30/06/2014

Transcendance : un blockbuster bancal transcendé par un couple ambigu

3 / 5

Avec son « high concept » qui imagine la préservation de la conscience d’un homme en intelligence artifcielle numérique, Transcendance aurait pu être un film de Christopher Nolan. On y retrouve même au casting deux habitués des seconds rôles chez le réalisateur, Morgan Freeman (la trilogie Batman) et Cillian Murphy (idem, mais aussi Inception). Ne pas se fier cependant à cette image, si Nolan est effectivement à la production, Transcendance est l’œuvre de son directeur de la photographie attitré Wally Pfister, qui semble s’émanciper ainsi du réalisateur (pour la première fois depuis The Following il ne signera pas la photographie de son prochain film). Au final, si Transcendance n’est pas inintéressant et ne manque pas d’ambition il n’est pas totalement à la hauteur de son concept.



En tant que film de science-fiction à grand spectacle, le métrage de Wally Pfister souffre d’une conduite de récit approximative. En premier lieu, le choix de commencer le récit par sa fin a pour inconvénient une neutralisation de la tension dramatique, le spectateur connaissant d’avance le destin des différents protagonistes. Plutôt que de jouer avec les attentes suscitées, le film déroule son programme narratif de façon pas désagréable mais assez plate, avec moult scènes de discussions et assez peu de scènes spectaculaires. Les effets spéciaux et le visuel du film sont soignés, mais c’est un peu le minimum syndical étant donné les 100 millions de dollars du budget. Transcendance tente de poser un récit de grande ampleur qui justifierait son statut de « blockbuster », mais se perd dans une multiplication de personnages inutiles et mal développés : on y trouve notamment un groupe de terroristes dont les méthodes contestables sont à peine remises en cause, et un duo Cillian Murphy-Morgan Freeman sans saveur qui aurait pu être condensé sans mal en un seul personnage. Symptômes d’un problème de maîtise dans la conduite d’un récit à grande échelle, les ellipses de plusieurs années ne correspondent pas à une progression dramatique qui aurait du tenir sur quelques mois.


La dimension grand spectacle de Transcendance peine à convaincre, mais le film est sauvé par un centre émotionnel autrement plus convaincant. En décrivant la relation entre l’intelligence artificielle et sa créatrice, la femme du défunt sur la conscience duquel elle a été modelée, le métrage de Pfister devient une alternative à Her : on y pense dans une scène où l'intelligence artificielle trouve un remède à l'absence de contact physique avec sa compagne par l'intermédiaire d'un corps outil, comme dans la scène la plus forte du film de Spike Jonze. Transcendance convoque plus largement des thèmes semblables, de l’évolution des intelligences artificielles à leur véritable nature. Lorsqu'il s'aventure sur ce terrain intime,  le métrage a le mérite de le traiter avec une ambiguïté et une finesse qui manquait à la fantaisie pop jolie mais surévaluée de Jonze. Cœur du film, la formidable Rebecca Hall incarne avec toutes les nuances nécessaires les contradictions d’une veuve qui refuse de faire le deuil de celui qu’elle a aimé, tandis que Johnny Depp trouve un rôle nécessitant une sobriété qui nous repose de ses cabotinages de ces dernières années.

27/06/2014

Under the Skin : plongée dans l'inconnu

4,5 / 5

Depuis sa présentation à différents festivals et ses sorties aux Etats-Unis et au Royaume Uni, Under the Skin du britannique Jonathan Glazer se traîne une réputation de film atypique qui divise : il a été aussi bien accueilli par les applaudissements que par les huées au festival de Venise l’année dernière. Les images aperçues laissaient bel et bien espérer un film culte mai aussi craindre le film d’art prétentieux, à l’instar d’un Holy Motors inégal, finalement assez vain et nombriliste. L’attente raisonnée donc passée, Under the Skin se révèle à la hauteur de ses promesses, et constitue sans mal le choc esthétique de la première moitié de cette année.


Dans un gouffre d’obscurité, une lumière grossit, jusqu’à iradier l’écran ; un disque noir vient vite obscurcir, telle une éclipse, la souce de lumière. Un œil rouge électronique au centre d’une blancheur immaculée se transforme bientôt en une pupille au centre de son œil. Avec cette ouverture formelle psychédélique, Under the Skin s’inscrit dans la lignée du 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick et de son trip final. Le vide blanc dans lequel on découvre la protagoniste du métrage de Glazer n’est d’ailleurs pas sans évoquer la chambre blanche dans laquelle se retrouvait finalement David Bowman au terme de son voyage. A cette différence près que la protagoniste est incarnée par l’actrice la plus glamour du cinéma mondial et qu’elle est nue, et qu’ici l’horizon n’est pas temps le devenir cosmique que la plongée vers une âme de l’humanité. Non pas le « beyond » (au-delà) destination de l’odyssée, mais le « under » (en-dessous).

Revenons un temps sur la carrière de Scarlett Johansson : après avoir été remarquée dans quelques films (L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, The Barber), le monde est tombé sous le charme de l’actrice avec La jeune fille à la perle  et surtout Lost in Translation de Sofia Coppola. Scarlett Johansson, en plus de correspondre à merveille à la figure de la jeune fille rêveuse et mélancolique chère à l’auteure, possédait également une sensualité indéniable qui n’a pas échappé à Woody Allen. En incarnant l’objet du désir dans Match Point et Vicky Christina Barcelona ou le double féminin et l’assistante de Woody dans Scoop, la star est entrée définitivement dans l’âge adulte et a acquis son statut de sex symbol. Seulement à mesure qu’elle multipliait les rôles dans les films américains indépendants ou blockbusters (les films Marvel) la star a perdu un peu de sa fraîcheur d’origine en même temps que les limites de son registre se faisaient sentir.


Alors que la carrière de Scarlett Johansson semblait avoir atteint une limite (ce qu’est venu souligné ironiquement un César d’honneur bien trop précoce), ses derniers rôles disent sa volonté de casser son image : loin d’être mise en valeur dans Don Jon, elle y incarnait une bimbo égocentrique, calculatrice et antipathique, tandis que Her opérait l’effacement de son corps (mais restait tout de même la trace de sa sensualité dans sa voix cassée). Under the Skin est l’aboutissement de cette phase de déconstruction de l’icône glamour. Disons qu’il est à Scarlett Johansson ce que Les désaxés est à Marilyn Monroe, un retour dans le monde ordinaire d’une star à l’aura extraordinaire.

Si le film raconte la rencontre d’une étrangère avec l’humanité, il plonge aussi Scarlett Johansson en territoire iconnu, celui des quartiers populaires et des campagnes d’Ecosse. La singularité d’Under the Skin tient à la façon dont le film alterne entre les images et les décors étranges, monde où la protagoniste principale attire les humains, et un versant réaliste, proche du documentaire et du cinéma vérité. Jonathan Glazer, fort de son expérience de réalisateurs de clips, impressionne formellement dans la partie surnaturelle de son récit qui saisit par son graphisme épuré et son imaginaire morbide ;  la musique lancinante de Mica Levi, pareille à du Bernard Herrmann sous acide, accompagne ces images dans une symbiose anxiogène. Le simple spectacle de ces séquences hallucinatoires justifierait à lui seul d’aller voir le film, mais ses séquences réalistes permettent à Under the Skin de dépasser le simple statut d’expérience esthétique.


A travers le regard de l’étrangère, Jonathan Glazer livre un tableau frappant de l’humanité, d’un incident terrifiant se déroulant sur une plage à la rencontre troublante de la protagoniste avec un individu vivant en marge de la société. Par un décallage de point de vue, le réalisateur nous fait redécouvrir le monde avec un regard neuf, sans jamais tomber dans la facilité. Ainsi la dernière partie du film, qui met en scène une tentation d’aller rejoindre l’humanité au-delà de l’altérité, se refuse à résoudre cette différence dans une universalité conventionnelle. Under the Skin parvient à conserver sa beauté et son mystère jusqu’à la fin, à surprendre continuellement le spectacteur, tout en suivant le cheminement logique de son récit allégorique.


Et Scarlett Johannson dans tout ça ?  D’abord prédatrice, elle se laisse émouvoir et se retrouve bientôt perdue dans le brouillard écossais, à la recherche une nouvelle identité. Elle doit dès lors tout faire pour la première fois, hésitante et apeurée, contemple son corps nu comme s’il lui était étranger, à découvrir. Elle vient de renaître et faire peau neuve, prête à s’élever à nouveau vers les hautes sphères, à se réinventer dans une blancheur vierge. Tout est à nouveau possible.

25/06/2014

Winter Sleep : ambitieux, magistral, universel

4,5 / 5

Les jurys de Cannes ont beau être diffèrents d’une année sur l’autre, les récompenses successives récoltées par les mêmes auteurs semblent indiquer un consensus dans les conceptions d’un cinéma d’auteur. Parmi les favoris des années 2000, Michael Haneke, récompensé du Grand Prix puis du Prix de la mise en scène et de deux Palmes d’or, a imposé une idée de cinéma froid et distant, qui explore sans pitié les parts d’ombre du monde ; les frères Dardenne, plus proches de leurs personnages, sont d’avantage du côté d’un réalisme social, d’abord désespéré mais dernièrement gagné par un optimisme lumineux. Nuri Bilge Ceylan, récipiendaire de deux Grands Prix et d’un Prix de la mise en scène avant de se voir accordé la Palme d’or cette année, combinait jusqu’à maintenant le formalisme distant de Haneke et l’approche humaniste des frères Dardenne vis à vis de ses personnages. La récompense suprême du festival vient couronner un Winter Sleep à la facture classique superbe qui est assurément l’œuvre la plus accessible de son auteur, et ce malgré ses trois heures et quart.


Tandis que l’intrigue d’Il était une fois en Anatolie trouvait son origine dans un meurtre violent, Winter Sleep s’ouvre sur un acte de délinquence plus ordinaire : alors que Aydin, propriétaire d’un hôtel, circule en voiture, un enfant lui jette une pierre qui vient briser sa vitre. Le coupable appréhendé par son associé, il est ramené à sa famille, des locataires de Aydin. Le simple incident qui pourrait rester anecdotique va provoquer une crise dans le microcosme de Aydin et de son entourage, sa sœur et sa femme qui vivent avec lui à son hôtel. Le film est inspiré de trois nouvelles de Tchekhov, et on y retrouve en effet une thématique chère à l’auteur russe, celle des personnages qui ne sont pas à la hauteur de leurs idéaux et se mentent à eux-mêmes, et qui prennent soudainement conscience de leur statut.

Le premier mouvement du film fleuve de Ceylan décrit à merveille la vanité et l’artificialité du confort matériel et intellectuel dans lequel se complaisent Aydin et sa famille : le quotidien de Aydin est fait de gratifications constantes, entre les supplications de ses locataires et les articles qu’il écrit pour un journal du haut de sa prétendue autorité intellectuelle. La prétention de Aydin et son entourage trouve finalement son incaranation dans un débat philosophique apparemment vain sur l’idée développée par Tolstoï de la non-résistance au mal (à laquelle Tchekhov s’opposait d’ailleurs farouchement). Ce premier temps, s’il aura de quoi dérouter les spectateurs par son aspect volontairement éparpillé, permet au cinéaste de poser un personnage antipathique, lâche et méprisant, incarné avec une jubilation masochiste par Haluk Bilginer.


Si la virtuoisté des dialogues impressionne déjà dans cette première partie, elle prend toute son ampleur dans un deuxième temps de faces à faces / affrontements entre les habitants de l’hôtel, où les frustrations éclatent au grand jour. Une généalogie cinématographique s’impose alors, celle d’Ingmar Bergman et notamment de Scènes de la vie conjuguale, série télévisée qui explorait l’histoire d’un couple à travers différents moments de leur vie. On retrouve la même acuité psychologique chez Ceylan, qui nous fait constamment changer de point de vue sur ses personnages à mesure que l’on découvre leur passé et leurs états d’âmes au détour de conversations mises en scène de façon minimaliste, souvent en simples champs-contrechamps. Le rythme du film tient alors à la vivacité de ces échanges, souvent d’une drôlerie féroce, en particulier celui de Aydin avec sa sœur.

Ce climax passé, Ceylan offre en guise de dernier mouvement une sortie du huis clos étouffant de l’hôtel, un retour au monde de personnages ébranlés dans leurs certitudes orchestré de façon magistrale. Une fois le voile des illusions tombé, l’authenticité retrouvée peut être douloureuse mais a la beauté immaculée des paysages enneigés des steppes.

Comme toute l’œuvre de Ceylan, son dernier long métrage demande certes une attention et une disponibilté similaires à celles de la lecture, afin de ne pas se perdre dans le méandre de ses dialogues. Là où Il était une fois en Anatolie frappait par sa beauté et son originalité esthétique, le charme de Winter Sleep opère de manière moins directe, sur la durée. On ressort toutefois de ces trois heures de cinéma galvanisé, admiratif devant une œuvre à la fois dense, complexe, à la structure narrative originale et efficace, un véritable tour de force scénaristique servi par des acteurs parfaits, qu’il s’agisse du magnétique Haluk Bilginer ou de la magnifique Melisa Sözen.

24/06/2014

Jersey Boys : jeunesses éternelles

3,5 / 5

L’idée d’une rencontre entre le spectacle musical Jersey Boys et Clint Eastwood a de quoi laisser circonspect. Certes le cinéaste est aussi musicien, et a eu l’occasion de nous le prouver en tant que compositeur des bandes originales de ses films, voire devant la caméra pour Honkytonk Man ; mais son style est aux antipodes de la pop sucrée des Fours Seasons , groupe américain des années 60 dont Jersey Boys retrace la carrière. Ce film s’inscrit pourtant parfaitement dans la continuité de l’œuvre d’un cinéaste qui a changé régulièrement de registre, passant brillamment du cinéma de genre (les westerns et polars qui ont forgé son image d’acteur) à une veine plus personnelle et intimiste (de Bronco Billy à J.Edgar , en passant par Sur la route de Madison,  Un monde parfait, Space Cowboys ou Million Dollar Baby). Bien malin qui pourra prédire quel sera le prochain projet d’un réalisateur qui semble mu par une curiosité artistique constante, dont Jersey Boys est la réjouissante preuve.


A priori, Jersey Boys s’inscrit dans le genre du biopic, déjà traité avec Eastwood avec Bird ou J.Edgar. Mais là où ces derniers films avaient recours à une forme classique, Jersey Boys se révèle plus moderne dans son approche, l’histoire nous étant racontée rétrospectivement par les protagonistes qui s’interrompent régulièrement dans leurs actions pour s’adresser directement au spectateur. Si l’on ajoute ce procédé de mise à distance avec l’origine italo-américaine de certains membres du groupe et leur lien avec la mafia, on pense au Scorsese des Affranchis, et la présence d’un futur acteur fétiche du cinéaste en tant que personnage ne fait qu’accentuer ce lien.

Mais rendons à César ce qui lui appartient, ce « truc » de mise en scène avait été employé bien avant dans Annie Hall, dont le co-scénariste Marshall Brickman est le co-auteur de Jersey Boys. Le background comique solide de Brickman convient à merveille à un film autrement plus léger que les portraits des torturés Charlie Parker et J.Egar Hoover. N’oublions pas que les Four Seasons sont des faiseurs de tubes avant tout, et la forme narrative décomplexée du récit, qui fait alterner les voix des différents membres narrateurs, illustre parfaitement leur identité.


Si Jersey Girls privilégie la forme au fond, le film gagne malgré tout en profondeur dans son dernier tiers à travers le portait de Frankie Vallie, chanteur leader du groupe. Après l’insouciance et l’euphorie de la jeunesse, le héros eastwoodien se retrouve confronté à des responsabilités qui font basculer le récit dans le drame aux accents tragiques. Est-ce un hasard si dans un travelling émouvant qui le trouve seul dans un cimetière, le nom « Wilson » est inscrit sur une pierre tombale à ses côtés? L’ambiance du film a alors bien quelque chose de la mélancolie des morceaux dernière période des Beach Boys de Brian Wilson, pendant Côte Ouest des Four Seasons, qui trouve sa pleine expression dans « Cant’t take my eyes off you ».


Et enfin, Clint Eastwood nous offre en guise de conclusion un épilogue splendide, qui fait le bilan du spectacle qu’il nous a donné à voir. Que reste-t-il une fois que le temps a passé sur un groupe pop autrefois au sommet des « charts » ? Un peu de nostalgie, mais aussi une part de jeunesse intacte, message on ne peut plus juste que nous laisse le cinéaste artisan le plus doué d’Hollywood dont l’âge n’a pas entamé la vigueur artistique.

18/06/2014

Bird People : l'ivresse de l'envol

3,5 / 5

Après le succès  de son adaptation de Lady Chaterley, récompensé de 5 Césars en 2007, la cinéaste Pascale Ferran revient avec Bird People, sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » au dernier festival de Cannes. La présence du métrage dans cette section parallèle, qui privilégie les œuvres « atypiques » réalisées par des auteurs en devenir, est étrange pour une cinéaste certes discrète et rare mais déjà reconnue par la profession. Œuvre originale et ambitieuse, Bird People s’est peut-être vu relégué à cette place du fait de son caractère inclassable, qui est sa force artistique mais aussi un peu sa limite.


Le film de Pasacale Ferran est difficilement résumable, non pas tant parce qu’il manque de récits que parce qu’il multiplie les pistes narratives. La première séquence dans le RER qui mêle les différents monologues intérieurs des passagers en voix off dit bien le projet de Pasacle Ferran de proposer un film contemporain sur un certain esprit du monde. On n’est pas loin de la forme du documentaire, à laquelle le film aura recours par la suite, qu’il s’agisse de la description d’aéroports ou d’un versant animalier. Plus largement, Bird People est structuré en deux parties, chacune d’elles étant introduite par un carton du nom du protagoniste du récit : d’un côté, Gary est un ingénieur informaticien américain en transit dans un hôtel, à un tournant de sa vie ; de l’autre Audrey est une femme de chambre de l’hôtel qui se retrouve confrontée à une situation peu commune…

Si ce résumé parait assez laconique, il est à l’image du film de Pascale Ferran qui se vit de préférence comme une expérience de cinéma par laquelle il faut se laisser porter et surprendre. La première partie du film se rattache encore à un domaine connu, celui de l’étude psychologique caractéristique d’un pan du cinéma français, genre abordé avec une certaine justesse par la cinéaste et son co-scénariste ; malgré l’apparence manque d’originalité de cette matière narrative, Ferran ouvre la perspective de cette crise existencielle qui se déroule en quasi huis-clos dans une chambre d’hôtel par le recours à un ailleurs étranger. Cet appel d’air trouve sa pleine mesure dans la deuxième partie, pareille à une rêverie d’enfant qui nous donne soudainement à percevoir le monde à travers un point de vue inattendu. Pascale Ferran se libère alors joyeusement du carcan du film psychologique, et met à profit cette liberté dans une mise en scène virtuose et ambitieuse. A plusieurs moments, Bird People parvient alors à émerveiller, à transmettre une joie naïve de faire un cinéma libéré des mots, à opérer un retour aux sources du 7ème art qui aurait retrouvé le pouvoir de fascination qu’il exercait sur des spectateurs médusés.


Malgré ce caractère galvanisant de Bird People qui explore assez brillament différents possibles de cinéma, on est malheureusement obligé d’émettre une réserve. L’œuvre de Pascale Ferran a beau être admirable par la quantité de ce qu’elle veut embrasser, mais elle manque d’une structure rigoureuse. Tel quel, Bird People est une méditation sur le monde moderne dans laquelle on se perd plus avec plaisir qu’elle ne nous guide, qui ravit par ses effets de surprise et son esprit d’aventure davantage qu’elle construit une véritable tension dramatique ou explore en profondeur les questions propres à notre époque.

16/06/2014

Black Coal : un polar surprenant pris dans la neige et les reflets des néons

4 / 5

Dans la première partie des années 2000, l’émergence du cinéma sud-coréen sur la scène internationale s’est faite par l’intermédiaire du polar, qu’il s’agisse de la trilogie de la vengeance de Park Chan-Wok (Sympathy for Mr Vengeance, Old Boy et Lady Vengeance), ou des impresionants Memories of Murder ou The Chaser. Après A touch of Sin de Jia Zhangke dont le premier « épisode » évoquait également le polar, Black Coal, Ours d’or au festival de Berlin, confirme un intérêt nouveau du cinéma chinois pour le genre. Comme dans le cas des films coréens, le film de Diao Yi’Nan a recours au genre pour jouer avec ses codes, afin d’aboutir à une proposition singulière et stimulante qui bénéficie à la fois de l’efficacité d’une forme populaire qui a fait ses preuves et de la liberté artistique du cinéma d’auteur.


Rentrant immédiatement dans le vif du sujet, Black Coal s’ouvre sur le plan d’un morceau de corps perdu dans un chargement de charbon. La séquence d’introduction alterne la découverte de cette anomalie morbide avec les segments opaques d’une scène de couple : une partie de carte aux règles étranges laisse la place à un rapport sexuel violent qui semble imposé par l’homme, avant que ce dernier se jette une dernière fois sur la femme lors de leurs adieux à une gare. Dans ce contexte de film noir où les femmes sont les victimes en sursis du désir violent des hommes, le corps nu découpé est bien entendu imaginé comme celui d’une femme à partir du bras trouvé à l’usine de charbon, à la fois par les ouvriers et le specateur du film ; fausse piste puisqu’il s’agit de celui d’un homme…

Diao joue avec les attentes tout au long de son film, installant une atmosphère intrigante du fait des zones d’ombre de l’intrigue policière mais aussi en incoroprant des éléments burlesques qui accentuent le parallèle avec les ploars coréens, Memories of Murder en premier lieu. L’enquête menée par le protagoniste central (Fan Liao, prix d’interprétation mérité au festival de Berlin), l’homme instable présenté dans les scènes du couple, s’interrompt ainsi d’abord sur un bain de sang à la surenchère gagesque. On ne retrouve ensuite le personnage que cinq ans plus tard, bouffi et alcoolique, tandis que le décor citadin s’est transformé sous l’effet d’une neige envahissante.

Avec sa neige où les pas s’enfoncent dans un bruit de craquement sourd qui contraste avec le son des patins qui glissent sur la glace, ses néons nocturnes qui colorent l’image de teintes baroques, Black Coal est une réusite formelle à l’originalité incontestable. Le film fonctionne à son maximum dans son milieu, où une série de scènes quasi-muettes décrit la poursuite d’un suspect, silhouette inquiétante aux patins à glace. Diao ne parvient pas à maintenir cette belle intensité dans tout son film, le dernier mouvement de Black Coal après un dernier retournement de situation s’avérant moins convaincant. Malgré ses quelques baisses de rythme, ce polar chinois reste une œuvre atypique qui mérite d’être découverte, proposant une relecture efficace des archétypes de film noir que sont le détective privé ou la femme fatale (ambigüe et magnifique  Lun Mei-Gwei).

13/06/2014

Maps to the Stars : une promenade soporifique à Hollywood

2 / 5

Etrange choix du jury de Cannes d’avoir remis le prix d’interprétation à Juliane Moore pour Maps to the Stars, en refusant à Marion Cotillard une récompense qui s’imposait pour Deux jours, une nuit. Non pas que Juliane Moore soit une mauvaise actrice, loin de là : ses différentes performances, de The Hours à Loin du Paradis en passant par le culte The Big Lebowski et le méconnu Safe, juqsqu’au récent Don Jon qu’elle illumine de sa présence, en font au contraire une des actrices les plus intéressantes du cinéma américain. Mais le rôle caricatural et grotesque qu’elle joue dans Maps to the Stars n’est pas franchement à la mesure de son talent, et ne sauve pas de l’ennui le dernier opus interminable de David Cronenberg.


Le métrage précédent du cinésate canadien, Cosmopolis, n’était déjà pas palpitant au niveau narratif et se résumait à une série de discussions assez absonces sur le monde moderne, mais le film avait au moins pour lui le mérite de dégager une certaine fascination, entre le dispositif esthétique du cocon high-tech de la limousine dans laquelle naviguait Robert Pattinson et la bande-son hypnotique de Howard Shore. De passager trader, Pattinson est relégué pour Maps to the Stars au statut de chauffeur-acteur aspirant scénariste, un des multiples protagonistes qui peuplent le film choral de Cronenberg. On y retrouve entre autres une actrice vivant dans l’ombre de sa défunte mère (Moore), un coach de vie gourou (John Cusak), un enfant star dépravé et Agatha, une mystérieuse jeune brûlée (Mia Wasikowska).

Le problème du film est que mis à part le personnage d’Agatha, aucun des personnages ne semble trouver grâce aux yeux de Cronenberg et son scénariste. Le reste des protagonistes ont en commun une monstruosité intériorisée, qui si elle est d’abord amusante s’avère rapidement répétitive et lassante. La charge farcesque anti-Hollywood du film manque cruellement de finesse en se focalisant sur la petitesse des « has been » ou les charlatans qui gravitent autour de Los Angeles. On cherchera en vain un quelconque reste de l’Hollywood machine à rêve qui avait nourri le chef d’œuvre d’un autre David cinéaste culte, Mulholland Drive. Chez Lynch on ressentait le désir et la fascination ; chez Cronenberg il n’y a que du mépris.


Maps to the Stars est donc une œuvre cynique sur Hollywood, mais très loin des réussites du genre que sont The Player ou Swimming with Sharks. Mis en scène platement, le film de Cronenberg se soucie assez peu d’enjeux dramatiques et suit son bonhomme de chemin, s’intéressant à un personnage puis à un autre, avant un dernier acte précipité peu satisfaisant. Mise en abyme (consciente ou non) du projet du cinéaste et de son scénariste, une des scènes finales a recours à des effets spéciaux d’une laideur hallucinante, tout juste à la hauteur des balbutiements infographiques des années 80. Maps to the Stars serait donc finalement un film sur la laideur et le mauvais goût, mais d’une platitude lisse qui laisse indifférent.