3,5 / 5
L’idée d’une rencontre entre le
spectacle musical Jersey Boys et
Clint Eastwood a de quoi laisser circonspect. Certes le cinéaste est aussi
musicien, et a eu l’occasion de nous le prouver en tant que compositeur des
bandes originales de ses films, voire devant la caméra pour Honkytonk Man ; mais son style est
aux antipodes de la pop sucrée des Fours Seasons , groupe américain des
années 60 dont Jersey Boys retrace la
carrière. Ce film s’inscrit pourtant parfaitement dans la continuité de l’œuvre
d’un cinéaste qui a changé régulièrement de registre, passant brillamment du
cinéma de genre (les westerns et polars qui ont forgé son image d’acteur) à une
veine plus personnelle et intimiste (de Bronco
Billy à J.Edgar , en passant par Sur la route de Madison, Un
monde parfait, Space Cowboys ou Million Dollar Baby). Bien malin qui
pourra prédire quel sera le prochain projet d’un réalisateur qui semble mu par
une curiosité artistique constante, dont Jersey
Boys est la réjouissante preuve.
A priori, Jersey Boys s’inscrit dans le genre du biopic, déjà traité avec
Eastwood avec Bird ou J.Edgar. Mais là où ces derniers films
avaient recours à une forme classique, Jersey
Boys se révèle plus moderne dans son approche, l’histoire nous étant
racontée rétrospectivement par les protagonistes qui s’interrompent
régulièrement dans leurs actions pour s’adresser directement au spectateur. Si
l’on ajoute ce procédé de mise à distance avec l’origine italo-américaine de
certains membres du groupe et leur lien avec la mafia, on pense au Scorsese des
Affranchis, et la présence d’un futur
acteur fétiche du cinéaste en tant que personnage ne fait qu’accentuer ce lien.
Mais rendons à César ce qui lui
appartient, ce « truc » de mise en scène avait été employé bien avant
dans Annie Hall, dont le
co-scénariste Marshall Brickman est le co-auteur de Jersey Boys. Le background comique solide de Brickman convient à
merveille à un film autrement plus léger que les portraits des torturés Charlie
Parker et J.Egar Hoover. N’oublions pas que les Four Seasons sont
des faiseurs de tubes avant tout, et la forme narrative décomplexée du récit,
qui fait alterner les voix des différents membres narrateurs, illustre
parfaitement leur identité.
Si Jersey Girls privilégie la forme au fond, le film gagne malgré tout
en profondeur dans son dernier tiers à travers le portait de Frankie Vallie,
chanteur leader du groupe. Après l’insouciance et l’euphorie de la jeunesse, le
héros eastwoodien se retrouve confronté à des responsabilités qui font basculer
le récit dans le drame aux accents tragiques. Est-ce un hasard si dans un travelling
émouvant qui le trouve seul dans un cimetière, le nom « Wilson » est
inscrit sur une pierre tombale à ses côtés? L’ambiance du film a alors bien
quelque chose de la mélancolie des morceaux dernière période des Beach Boys de
Brian Wilson, pendant Côte Ouest des Four Seasons, qui trouve sa pleine
expression dans « Cant’t take my eyes off you ».
Et enfin, Clint Eastwood nous
offre en guise de conclusion un épilogue splendide, qui fait le bilan du
spectacle qu’il nous a donné à voir. Que reste-t-il une fois que le temps a
passé sur un groupe pop autrefois au sommet des « charts » ? Un peu
de nostalgie, mais aussi une part de jeunesse intacte, message on ne peut plus
juste que nous laisse le cinéaste artisan le plus doué d’Hollywood dont l’âge
n’a pas entamé la vigueur artistique.
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