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Christopher Nolan en a fait du chemin
depuis son premier long métrage The
Following, tourné il y a 15 ans avec un budget de 6000 dollars. Il y aura
d’abord eu en 2000 le thriller Memento,
œuvre culte à la construction narrative géniale. Et puis de façon inattendue
Nolan s’est retrouvé aux manettes du « relaunch » d’une franchise
Batman laissée pour morte après le consternant Batman et Robin. Succès colossal, The Dark Knight a conquis un large public qui s’est rendu compte
que les « comic books » n’étaient pas réservés qu’aux adolescents
attardés. Pour ma part, je reste quelque peu circonspect quant à l’enthousiasme
sans bornes qu’a parfois suscité cette saga qui n’est ni plus ni moins qu’une
bonne transposition au cinéma d’un univers posé ailleurs. Je n’hésiterai par
contre pas à employer le terme de chef d’oeuvre pour Inception, blockbuster dont l’ambition et la maîtrise m’avaient
tout simplement soufflé. La dernière heure du film reste une des expériences
cinématographiques les plus mémorables de ma vie de cinéphile. Mon niveau
d’attente pour Interstellar était
alors proportionnel à mon admiration pour Inception.
Sans faire durer le suspens plus longtemps, reconnaissons que cette odyssée
interstellaire est une réussite mais n’est pas aussi emballante que la plongée
de Christopher Nolan dans l’inconscient.
Interstellar a en commun avec Inception d’être un film qui se mérite. Dans le cas du dernier, on
nageait en pleine confusion en rejoignant en plein milieu d’une de leurs
opérations des héros qui en savaient plus long que nous et il fallait une
période d’acclimatation avant de rattraper ce retard. Le démarrage un peu
hésitant d’ Interstellar tient quant
à lui au développement d’un drame familial spielbergien (le cinéatse était
d’ailleurs à l’origine du projet qu’il devait réaliser). Sans être mauvaise,
cette première partie manque de réelle originalité. Si Inception résolvait ce problème de compréhension en expliquant au
fur et à mesure les règles du procédé au cœur de l’action du film, Interstellar traine tout du long
l’écueil d’une partie du récit sur terre moins inspirée que ce qui se déroule
du côté des étoiles. Un montage parallèle illustre bien ce problème : d’un
côté l’enjeu est la survie, de l’autre il s’agit de la résolution un peu
statique du mystère que renferme une chambre. La multiplication de personnages
secondaires inutiles et sans relief dans la partie terrestre (Topher Grace,
Casey Afleck) laisse une impression désagréable de cache-misère.
Mieux vaut donc se tourner vers
l’immensité de l’espace, et de ce côté Interstellar remplit largement
son contrat de spectaculaire. A condition évidemment de ne pas s’attendre à un
nouveau 2001 l’odyssée de l’espace. Le film de Kubrick a révolutionné la
science-fiction et a marqué durablement l’imaginaire, de la terrifiante
intelligence artificielle HAL à son mystérieux monolithe central et à son trip
cosmique final. 40 ans plus tard, 2001 reste une œuvre d’avant-garde
stupéfiante à laquelle on se réfère à ses risques et périls. L’année dernière Gravity
se détachait habilement de ce modèle de la conquête spatiale en proposant un
récit tendu d’action « survival ». Interstellar choisit pour
s’affranchir l’émotion, très en retrait dans le film de Kubrick et l’ensemble
de son œuvre. La musique de Hans Zimmer à l’intensité crescendo (on pense à du
Philip Glass) accompagne ainsi Cooper de sa séparation déchirante avec sa
fille Murphy jusqu’à son envol assourdissant vers l’inconnu. Parmi
la bande d’explorateurs, la tension dramatique tient à un conflit efficace
entre l’accomplissement de leur mission guidée par les données scientifiques,
et leurs émotions.
Pareils à leurs héros, les frères Nolan
explorent les genres, du film catastrophe au film d’aventure, du drame intime
au thriller, proposant une épopée cinématographique de 3 heures qu’on ne voit
pas passer. Il y a dans Interstellar une profusion de concepts passionants,
richesse mais aussi un peu limite du film. Les frères Nolan favorisent
évidemment des pistes narratives à d’autres, mais le manque de développement de
certaines situations créent un sentiment de frustration. Aux conflits familiaux
déjà vus bien mieux traités ailleurs, on aurait ainsi préféré voir davantage
les conséquences de l’écoulement relatif du temps un peu expédiées, SPOILER notamment lors des retrouvailles finales de Cooper avec sa fille devenue deux fois plus âgée que lui FIN DU SPOILER. Autre aspect frustrant de la densité
thématique du film, les acteurs sont tous convaincants mais ont peu d’espace
pour briller, Matthew McConaughey en premier lieu bien loin de ses dernières
prestations remarquables dans Mud, Dallas Buyers Club ou la série True Detective.
Tandis qu’Inception proposait un mélange inédit au cinéma de science-fiction
et de film d’espionnage, le dernier métrage de Christopher Nolan n’apporte pas
grand chose de neuf pour qui a vu 2001
l’odysssée de l’espace, Solaris
ou Gravity, si ce n’est le dialogue
avec une intrigue terrestre hélas trop classique pour suciter un réel
enthousiasme. Mais qu’on ne s’y trompe pas, malgré ses défauts, Interstellar est un des meilleurs films
de cette année, ne serait-ce que par sa forme époustouflante. Christopher Nolan
reste un des orfèvres les plus précieux du cinéma américain, et on ne saurait trop
recommander sa dernière œuvre à tous ceux en recherche d’émotions fortes dans
les salles obscures.
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