24/02/2013

And the winners are...

Le palmarès des Césars 2013 a été pour le moins décevant, le couronnement prévisible d’ Amour de Michael Haneke et de son « grand sujet » allant jusqu’à un grand chelem (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleurs acteurs et meilleur scénario) qui a laissé peu d’espace à ses pauvres concurrents pourtant souvent supérieurs à mon goût. Réjouissons-nous alors que le seul film qui puisse prétendre à une concentration pareille de prix aux Oscars soit le très sympathique « feel good movie » Happiness Therapy ; là où Amour manque cruellement de chaleur humaine et devient éprouvant plus qu’émouvant malgré la présence bouleversante de ses acteurs vieillissants, le long métrage de David O. Russell a l’avantage de regorger d’amour pour ses protagonistes tout en évitant les lieux communs. Sans présager des résultats de la cérémonie, voici mon choix pour les Oscars 2013 en accord avec la présélection des nominés par l’académie (malgré quelques oublis de taille sur lesquels je reviendrai en temps voulu).


Meilleure musique / Meilleurs effets spéciaux / Meilleure photographie




En l’absence étrange parmi les nominés de Ben Zeitlin et Dan Romer qui ont signé pour Les Bêtes du Sud sauvage la bande originale la plus galvanisante et la plus mémorable  de l’année, le prix revient à Mychael Danna qui a su trouvé le contrepoint parfait à l’univers fantastique de L’ Odyssée de Pi. Le film d’Ang Lee, d’une perfection technique et esthétique qui laisse sans voix, mérite aussi largement d’être récompensé pour ses effets spéciaux et sa photographie. Expérience visuelle éblouissante, L’Odyssée de Pi constitue de loin la proposition de cinéma en 3D la plus stimulante à ce jour, l’immersion fonctionnant à merveille lors d’un naufrage spectaculaire, de scènes de confrontations tendues avec un tigre sauvage ou d’incursions psychédéliques dans les rêves et l’inconscient.


Meilleur montage



Si le Golden Globe et le César du meilleur film étranger décernés à Argo me paraissent un peu exagérés, il est indéniable que le montage du film est d’une efficacité redoutable et justifie une récompense. Trois séquences en témoignent de la plus belle façon . La première scène du métrage décrit avec un réalisme bluffant la prise de l’ambassade américaine de Téhéran en mêlant habilement images d’archive et reconstitution cinématographique ; la présentation à la presse du scénario du film dont la préparation est une couverture pour le sauvetage  des diplomates américains est plus tard montée en parallèle de plans sur les diplomates en Iran, et le propos kitsch du film de science-fiction se transforme en discours défendant la liberté et la démocratie :  enfin, le suspense au cœur de la séquence d’évasion finale basée sur un montage parallèle complexe entre poursuivants, poursuivis et acteurs cruciaux du plan aux États-Unis, est à couper le souffle.

Meilleure adaptation


Tony Kushner a réussi avec un talent indéniable à rendre limpides toutes les tensions politiques autour et le processus tortueux qui a abouti au passage du 13ème amendement dans Lincoln, mais le prix du cœur revient au scénario de Happiness Therapy. L’écriture tout en finesse du métrage de David O. Russell  permet de dépasser les clichés de la comédie romantique pour mieux mettre en relief les fêlures  de personnages à la recherche d’un équilibre, d’un bonheur qui leur échappe. En dépit d’une intrigue classique, le film se montre souvent inattendu, nous invitant à la découverte progressive de personnages au comportement imprévisible mais finalement proches de nous. A la fois hilarant et touchant, Happiness Therapy est ce que l’Amérique a produit de plus attachant cette année.

Meilleur scénario original



Les récompenses reçues par Quentin Tarantino pour Django Unchained laissent présager d’une deuxième statuette pour le meilleur scénario original 13 ans après Pulp Fiction. Si le dernier film du réalisateur-scénariste est plutôt bon et traversé par des moments de brillance, on y retrouve cependant à mon goût le manque de discipline irritant qui était déjà présent dans Inglorious Bastards : des dialogues tirés jusqu’à l’épuisement, une caractérisation des personnages un peu sommaire et une durée excessive. La première partie de Django Unchained est ainsi d’une très bonne tenue, pour qu’ensuite le film perde progressivement de son énergie et devienne statique lors d’un dîner interminable où Tarantino nous ressort ses mêmes trucs de scénariste (parmi lesquels le placement de la référence culturelle).  La construction du scénario de Django Unchained est donc tout sauf exemplaire, et on préférera récompenser pour une deuxième fois Mark Boal (déjà oscarisé pour Démineurs) pour Zero Dark Thirty. Après la guerre en Irak le journaliste-scénariste a renoué avec la réalisatrice Kathryn Bigelow pour traiter de la traque d’Oussama ben Laden. Organisant avec une maestria impressionnante les étapes de la poursuite de ben Laden, Boal a construit un récit passionnant et terrifiant qui expose sans concession les méthodes contestables de la CIA mais qui s’offre surtout comme une aventure humaine éprouvante, celle d’une femme qui a consacré dix ans de sa vie à la poursuite du chef d’ Al-Qaida. Multipliant les points de vue en suivant les différents acteurs qui gravitent autour de la protagoniste centrale, Zero Dark Thirty est d’une richesse narrative qui force le respect.

Meilleur acteur dans un second rôle




Dans cette catégorie, il convient de saluer les prestations centrales de Christoph Waltz pour Django Unchained et Philip Seymour Hoffman pour The Master. La logorrhée de Waltz en chasseur de prime intellectuel allemand dans le film de Tarantino est certes prétexte à un verbiage de l’auteur devenu remplissage agaçant, mais l’humanisme ambigu du personnage est finalement incarné à merveille par l’acteur qui nous avait fait trembler dans Inglorious Bastards ;  quant à Hoffman, il est remarquable en figure de gourou complexe, tour à tour charismatique et ridicule, et campe le négatif parfait du personnage principal de The Master. Avec Happiness Therapy, Robert De Niro aura pour sa part trouvé un de ses rôles les plus émouvants, celui d’un père à la fragilité dissimulée qui essaie tant bien que mal de garder un lien avec son fils. Mais l’Oscar du meilleur second rôle masculin revient à l’admirable Tommy Lee Jones en sénateur républicain anti-esclavagiste dans Lincoln : si son temps de présence à l’écran représente peut-être un quart du film, ces quelques scènes suffisent pour en faire la figure la plus marquante du film derrière Lincoln.


Meilleure actrice dans un second rôle



Amy Adams et Sally Field ont toutes deux incarné avec une grande justesse des femmes d’hommes de pouvoir : la façon dont Amy Adams en femme du gourou reprend le contrôle sur son mari influencé par la bestialité  et l’immaturité du héros de The Master est stupéfiante, et le mélange de fragilité émotionnelle et de force de caractère de Mary Lincoln trouve sa cohésion dans l’interprétation de Sally Field. Cependant l’Oscar revient à Anne Hathaway dont la performance est extraordinaire d’intensité dans l’intéressant mais inégal Les misérables. L’actrice y interprète la chanson phare de la comédie musicale (« I dreamed a dream ») pour une efficacité maximale obtenue grâce à un choix de mise en scène d’une simplicité confondante : faire surgir l’émotion dans un gros plan sur l’actrice submergée par le cri de désespoir de Fantine.   


Meilleur acteur


Dans cette catégorie, plusieurs écoles s’opposent : d’un côté, la prestation de « showman » ultime de Hugh Jackman dans Les misérables ; de l’autre, les partitions sobres et réalistes de Bradley Cooper et Denzel Washington ; et enfin, les transformations hallucinantes de Daniel Day-Lewis en Lincoln vieillissant et fatigué et de Joaquin Phoenix en individu inquiétant, homme enfant bestial. La statuette revient à Phoenix, tant le personnage qu’il incarne aura été la figure masculine la plus originale et la plus mémorable du cinéma américain cette année. Baladant sa silhouette d’une maigreur inquiétante, Freddie Quell reste un mystère, un personnage dont on ne saura jamais s’il est fou, innocent ou manipulateur. Phoenix lui confère une animalité et une sauvagerie sidérantes, sa présence même étant la source d’une tension palpable. Le visage grimaçant que l’acteur porte comme un masque tout au long de The Master peut être perçu comme un excès, un cas limite du « method acting », mais son pouvoir expressif est incontestable.



Meilleure actrice


De Quvenzahné Wallis à Emmanuelle Riva, toutes deux formidables, l’académie aura eu le mérite de sélectionner un très large spectre générationnel pour cette catégorie. Bien que la réussite de Zero Dark Thirty tienne pour beaucoup à l’interprétation subtile de Jessica Chastain, c’est Jennifer Lawrence qui mérite les honneurs. Il ne s’agit pas ici de couronner uniquement sa performance dans Happiness Therapy, où elle forme avec Bradley Cooper le couple le plus crédible depuis celui formé par Jim Carey et Kate Winslet dans Eternal Sunshine of a Spotless Mind. Il convient surtout de saluer le talent protéiforme d’une actrice surdouée qui parvient à marquer les esprits aussi bien dans les films indépendants que dans les « blockbusters » :  Jennifer Lawrence incarne avec la même force de conviction la jeune fille chef de famille de Winter’s Bone, la mutante métamorphe de X-Men : le commencement et l’héroïne d’action volontariste de Hunger Games.


Meilleur réalisateur



L’omission de Paul Thomas Anderson dans cette catégorie est à mon sens une injustice inexplicable de la part des membres de l’académie. Certes, The Master est un film déroutant, bien plus que son précédent métrage There Will Be Blood qui avait bénéficié des nominations de meilleur film et meilleur réalisateur en 2008. Il n’empêche que le dernier film d’ Anderson représente un aboutissement formel pour le réalisateur et est de loin le film américain le mieux mis en scène de  l’année. Entre les gros plans sur les visages parmi les plus magnifiques qu’il ait été donné de voir au cinéma et des plans séquence d’une beauté et d’une tension extraordinaires (que l’on pense seulement au travelling qui suit la fuite de Freddie en moto dans le désert), The Master est un pur film de mise en scène. Ce favori étant absent, la statuette reviendra au Lincoln de Spielberg qui nous aura comme à son habitude proposé quelques images marquantes (la scène de bataille inaugurale, le rêve de Lincoln ou le parcours lugubre d’un champ de cadavres).

Meilleur film



Au risque de me répéter pour ceux qui lisent régulièrement mes articles, Les bêtes du Sud sauvage a été l’œuvre cinématographique américaine la plus forte de l’année. Le film le moins cher des Oscars (2 millions de dollars) compense cette économie réduite par une énergie de tous les instants et une ambition démesurée. A la fois hymne au courage d’une communauté de marginaux de la société et divertissement spectaculaire, le premier long métrage de Benh Zeitlin est une aventure artistique qui emporte tout sur son passage.