce désaccord va donner lieu à un procès interminable, se déroulant sur plusieurs années. La salle d’audience devient vite une prison pour Viviane comme pour le spectateur qui ne quitterra jamais ce huis clos, si ce n’est éventuellement pour les couloirs du palais de justice. La forme austère du Procès de Vivane Amsalem, la grisaille dépouillée de son décor, demandent un temps d’acclimation. Le débat en boucle où chacun semble déterminé à rester campé sur sa position crée une première impression de stagnation narrative. Fort heureusement, le film évite assez vite cet éceuil.

La convocation des différents témoins permet de dresser un tableau passionnant de la société israëlienne, qui suscite aussi bien le rire que l’effroi. On rit lorsqu’une femme au franc parler libéré venge sa sœur célibataire qui a dû faire face au mépris du tribunal rabinique et de l’avocat et frère d’Elisha. Mais l’humour est souvent à double tranchant : l’hypocrisie épinglée des comportements et l’absurde de certaines situations, notamment l’absence de possibilité d’un quelconque recours du tribunal face au bloquage du mari qui refuse de se présenter, témoignent de l’absence de liberté des femmes israëliennes.


On retiendra du film deux instants forts, symboles d’une oppression sociale révoltante, qui disent le désarroi de Viviane Amsalem. Epuisée physiquement, elle se dénoue les cheveux et se fait alors reprendre par un juge rabinique inflexible qui lui ordonne de les laisser ; plus tard, à bout mentalement, le bouilonnement qui a été le sien durant tout le film éclate finalement dans un plan bouleversant où elle supplie son mari, filmé du point de vue de ce dernier. Le message désespéré s’adresse alors directement aux spectateurs, et il ne reste plus à espérer qu’il atteigne droit au cœur la société israëlienne et fasse naître le changement.