20/10/2011

Love and bruises : entre passion et ennui

 3 / 5



Victime de la censure du gouvernement chinois, Lou Ye réalise avec Love and bruises son premier film en France, dans une langue qu’il ne connaît pas. Comme miroir du réalisateur, Hua est une étudiante chinoise tout juste arrivée à Paris mais contrairement au réalisateur elle s’exprime dans un français parfait. Pourquoi est-elle là ? Pour fuir la Chine et sa société ou simplement pour suivre un amant français qui la quitte dès la première séquence du film ? Hua semble guidée par la passion, le désir : devant le fait accompli de la rupture, elle supplie son ancien amant de lui faire l’amour une dernière fois. Après une errance esseulée dans un Paris grouillant décrit avec justesse, de l’agitation d’un marché à une circulation de passants filmés d’une terrasse de café, pris sur le vif, Hua rencontre Mathieu, un ouvrier monteur du marché. La violence de leur rencontre, le jeune homme la percutant avec une poutre, préfigure la nature de la relation physique qui va s’établir entre eux.


Le film de Lou Ye, peu enclin à un bavardage dont on peut faire souvent reproche au cinéma français d’auteur, capte plutôt ses personnages dans leurs mouvements et gestes brusques, caméra à l’épaule : cette présence des corps est la forme qui convient le mieux pour décrire la relation d’amour  entre Hua et Mathieu, que tout oppose (langue, culture, classe sociale) excepté le désir qu’ils ressentent l’un pour l’autre. Venant de deux mondes différents, les deux jeunes amants sont des mystères l’un pour l’autre ainsi que pour le spectateur. Malgré ce que dévoile l’intrigue sur les personnages, les ellipses narratives et la découverte progressive de ce qu’ils cachent l’un à l’autre semblent signifier une altérité irrémédiable. Comment peut s’établir la confiance en l’autre, quand ses pensées nous sont inaccessibles ? Le film joue de détails, de zones d’ombre pour produire une tension dans le couple passionné :  Hua a rendez-vous avec un autre homme pour voir une exposition sans que leur relation soit explicitée, Mathieu laisse un billet dans son appartement où ils viennent de faire l’amour. Cette instabilité du couple, c’est aussi l’incertitude de l’ étudiante chinoise, qui peine à concilier sa culture et ses aspirations avec la brutalité et la simplicité de Mathieu.

La double identité de Hua est, plus largement, le  produit de deux cultures qui s’opposent, celles de l’occident et de la Chine : dans la dernière partie du film, Hua de retour à Pékin sert de traductrice à une française qui interroge une intellectuelle chinoise sur sa résistance au régime, ce à quoi son interlocutrice répond que cette « résistance » est un concept occidental. Hua est indécise, désirant à la fois s’épanouir intellectuellement dans son pays d’origine et assouvir un désir charnel totalement absent chez son compagnon à Pékin qui la supplie en larmes de construire un couple réduit à des tâches ménagères. L’entre-deux où elle se trouve est symbolisé  lors de la transition entre les deux pays : les deux espaces se ressemblent, indéterminés avant que l’ on puisse distinguer les indications sur les panneaux routiers.


Love and bruises a le mérite de présenter une problématique intéressante sur les cultures et de témoigner admirablement d’une passion amoureuse, de la violence du désir sans le fard d’un esthétisme auquel le cinéma a souvent recours. Cependant, et ce malgré les prestations remarquables de Corinne Yann  et de Tahar Rahim, elle tout en calme mutique et lui en agitation quasi-bestiale, le film souffre de longueurs, dues à la répétition de ses scènes d’amour multiples et au manque d’une réelle progression dramatique. D’autre part, malgré le beau parti pris de Lou Ye de rendre les personnages opaques aux spectateurs, le scénario tombe à plusieurs reprises dans des lieux communs et des stéréotypes. Entre sa première demi-heure déstabilisante et surprenante dans la présentation de la violence du désir et une fin où l’intrigue déplacée en Chine retrouve un souffle narratif, le film se cherche malheureusement trop souvent, suivant les schémas classiques des drames intimistes de couple sans apporter assez de nouveauté. 

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