4,5 / 5
Depuis sa présentation à
différents festivals et ses sorties aux Etats-Unis et au Royaume Uni, Under the Skin du britannique Jonathan
Glazer se traîne une réputation de film atypique qui divise : il a été
aussi bien accueilli par les applaudissements que par les huées au festival de
Venise l’année dernière. Les images aperçues laissaient bel et bien espérer un
film culte mai aussi craindre le film d’art prétentieux, à l’instar d’un Holy Motors inégal, finalement assez
vain et nombriliste. L’attente raisonnée donc passée, Under the Skin se révèle à la hauteur de ses promesses, et
constitue sans mal le choc esthétique de la première moitié de cette année.
Dans un gouffre d’obscurité, une
lumière grossit, jusqu’à iradier l’écran ; un disque noir vient vite
obscurcir, telle une éclipse, la souce de lumière. Un œil rouge électronique au
centre d’une blancheur immaculée se transforme bientôt en une pupille au centre
de son œil. Avec cette ouverture formelle psychédélique, Under the Skin s’inscrit dans la lignée du 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick et de son trip final. Le
vide blanc dans lequel on découvre la protagoniste du métrage de Glazer n’est
d’ailleurs pas sans évoquer la chambre blanche dans laquelle se retrouvait
finalement David Bowman au terme de son voyage. A cette différence près que la
protagoniste est incarnée par l’actrice la plus glamour du cinéma mondial et
qu’elle est nue, et qu’ici l’horizon n’est pas temps le devenir cosmique que la
plongée vers une âme de l’humanité. Non pas le « beyond » (au-delà)
destination de l’odyssée, mais le « under » (en-dessous).
Revenons un temps sur la carrière
de Scarlett Johansson : après avoir été remarquée dans quelques films (L’homme qui murmurait à l’oreille des
chevaux, The Barber), le monde
est tombé sous le charme de l’actrice avec La
jeune fille à la perle et surtout Lost in Translation de Sofia Coppola.
Scarlett Johansson, en plus de correspondre à merveille à la figure de la jeune fille rêveuse et mélancolique chère à l’auteure, possédait
également une sensualité indéniable qui n’a pas échappé à Woody Allen. En
incarnant l’objet du désir dans Match
Point et Vicky Christina Barcelona
ou le double féminin et l’assistante de Woody dans Scoop, la star est entrée définitivement dans l’âge adulte et a
acquis son statut de sex symbol. Seulement à mesure qu’elle multipliait les
rôles dans les films américains indépendants ou blockbusters (les films Marvel)
la star a perdu un peu de sa fraîcheur d’origine en même temps que les limites
de son registre se faisaient sentir.
Alors que la carrière de Scarlett
Johansson semblait avoir atteint une limite (ce qu’est venu souligné
ironiquement un César d’honneur bien trop précoce), ses derniers rôles disent
sa volonté de casser son image : loin d’être mise en valeur dans Don Jon, elle y incarnait une bimbo
égocentrique, calculatrice et antipathique, tandis que Her opérait l’effacement de son corps (mais restait tout de même la
trace de sa sensualité dans sa voix cassée). Under the Skin est l’aboutissement de cette phase de déconstruction
de l’icône glamour. Disons qu’il est à Scarlett Johansson ce que Les désaxés est à Marilyn Monroe, un retour
dans le monde ordinaire d’une star à l’aura extraordinaire.
Si le film raconte la rencontre
d’une étrangère avec l’humanité, il plonge aussi Scarlett Johansson en
territoire iconnu, celui des quartiers populaires et des campagnes d’Ecosse. La
singularité d’Under the Skin tient à
la façon dont le film alterne entre les images et les décors étranges, monde où
la protagoniste principale attire les humains, et un versant réaliste, proche
du documentaire et du cinéma vérité. Jonathan Glazer, fort de son expérience de
réalisateurs de clips, impressionne formellement dans la partie surnaturelle de
son récit qui saisit par son graphisme épuré et son imaginaire morbide ; la musique lancinante de Mica Levi, pareille à
du Bernard Herrmann sous acide, accompagne ces images dans une symbiose
anxiogène. Le simple spectacle de ces séquences hallucinatoires justifierait à
lui seul d’aller voir le film, mais ses séquences réalistes permettent à Under the Skin de dépasser le simple
statut d’expérience esthétique.
A travers le regard de
l’étrangère, Jonathan Glazer livre un tableau frappant de l’humanité, d’un
incident terrifiant se déroulant sur une plage à la rencontre troublante de la
protagoniste avec un individu vivant en marge de la société. Par un décallage de
point de vue, le réalisateur nous fait redécouvrir le monde avec un regard
neuf, sans jamais tomber dans la facilité. Ainsi la dernière partie du film,
qui met en scène une tentation d’aller rejoindre l’humanité au-delà de
l’altérité, se refuse à résoudre cette différence dans une universalité conventionnelle.
Under the Skin parvient à conserver
sa beauté et son mystère jusqu’à la fin, à surprendre continuellement le spectacteur,
tout en suivant le cheminement logique de son récit allégorique.
Et Scarlett Johannson dans tout
ça ? D’abord prédatrice, elle se
laisse émouvoir et se retrouve bientôt perdue dans le brouillard écossais, à la
recherche une nouvelle identité. Elle doit dès lors tout faire pour la première
fois, hésitante et apeurée, contemple son corps nu comme s’il lui était
étranger, à découvrir. Elle vient de renaître et faire peau neuve, prête à
s’élever à nouveau vers les hautes sphères, à se réinventer dans une blancheur
vierge. Tout est à nouveau possible.
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