17/10/2011

The Artist : Silencio !

3,5 / 5


Du détournement de La classe américaine, qui reprenait les images issues des films issus de la Warner des années 50 à 70 pour leur accoler des doublages décalés, aux OSS 117, parodie convaincante de la série des James Bond qui allait jusqu’à faire référence à Ernst Lubitsch dans le deuxième volet, la filmographie de Michel Hazanavicius a toujours témoigné d’une passion pour le passé du cinéma. Il n’est donc pas surprenant de le voir aujourd’hui prendre l’initiative de faire un film muet, et le beau succès de The Artist à la fois populaire et artistique (récompensé à Cannes, le film est en lice pour les Oscars) est une récompense à la hauteur de ce pari esthétique. Mais le "revival" d’une forme cinématographique anachronique n’est-elle pas aussi une limite ?


L’intrigue du film, si elle peut paraître originale à des néophytes, ne présentera pas grand intérêt pour qui a vu Sunset Boulevard, Chantons sous la pluie ou Une étoile est née : l’histoire de George Valentin, star du muet dépassée par l’arrivée du parlant, et de sa relation avec l’actrice montante Peppy Miller, est un scénario tel que Hollywood aurait pu en produire jadis et qui réserve peu de surprises. L’originalité de The Artist réside plutôt dans sa curiosité esthétique, la forme du muet rentrant ici en contradiction avec le récit de l’avènement du son. Le film épouse le point de vue de son héros qui refuse le cinéma parlant, et pour qui l’arrivée du son est littéralement un cauchemar, comme l’illustre une séquence de rêve angoissante où il s’époumone en vain dans un monde envahi par le bruit des rires moqueurs et d’une plume qui tombe comme une bombe. Au réveil de George, le silence environnant est oppressant davantage qu’il ne ramène à un monde connu et rassurant. Par son utilisation économe et précise de sa bande son, The Artist redonne ainsi paradoxalement ses lettres de noblesse à cette composante souvent en retrait dans les films. Cette attention sonore alliée à un noir et blanc somptueux font du film de Hazanavicius un produit techniquement irréprochable .

             
Reste qu’une certaine distance peut s’établir entre le spectateur et un film référencé, qui semble fonctionner en circuit fermé dans sa perfection nostalgique. Les protagonistes ont du mal à y prendre chair, parce qu’ils semblent des fantômes issus de l’histoire du cinéma . On pourra reconnaître aux acteurs le talent d’avoir pu faire honneur à leurs prédécesseurs, que ce soit Jean Dujardin convaincant en croisement de Douglas Fairbanks et Clark Gable ou Bérénice Béjo en héritière de Louise Brooks, mais leurs personnages sont souvent réduits à des archétypes. Avec cependant une poignée de séquences qui échappent au cadre pour produire de l’émotion : la série de prises du plan tourné avec George et Peppy, où les variations et dérèglements trahissent les sentiments naissants des personnages ; la scène qui suit où l’actrice se retrouve dans la loge de la star et fantasme sa présence par le biais de sa veste symbolique ; la séquence où Peppy assiste à l’enlisement de George qu’il a lui-même mis en scène. 

Mais ce n’est que dans la séquence qui précède le final de The Artist que se joue enfin la réussite du projet de Hazanavicius. [spoiler] Auparavant, le film avait opéré un virage hitchcockien : la découverte par George d'une chambre mortuaire dédiée à sa gloire passée évoque le souvenir de Rebecca. La référence inattendue au maître du suspens et à son cinéma parlant peut alors éclater au grand jour, via l'utilisation de la musique composée par Bernard Hermann pour Vertigo. Outre le parallèle établi par le thème commun aux deux films de redonner vie à un être aimé disparu, la séquence renvoie à l’essence même du pari de Hazanavicius de redonner vie à un cinéma disparu. Alors que George se retrouve dans les ruines de son appartement,  l’émotion vient de la mise à nu de ce projet d’un passionné de cinéma. [fin du spoiler] Si la forme cinématographique du muet appartient au passé, The Artist parvient malgré tout à la faire revivre dans un vibrant hommage.

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