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A 35 ans passés, Marc Châtaigne est bien décidé à décrocher le stage
qui lui ouvrira les portes du monde de l’emploi au Ministère de la Norme.
Arrivé en retard il ne lui reste cependant qu’une affectation en Guyane pour
superviser la conformité d’un projet de station de ski à la réglementation
européenne. Le voilà donc parti vers une terre d’aventure où il fait la
connaissance de Tarzan, seigneur de la
jungle, une guide environnementaliste au caractère bien trempé.
Le premier long métrage de Antonin Peretjatko, La fille du 14 juillet, proposait un pastiche du cinéma français
des années 60-70, avec un peu de
Jean-Luc Godard et de Jacques Rozier pour les références nobles mais aussi une
influence moins avouable de Claude Zidi, voire de Max Pecas. Le tout ne
manquait pas de charme, ne serait-ce que par son caractère décomplexé qui
apportait une véritable fraicheur dans le genre de la comédie française. On lui
pardonnait alors son côté un peu fourre-tout, l’effet d’accumulation
d’idées sans réelle organisation qui
faisait partie de son style. Il y avait là des envies de cinéma et de liberté
galvanisantes.
Avec La Loi de la jungle, Peretjatko
propose un récit plus tenu sans renier sur son penchant pour le mélange des
genres. Si les premiers films de Jean-Luc Godard sont un terreau dans lequel le
cinéaste continue de puiser, on pense aussi beaucoup au cinéma d’aventure de
Philippe de Broca, tandis que l’humour absurde du film en fait le fils spirituel du méconnu Bananas de Woody Allen. Les idées fusent
toujours, défilent au rythme légèrement accéléré des 22 images par seconde qui
donne un côté cartoon aux personnages aux voix déformées. Cette folle énergie burlesque de La Loi de la jungle est un de ses atouts
les plus frappants, mais il serait réducteur de ne considérer le film que comme
une simple pochade, aussi réussie soit-elle.
Tandis que la plupart des comédies françaises « grand
public » se soucient peu des questions de forme pour se concentrer sur les
performances d’acteurs ou les dialogues, La
Loi de la jungle séduit par une sophistication dans la mise en scène à
rapprocher de celle des OSS 117 de
Michel Hazanavicius. Peretjatko a l’élégance de faire rimer légèreté avec
style, mais aussi celle de nous offrir une galerie de personnages hauts en
couleur qui parle à notre imaginaire. Le duo formé par Vincent Macaigne et
Vimala Pons est à ce titre étincelant. Lui incarne parfaitement une certaine
médiocrité ordinaire à laquelle on s’identifie sans trop de mal. Elle est un
vrai personnage de cinéma, révélée dès sa première apparition dans une pose
iconique qui en fait le pendant féminin des aventuriers à la Humphrey Bogart ou
Jean-Paul Belmondo. Si on peut regretter que cette inversion réjouissante du rapport
de force classique et machiste homme/femme ne tienne pas tout à fait juqu’à la
fin du film, Vimala Pons a néanmoins une nouvelle fois l’occasion de faire
preuve d’une présence, une fantaisie et un naturel qui en font une des actrices
les plus attachantes de sa génération.
Divertissement de haute volée, La
Loi de la jungle réjouit enfin par un réel engagement. Il était certes un
peu question de politique dans La
fille du 14 juillet, mais cet aspect restait en arrière-plan. Ici,
Peretjatko s’attaque directement à l’absurdité du monde contemporain, le projet
de Guyaneige s’inscrivant dans la continuité du pont inutilisable construit
entre la Guyane et le Brésil, mais aussi dans celle de Ski Dubaï. Quid de la
nature dans tout cela ? Le cinéaste filme la forêt guyanaise et sa faune
comme un espace sauvage à la fois inhospitalier et d’une beauté à couper le
souffle, une richesse précieuse menacée par la marche du monde. Il y a
décidément matière à réfléchir dans cette comédie, comme en témoigne encore ce
troublant aphorisme qui s’impose comme une évidence sur une barque à moteur :
« Dans la vie, il y a ceux qui gouvernent, et ceux qui dirigent ».
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